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Les gouvernements ont pour vocation de servir l'hommes.
ALEXANDRE SOLJENITSYNE
Khalil Gibran, Le Prophète, « Enfants » (1923)
Jules Ferry, Lettre aux instituteurs (17 novembre 1883)
Nérée Beauchemin, Les Floraisons matutinales, « Épithalame » (1897)
Nietzsche, Ainsi
parlait Zarathoustra, « De la nouvelle idole »
Il y a quelque
part encore des peuples et des troupeaux, mais ce n'est pas chez nous, mes
frères : chez nous il y a des États.
L'État ?
Qu'est-ce cela ? Allons ! ouvrez les oreilles, je vais vous parler de la mort
des peuples.
L'État, c'est le
plus froid de tous les monstres froids. Il ment froidement, et voici le
mensonge qui rampe de sa bouche : « Moi, l'État, je suis le Peuple. » C'est un
mensonge ! Ils étaient des créateurs ceux qui créèrent les peuples et qui
suspendirent au-dessus des peuples une foi et un amour : ainsi ils servaient la
vie.
Ce sont des
destructeurs ceux qui tendent des pièges au grand nombre et qui appellent cela
un État : ils suspendent au-dessus d'eux un glaive et cent appétits.
Partout où il y
a encore du peuple, il ne comprend pas l'État et il le déteste comme le mauvais
œil et une dérogation aux coutumes et aux lois. Je vous donne ce signe : chaque
peuple a son langage du bien et du mal : son voisin ne le comprend pas. Il
s'est inventé ce langage pour ses coutumes et ses lois.
Mais l'État ment
dans toutes ses langues du bien et du mal ; et, dans tout ce qu'il dit, il ment
- et tout ce qu'il a, il l'a volé. Tout en lui est faux ; il mord avec des
dents volées, le hargneux. Même ses entrailles sont falsifiées.
Une confusion
des langues du bien et du mal - je vous donne ce signe, comme le signe de
l'État. En vérité, c'est la volonté de la mort qu'indique ce signe, il appelle
les prédicateurs de la mort ! Beaucoup trop d'hommes viennent au monde : l'État
a été inventé pour ceux qui sont superflus !
Voyez donc comme
il les attire, les superflus ! Comme il les enlace, comme il les mâche et les
remâche !
« Il n'y a rien
de plus grand que moi sur la terre je suis le doigt ordonnateur de Dieu » -
ainsi hurle le monstre. Et ce ne sont pas seulement ceux qui ont de longues
oreilles et la vue basse qui tombent à genoux !
Hélas, en vous
aussi, ô grandes âmes, il murmure ses sombres mensonges ! Hélas, il devine les
cœurs riches qui aiment à se répandre !
Certes, il vous
devine, vous aussi, vainqueurs du Dieu ancien ! Le combat vous a fatigués et
maintenant votre fatigue se met au service de la nouvelle idole !
Elle voudrait
placer autour d'elle des héros et des hommes honorables, la nouvelle idole! Il
aime à se chauffer au soleil de la bonne conscience, le froid monstre !
Elle veut tout
vous donner, si vous l'adorez, la nouvelle idole : ainsi elle s'achète l'éclat
de votre vertu et le fier regard de vos yeux. Vous devez lui servir d'appât
pour les superflus ! Oui, c'est l'invention d'un tour infernal, d'un coursier
de la mort, cliquetant dans la parure des honneurs divins !
Oui, c'est
l'invention d'une mort pour le grand nombre, une mort qui se vante d'être la
vie, une servitude selon le cœur de tous les prédicateurs de la mort !
L'État est
partout où tous absorbent des poisons, bons et mauvais : l'État, le lieu où
tous se perdent eux-mêmes, les bons et les mauvais : l'État, le lieu où le lent
suicide de tous s'appelle - « la vie ».
Voyez donc ces
superflus ! Ils volent les œuvres des inventeurs et les trésors des sages : ils
appellent leur vol civilisation - et tout leur devient maladie et revers !
