vendredi 10 mai 2013

Textes lus lors de notre 1re veillée - 10 mai 2013

« Nous sommes les veilleurs »
Camus, L'homme révolté (extraits)
Sophocle, Antigone (confrontation entre Antigone et Créon)
Fr. Saillen, « L'Espérance »
Desnos, « Demain »

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Nous sommes les veilleurs

     Nous sommes ici pour témoigner de notre opposition au projet de loi de mariage et d'adoption pour les couples de même sexe. Nous venons en paix défendre le droit des enfants à avoir un père et une mère.
     Alors que l'inimaginable surdité du gouvernement stupéfait chaque jour davantage les Français, nous conservons notre entière sérénité pour défendre ce que nous avons de plus cher. Ou plutôt "ceux" que nous avons de plus chers : nos enfant d'aujourd'hui et de demain qui auront toujours le droit d'avoir un père et une mère.
     Si les plus faibles ne sont pas défendus par les plus forts, si les envies égoïstes d'une minorité prennent le dessus sur le droit des enfants, alors jamais plus l'humanité ne pourra se regarder en face.
     Nous savons que le silence et la non-violence portent du fruit. C'est dans cet esprit que nous résistons. « Nous ne nous battons pas pour notre intérêt propre, mais pour défendre un bien précieux pour tous que nous n'aurions jamais imaginé menacé. Ce bien - le fait que tout être humain est issu de la complémentarité d'un homme et d'une femme - est une réalité qui vient de la nuit des temps. Propre à l'humanité, il est à l'origine de chacun d'entre nous. »
     Péguy compare l'Espérance à une petite flamme :

Cette petite fille de rien du tout.
Elle seule, portant les autres, qui traversera les mondes révolus.
Comme l'étoile a conduit les trois rois du fin fond de l'Orient
Vers le berceau de mon Fils
Ainsi une flamme tremblante,
Elle seule conduira les Vertus et les mondes.
Une flamme percera les ténèbres éternelles.

     Ainsi nos bougies, ce soir, symbolisent l'Espérance qui est en chacun de nous.

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Albert Camus, L'homme révolté (extraits)
La révolte naît du spectacle de la déraison, devant une condition injuste et incompréhensible. Mais son élan aveugle revendique l'ordre au milieu du chaos et l'unité au cœur même de ce qui fuit ou disparaît. Elle crie, elle exige, elle veut que le scandale cesse et que se fixe ce qui jusqu'ici s'écrivait sans trêve sur la mer.
[…]
Qu'est-ce qu'un homme révolté ? Un homme qui dit non. Mais s'il refuse, il ne renonce pas : c'est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement. Un esclave, qui a reçu des ordres toute sa vie, juge soudain inacceptable un nouveau commandement. Quel est le contenu de ce "non" ?
Il signifie, par exemple, "les choses ont trop duré", "jusque-là oui, au-delà non", "vous allez trop loin", et encore, "il y a une limite que vous ne dépasserez pas". En somme, ce non affirme l'existence d'une frontière. On retrouve la même idée de limite dans ce sentiment du révolté que l'autre "exagère", qu'il étend son droit au-delà d'une frontière à partir de laquelle un autre droit lui fait face et le limite. Ainsi, le mouvement de révolte s'appuie, en même temps, sur le refus catégorique d'une intrusion jugée intolérable et sur la certitude confuse d'un bon droit [...]. C'est en cela que l'esclave révolté dit à la fois oui et non. Il affirme, en même temps que la frontière, tout ce qu'il soupçonne et veut préserver en deçà de la frontière. Il démontre, avec entêtement, qu'il y a en lui quelque chose qui "vaut la peine de…", qui demande qu'on y prenne garde. D'une certaine manière, il oppose à l'ordre qui l'opprime une sorte de droit à ne pas être opprimé au-delà de ce qu'il peut admettre.
[...]
Le révolté, au sens étymologique, fait volte-face. Il marchait sous le fouet du maître. Le voilà qui fait face. Il oppose ce qui est préférable à ce qui ne l'est pas. Toute valeur n'entraîne pas la révolte, mais tout mouvement de révolte invoque tacitement une valeur. […] La révolte, contrairement à l'opinion courante, et bien qu'elle naisse dans ce que l'homme a de plus strictement individuel, met en cause la notion même d'individu. Si l'individu, en effet, accepte de mourir, et meurt à l'occasion, dans le mouvement de sa révolte, il montre par là qu'il se sacrifie au bénéfice d'un bien dont il estime qu'il déborde sa propre destinée. S'il préfère la chance de la mort à la négation de ce droit qu'il défend, c'est qu'il se place au-dessus de lui-même. Il agit donc au nom d'une valeur, encore confuse, mais dont il a le sentiment, au moins, qu'elle lui est commune avec tous les hommes. On voit que l'affirmation impliquée dans tout acte de révolte s'étend à quelque chose qui déborde l'individu dans la mesure où elle le tire de sa solitude supposée et le fournit d'une raison d'agir. Mais il importe de remarquer déjà que cette valeur qui préexiste à toute action contredit les philosophies purement historiques, dans lesquelles la valeur est conquise au bout de l'action. L'analyse de la révolte conduit au moins au soupçon qu'il y a une nature humaine, comme le pensaient les Grecs, et contrairement aux postulats de la pensée contemporaine. Pourquoi se révolter s'il n'y a, en soi, rien de permanent à préserver ? C'est pour toutes les existences en même temps que l'esclave se dresse, lorsqu'il juge que, par tel ordre, quelque chose en lui est nié qui ne lui appartient pas seulement, mais qui est un lieu commun où tous les hommes, même celui qui l'insulte et l'opprime, ont une communauté prête.
[…]
Cette folle générosité est celle de la révolte, qui donne sans tarder sa force d'amour et refuse sans délai l'injustice. Son honneur est de ne rien calculer, de tout distribuer à la vie présente et à ses frères vivants. C'est ainsi qu'elle prodigue aux hommes à venir. La vraie générosité envers l'avenir consiste à tout donner au présent.
La révolte prouve par là qu'elle est le mouvement même de la vie et qu'on ne peut la nier sans renoncer à vivre. Son cri le plus pur, à chaque fois, fait se lever un être. Elle est donc amour et fécondité, ou elle n'est rien. […] Au bout de ces ténèbres, une lumière  pourtant est inévitable que nous devinons déjà et dont nous avons seulement à lutter pour qu'elle soit. Par delà le nihilisme, nous tous, parmi les ruines, préparons une renaissance. Mais peu le savent.
 
