Camus, L'homme révolté (extraits)
Sophocle, Antigone (confrontation entre Antigone et Créon)
Fr. Saillen, « L'Espérance »
Desnos, « Demain »
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Nous sommes les
veilleurs
Nous sommes ici
pour témoigner de notre opposition au projet de loi de mariage et d'adoption
pour les couples de même sexe. Nous venons en paix défendre le droit des
enfants à avoir un père et une mère.
Alors que
l'inimaginable surdité du gouvernement stupéfait chaque jour davantage les
Français, nous conservons notre entière sérénité pour défendre ce que nous
avons de plus cher. Ou plutôt "ceux" que nous avons de plus chers :
nos enfant d'aujourd'hui et de demain qui auront toujours le droit d'avoir un
père et une mère.
Si les plus
faibles ne sont pas défendus par les plus forts, si les envies égoïstes d'une
minorité prennent le dessus sur le droit des enfants, alors jamais plus
l'humanité ne pourra se regarder en face.
Nous savons que
le silence et la non-violence portent du fruit. C'est dans cet esprit que nous
résistons. « Nous ne nous battons pas pour notre intérêt propre, mais pour
défendre un bien précieux pour tous que nous n'aurions jamais imaginé menacé.
Ce bien - le fait que tout être humain est issu de la complémentarité d'un
homme et d'une femme - est une réalité qui vient de la nuit des temps. Propre à
l'humanité, il est à l'origine de chacun d'entre nous. »
Péguy compare
l'Espérance à une petite flamme :
Cette petite fille de rien du tout.
Elle seule, portant les autres, qui
traversera les mondes révolus.
Comme l'étoile a conduit les trois rois
du fin fond de l'Orient
Vers le berceau de mon Fils
Ainsi une flamme tremblante,
Elle seule conduira les Vertus et les
mondes.
Une flamme percera les ténèbres
éternelles.
Ainsi nos
bougies, ce soir, symbolisent l'Espérance qui est en chacun de nous.
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Albert Camus, L'homme révolté (extraits)
La
révolte naît du spectacle de la déraison, devant une condition injuste et
incompréhensible. Mais son élan aveugle revendique l'ordre au milieu du chaos
et l'unité au cœur même de ce qui fuit ou disparaît. Elle crie, elle exige,
elle veut que le scandale cesse et que se fixe ce qui jusqu'ici s'écrivait sans
trêve sur la mer.
[…]
Qu'est-ce
qu'un homme révolté ? Un homme qui dit non. Mais s'il refuse, il ne renonce pas
: c'est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement. Un esclave, qui
a reçu des ordres toute sa vie, juge soudain inacceptable un nouveau
commandement. Quel est le contenu de ce "non" ?
Il
signifie, par exemple, "les choses ont trop duré", "jusque-là
oui, au-delà non", "vous allez trop loin", et encore, "il y
a une limite que vous ne dépasserez pas". En somme, ce non affirme
l'existence d'une frontière. On retrouve la même idée de limite dans ce
sentiment du révolté que l'autre "exagère", qu'il étend son droit
au-delà d'une frontière à partir de laquelle un autre droit lui fait face et le
limite. Ainsi, le mouvement de révolte s'appuie, en même temps, sur le refus
catégorique d'une intrusion jugée intolérable et sur la certitude confuse d'un
bon droit [...]. C'est en cela que l'esclave révolté dit à la fois oui et non.
Il affirme, en même temps que la frontière, tout ce qu'il soupçonne et veut
préserver en deçà de la frontière. Il démontre, avec entêtement, qu'il y a en
lui quelque chose qui "vaut la peine de…", qui demande qu'on y prenne
garde. D'une certaine manière, il oppose à l'ordre qui l'opprime une sorte de
droit à ne pas être opprimé au-delà de ce qu'il peut admettre.
[...]
Le
révolté, au sens étymologique, fait volte-face. Il marchait sous le fouet du
maître. Le voilà qui fait face. Il oppose ce qui est préférable à ce qui ne
l'est pas. Toute valeur n'entraîne pas la révolte, mais tout mouvement de
révolte invoque tacitement une valeur. […] La révolte, contrairement à
l'opinion courante, et bien qu'elle naisse dans ce que l'homme a de plus
strictement individuel, met en cause la notion même d'individu. Si l'individu,
en effet, accepte de mourir, et meurt à l'occasion, dans le mouvement de sa
révolte, il montre par là qu'il se sacrifie au bénéfice d'un bien dont il
estime qu'il déborde sa propre destinée. S'il préfère la chance de la mort à la
négation de ce droit qu'il défend, c'est qu'il se place au-dessus de lui-même.