Voyez donc ces
superflus ! Ils sont toujours malades, ils rendent leur bile et appellent cela
des journaux. Ils se dévorent et ne peuvent pas même se digérer.
Voyez donc ces
superflus! Ils acquièrent des richesses et en deviennent plus pauvres. Ils
veulent la puissance et avant tout le levier de la puissance, beaucoup
d'argent, - ces impuissants !
Voyez-les
grimper, ces singes agiles ! Ils grimpent les uns sur les autres et se poussent
ainsi dans la boue et dans l'abîme.
Ils veulent tous
s'approcher du trône : C'est leur folie, - comme si le bonheur était sur le
trône ! Souvent la boue est sur le trône - et souvent aussi le trône est dans
la boue.
Ils
m'apparaissent tous comme des fous, des singes grimpeurs et impétueux. Leur
idole sent mauvais, ce froid monstre : ils sentent tous mauvais, ces idolâtres.
Mes frères,
voulez-vous donc étouffer dans l'exhalaison de leurs gueules et de leurs
appétits ! Cassez plutôt les vitres et sautez dehors. Évitez donc la mauvaise
odeur ! Éloignez-vous de l'idolâtrie des superflus. Évitez donc la mauvaise
odeur ! Éloignez-vous de la fumée de ces sacrifices humains !
Maintenant
encore les grandes âmes trouveront devant elles l'existence libre. Il reste
bien des endroits pour ceux qui sont solitaires ou à deux, des endroits où
souffle l'odeur des mers silencieuses. Une vie libre reste ouverte aux grandes
âmes. En vérité, celui qui possède peu est d'autant moins possédé : bénie soit
la petite pauvreté !
Là où finit
l'État, là seulement commence l'homme qui n'est pas superflu : là commence le
chant de la nécessité, la mélodie unique, à nulle autre pareille.
Là où finit
l'État, - regardez donc mes frères ! - ne voyez-vous pas l'arc-en-ciel et le
pont du Surhumain ?
Ainsi parlait
Zarathoustra.
***************
Khalil Gibran, Le
Prophète, « Enfants »
Et une femme qui
tenait un bébé contre son sein dit : "Parle-nous des enfants".
Alors il
répondit :
"Vos
enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les
fils et les filles de la Vie qui a soif de vivre encore et encore.
Ils voient le
jour à travers vous mais non pas à partir de vous,
Et bien qu'ils
soient avec vous, ils ne sont pas à vous.
Vous pouvez leur
donner votre amour mais non vos pensées.
Car ils pensent
par eux-mêmes.
Vous pouvez
accueillir leurs corps mais non leurs âmes,
Car leurs âmes
habitent la demeure de demain, que vous ne pouvez visiter, même dans vos rêves.
Vous pouvez vous
évertuer à leur ressembler, mais ne tentez pas de les rendre semblables à vous.
Car la vie ne va
pas en arrière ni ne s'attarde avec hier.
Vous êtes les arcs
par lesquels sont projetés vos enfants comme des flèches vivantes.
L'Archer prend
pour ligne de mire le chemin de l'infini, et vous tend de toute Sa puissance
pour que Ses flèches s'élancent avec vélocité et à perte de vue.
Et lorsque Sa
main vous ploie, que ce soit alors pour la plus grande joie ;
Car de même
qu'Il aime la flèche qui fend l'air, Il aime l'arc qui ne tremble pas."
***************
Jules Ferry, Lettre aux instituteurs
J'ai dit que votre rôle en matière
d'éducation morale est très limité. Vous n'avez à enseigner à proprement parler
rien de nouveau, rien qui ne vous soit familier comme à tous les honnêtes gens.