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Sophocle, Antigone


CRÉON. Réponds en peu de mots. Connaissais-tu mon édit ?

ANTIGONE. Comment ne l'aurais-je pas connu ? Il était public.

CRÉON. Et tu as osé passer outre à mon ordonnance ?

ANTIGONE. Oui, car ce n'est pas Zeus qui l’a pro­mulguée, et la Justice qui siège auprès des dieux de sous terre n'en a point tracé de telles parmi les hommes. Je ne croyais pas, certes, que tes édits eus­sent tant de pouvoir qu'ils permissent à un mortel de violer les lois divines : lois non écrites celles‑là, mais intangibles. Ce n’est pas d’aujourd’hui ni d’hier, c’est depuis l’origine qu’elles sont en vigueur, et personne ne les a vues naître.  Leur désobéir, n'était-ce point, par un lâche respect pour l'autorité d'un homme, encourir la rigueur des dieux ? Je savais bien que je mourrais ; c’était inévitable – et même sans ton édit ! Si je péris avant le temps, je regarde la mort comme un bienfait. Quand on vit au milieu des maux, comment n’aurait-on pas avantage à mourir ? Non, le sort qui m’attend n’a rien qui me tourmente. Si j’avais dû laisser sans sépulture un corps que ma mère a mis au monde, je ne m’en serais jamais consolée ; maintenant, je ne me tourmente plus de rien. (…) Je suis ta prisonnière ; tu vas me mettre à mort : que te faut-il de plus ?

CRÉON. Rien. Ce châtiment me satisfait.

ANTIGONE. Alors, pourquoi tardes-tu ? Tout ce que tu dis m'est odieux, je m'en voudrais du contraire et il n'est rien en moi qui ne te blesse. Et pourtant pouvais-je m'acquérir plus d'honneur qu'en mettant mon frère au tombeau ? Tous ceux qui m'entendent oseraient m'approuver, si la crainte ne leur fermait la bouche. Car la tyrannie, entre autres privilèges, peut faire et dire ce qu'il lui plaît.

CRÉON. Tu es seule, à Thèbes, à professer de pareilles opinions.

ANTIGONE, désignant le chœur. Ils pensent comme moi, mais ils se mordent les lèvres.

CRÉON. Ne rougis-tu pas de t'écarter du sentiment commun ?

ANTIGONE. Il n'y a point de honte à honorer ceux de notre sang.

CRÉON. Mais l'autre, son adversaire, n'était-il pas ton frère aussi ?

ANTIGONE. Par son père et par sa mère, oui, il était mon frère.

CRÉON. N'est-ce pas l'outrager que d'honorer l'autre ?

ANTIGONE. Il n'en jugera pas ainsi, celui qui est couché dans sa tombe.

CRÉON. Cependant ta piété le ravale au rang du criminel.

ANTIGONE. Ce n'est pas un esclave qui tombait sous ses coups ; c'était son frère.

CRÉON. L'un ravageait sa patrie ; l'autre en était le rempart.

ANTIGONE. Hadès n'a pas deux poids et deux mesures.

CRÉON. Le méchant n'a pas droit à la part du juste.

ANTIGONE. Qui sait si nos maximes restent pures aux yeux des morts ?

CRÉON. Un ennemi mort est toujours un ennemi.

ANTIGONE. Je suis faite pour partager l'amour, non la haine.
 
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  Françoise Saillen, « L'Espérance »

Au milieu d'une Création qui crie sa souffrance
L'Espérance se faufile sans bruit
Elle est bien là, au carrefour de nos errances
Quand elle vient dissiper nos nuits.

Au milieu d'un monde qui ne sait plus voir le ciel
L'Espérance chante son hymne
Il suffit que nos regards se tournent vers elle
Pour que soient chassées nos abîmes

L'Espérance se sème à tout vent
Et devient le germe d'une vie plus belle
Elle raffermit les cœurs en leur donnant
une énergie nouvelle

Au milieu d'un quotidien
Souvent envahi par le doute ou le chagrin
L'Espérance vient rallumer la flamme
Et sécher toutes les larmes

L'Espérance est la Lumière
Qui donne un sens à notre vie
Et les cœurs qu'elle éclaire
Retrouvent paix et harmonie


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Robert Desnos, « Demain »

Âgé de cent-mille ans, j'aurais encore la force
De t'attendre, ô demain pressenti par l'espoir.
Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,
Peut gémir : neuf est le matin, neuf est le soir.

Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille,
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
Nous parlons à voix basse et nous tendons l'oreille
A maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.

Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c'est pour guetter l'aurore
Qui prouvera qu'enfin nous vivons au présent.

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