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Eugène Ionesco, « Oser ne pas penser comme les autres », Antidotes (1977)
Hymne aux veilleurs (juillet 2013)
Hymne aux veilleurs (juillet 2013)
Ne pas penser comme les autres vous met dans une
situation bien désagréable. Ne pas penser comme les autres, cela veut dire
simplement que l'on pense. Les autres, qui croient penser, adoptent, en fait,
sans réfléchir, les slogans qui circulent, ou bien, ils sont la proie de
passions dévorantes qu'ils se refusent d'analyser. Pourquoi refusent-ils, ces
autres, de démonter les systèmes de clichés, les cristallisations de clichés
qui constituent leur philosophie toute faite, comme des vêtements de confection
? En premier lieu, évidemment, parce que les idées reçues servent leurs
intérêts ou leurs impulsions, parce que cela donne bonne conscience et justifie
leurs agissements. Nous savons tous que l'on peut commettre les crimes les plus
abominables au nom d'une cause
"noble et généreuse". Il y
a aussi les cas de ceux, nombreux, qui n'ont pas le courage de ne pas
avoir "des idées comme tout le monde, ou des réactions communes".
Cela est d'autant plus ennuyeux que c'est, presque toujours, le solitaire
qui a raison. C'est une poignée de
quelques hommes, méconnus, isolés au départ, qui change la face du monde. La
minorité devient la majorité. Lorsque les "quelques-uns" sont devenus
les plus nombreux et les plus écoutés, c'est à ce moment là que la vérité est
faussée.
Depuis toujours, j'ai l'habitude de penser contre les
autres. Lycéen, puis étudiant, je polémiquais avec mes professeurs et mes
camarades. J'essayais de critiquer, je refusais "les grandes pensées"
que l'on voulait me fourrer dans la tête ou l'estomac, il y a à cela, sans
doute, des raisons psychologiques dont je suis conscient. De toute manière, je
suis heureux d'être comme je suis. Ainsi donc, je suis vraiment un solitaire
parce que je n'accepte pas d'avoir les idées des autres.
Mais qui sont "les autres" ? Suis-je seul ?
Est-ce qu'il y a des solitaires ?
En fait, les autres ce sont les gens de votre milieu.
Ce milieu peut même constituer une minorité qui est, pour vous, tout le monde.
Si vous vivez dans cette "minorité", cette "minorité"
exerce, sur celui qui ne pense pas comme elle, un dramatique terrorisme
intellectuel et sentimental, une oppression à peu près insoutenable. Il m'est
arrivé, quelquefois, par fatigue, par angoisse, de désirer et d'essayer de
"penser" comme les autres. Finalement, mon tempérament m'a empêché de
céder à ce genre de tentation. J'aurais été brisé, finalement, si je ne m'étais
pas aperçu que, en réalité, je n'étais pas seul. Il me suffisait de changer de
milieu, voire de pays, pour y trouver des frères, des solitaires qui sentaient
et réagissaient comme moi. Souvent, rompant avec le "tout le monde"
de mon milieu restreint, j'ai rencontré de très nombreux "solitaires"
appartenant à ce qu'on appelle, à juste raison, la majorité silencieuse. Il est
très difficile de savoir où se trouve la minorité, où se trouve la majorité,
difficile également de savoir si on est en avant ou en arrière. Combien de
personnes, de classes sociales les plus différentes, ne se sont-elles reconnues
en moi ?
Nous ne sommes donc pas seuls. Je dis cela pour
encourager les solitaires, c'est-à-dire ceux qui se sentent égarés dans leur
milieu. Mais alors, si les solitaires sont nombreux, s'il y a peut-être même une majorité de solitaires,
cette majorité a-t-elle toujours raison ? Cette pensée me donne le vertige. Je
reste tout de même convaincu que l'on a raison de s'opposer à son milieu.
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Hymne aux veilleurs
Il y eut un
souffle puis un feu vacillant,
Il y eut un cri
noir puis une nuit sans étoiles,
Il y eut un
pouvoir puis des cœurs que l’on voile,
Et l’injustice
revint vieille de mille ans.
Dans cette
tempête l’homme impuissant se tait,
Se laissant
bercer, las, dans les flots mensongers.
Et la flamme
fragile au milieu des dangers,
Disparaît sans
un bruit dans les âmes fouettées.
Combien de temps
encor serons nous ignorés ?
Combien faut-il
de braises pour être brasier ?
Que fait la
justice pour les corps suppliciés ?
Et toi, où
t’endors tu Vérité adorée ?
C’est alors
qu’il survient, debout, raide et sublime,
Le regard vers
les cieux, cherchant l’ultime braise,
Ce Prométhée
nouveau du haut de sa falaise
Devient humble
veilleur, éclairant les abîmes.
Et c’est ainsi
France que tes villes renaissent
Derrière le
guide qui jamais ne s’enfuit,
Et c’est ainsi
Monde que ta haine s’enfouit
Grâce au
veilleur d’amour qui jamais ne délaisse.
Un fleuve
lumineux s’est remis à couler,
Et sur ses rives
d’or les hommes se relèvent,
Veilleurs,
Veilleuses un grand vent vient et se lève
Il porte avec
lui le parfum des révoltés.