Et quand on vous parle de mission et d'apostolat, vous n'allez pas vous y
méprendre : vous n'êtes point l'apôtre d'un nouvel évangile ; le législateur
n'a voulu faire de vous ni un philosophe, ni un théologien improvisé. Il ne
vous demande rien qu'on ne puisse demander à tout homme de cœur et de sens. Il
est impossible que vous voyiez chaque jour tous ces enfants qui se pressent
autour de vous, écoutant vos leçons, observant votre conduite, s'inspirant de
vos exemples, à l'âge où l'esprit s'éveille, où le cœur s'ouvre, où la mémoire
s'enrichit, sans que l'idée vous vienne aussitôt de profiter de cette docilité,
de cette confiance, pour leur transmettre, avec les connaissances scolaires
proprement dites, les principes mêmes de la morale, j'entends simplement de
cette bonne et antique morale que nous avons reçue de nos pères et que nous
nous honorons tous de suivre dans les relations de la vie sans nous mettre en
peine d'en discuter les bases philosophiques.
Vous êtes l'auxiliaire et, à
certains égards, le suppléant du père de famille ; parlez donc à son enfant
comme vous voudriez que l'on parlât au vôtre ; avec force et autorité, toutes
les fois qu'il s'agit d'une vérité incontestée, d'un précepte de la morale
commune ; avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d'effleurer un
sentiment religieux dont vous n'êtes pas juge.
Si parfois vous étiez embarrassé
pour savoir jusqu'où il vous est permis d'aller dans votre enseignement moral,
voici une règle pratique à laquelle vous pourrez vous tenir : avant de proposer
à vos élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s'il se trouve,
à votre connaissance, un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que
vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à
votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à
ce qu'il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez
hardiment, car ce que vous allez communiquer à l'enfant, ce n'est pas votre
propre sagesse, c'est la sagesse du genre humain, c'est une de ces idées
d'ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le
patrimoine de l'humanité. Si étroit que vous semble, peut-être, un cercle
d'action ainsi tracé, faites-vous un devoir d'honneur de n'en jamais sortir,
restez en deçà de cette limite plutôt que de vous exposer à la franchir : vous ne
toucherez jamais avec trop de scrupule à cette chose délicate et sacrée, qui
est la conscience de l'enfant.
Mais une fois
que vous vous êtes ainsi loyalement enfermé dans l'humble et sûre région de la
morale usuelle, que vous demande-t-on ? Des discours ? Des dissertations
savantes ? De brillants exposés, un docte enseignement ? Non, la famille et la
société vous demandent de les aider à bien élever leurs enfants, à en faire des
honnêtes gens. C'est dire qu'elles attendent de vous non des paroles, mais des
actes, non pas un enseignement de plus à inscrire au programme, mais un service
tout pratique que vous pourrez rendre au pays plutôt encore comme homme que
comme professeur.
***************
Nérée Beauchemin
(1850-1931).
Recueil : Les
floraisons matutinales (1897).
Épithalame.
À M. et Mme
Alide Lacerte.
Quand on s'aime
on se marie :
Il prend fin, l'enchantement
D'une vague
rêverie.
Quand on s'aime
on se marie :
La vie à deux,
c'est charmant.
Longtemps on
hésite, on n'ose ;
La voix, les lèvres,
les yeux,
Malgré soi
disent la chose.
Longtemps on
hésite, on n'ose.
Silence
délicieux !
On se comprend
sans rien dire.
Le plus fin
pinceau de l'Art
Ne peut rendre
ni décrire
Tout ce
qu'exprime un sourire,
Tout ce
qu'exprime un regard.
Bref, il faut
dire, à l'église,
Le cher secret
inouï.
Peur naïve !
gêne exquise !
Pour que nul ne
s'en dédise,
Au prêtre il
faut dire oui.
Au mot sacré
qu'on prononce,
Dans les cœurs,
comme un duo,
Vibre une même
réponse.
Au clair oui
franc qu'on prononce,
Les cœurs tout
bas font écho.
Quand on s'aime,
on se marie :
La vie à deux,
c'est si doux.
Mon cher, aime
ta chérie :
Bon cœur jamais
ne varie.
Cher tendre
couple, aimez-vous.
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