Il agit donc au nom d'une valeur, encore confuse, mais dont il a le sentiment,
au moins, qu'elle lui est commune avec tous les hommes. On voit que
l'affirmation impliquée dans tout acte de révolte s'étend à quelque chose qui
déborde l'individu dans la mesure où elle le tire de sa solitude supposée et le
fournit d'une raison d'agir. Mais il importe de remarquer déjà que cette valeur
qui préexiste à toute action contredit les philosophies purement historiques,
dans lesquelles la valeur est conquise au bout de l'action. L'analyse de la
révolte conduit au moins au soupçon qu'il y a une nature humaine, comme le
pensaient les Grecs, et contrairement aux postulats de la pensée contemporaine.
Pourquoi se révolter s'il n'y a, en soi, rien de permanent à préserver ? C'est
pour toutes les existences en même temps que l'esclave se dresse, lorsqu'il
juge que, par tel ordre, quelque chose en lui est nié qui ne lui appartient pas
seulement, mais qui est un lieu commun où tous les hommes, même celui qui
l'insulte et l'opprime, ont une communauté prête.
[…]
Cette
folle générosité est celle de la révolte, qui donne sans tarder sa force
d'amour et refuse sans délai l'injustice. Son honneur est de ne rien calculer,
de tout distribuer à la vie présente et à ses frères vivants. C'est ainsi
qu'elle prodigue aux hommes à venir. La vraie générosité envers l'avenir
consiste à tout donner au présent.
La révolte
prouve par là qu'elle est le mouvement même de la vie et qu'on ne peut la nier
sans renoncer à vivre. Son cri le plus pur, à chaque fois, fait se lever un
être. Elle est donc amour et fécondité, ou elle n'est rien. […] Au bout de ces
ténèbres, une lumière pourtant est
inévitable que nous devinons déjà et dont nous avons seulement à lutter pour
qu'elle soit. Par delà le nihilisme, nous tous, parmi les ruines, préparons une
renaissance. Mais peu le savent.
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Sophocle, Antigone
CRÉON. Réponds en peu de mots. Connaissais-tu
mon édit ?
ANTIGONE. Comment ne l'aurais-je pas connu ?
Il était public.
CRÉON. Et tu as osé passer outre à mon
ordonnance ?
ANTIGONE. Oui, car ce n'est pas Zeus qui l’a promulguée, et la
Justice qui siège auprès des dieux de sous terre n'en a point tracé de telles
parmi les hommes. Je ne croyais pas, certes, que tes édits eussent tant de
pouvoir qu'ils permissent à un mortel de violer les lois divines : lois non
écrites celles‑là, mais intangibles. Ce n’est pas d’aujourd’hui ni d’hier,
c’est depuis l’origine qu’elles sont en vigueur, et personne ne les a vues
naître. Leur désobéir, n'était-ce point,
par un lâche respect pour l'autorité d'un homme, encourir la rigueur des dieux
? Je savais bien que je mourrais ; c’était inévitable – et même sans ton
édit ! Si je péris avant le temps, je regarde la mort comme un bienfait.
Quand on vit au milieu des maux, comment n’aurait-on pas avantage à
mourir ? Non, le sort qui m’attend n’a rien qui me tourmente. Si j’avais
dû laisser sans sépulture un corps que ma mère a mis au monde, je ne m’en
serais jamais consolée ; maintenant, je ne me tourmente plus de rien. (…)
Je suis ta prisonnière ; tu vas me mettre à mort : que te faut-il de plus ?
CRÉON. Rien.
Ce châtiment me satisfait.
ANTIGONE.
Alors, pourquoi tardes-tu ? Tout ce que tu dis m'est
odieux, –
je m'en voudrais du contraire – et il n'est rien en moi qui ne te blesse. Et pourtant pouvais-je
m'acquérir plus d'honneur qu'en mettant mon frère au tombeau ? Tous ceux qui
m'entendent oseraient m'approuver, si la crainte ne leur fermait la bouche. Car
la tyrannie, entre autres privilèges, peut faire et dire ce qu'il lui plaît.
CRÉON. Tu es seule, à Thèbes, à professer de
pareilles opinions.
ANTIGONE, désignant
le chœur. Ils pensent comme moi, mais ils se mordent les lèvres.
CRÉON. Ne rougis-tu pas de t'écarter du
sentiment commun ?
ANTIGONE. Il n'y a point de honte à honorer
ceux de notre sang.
CRÉON. Mais l'autre, son adversaire,
n'était-il pas ton frère aussi ?
ANTIGONE. Par son père et par sa mère, oui, il
était mon frère.
CRÉON. N'est-ce pas l'outrager que d'honorer
l'autre ?
ANTIGONE. Il n'en jugera pas ainsi, celui qui
est couché dans sa tombe.
CRÉON. Cependant ta piété le ravale au rang du
criminel.
ANTIGONE. Ce n'est pas un esclave qui tombait
sous ses coups ; c'était son frère.
CRÉON. L'un ravageait sa patrie ; l'autre en
était le rempart.
ANTIGONE. Hadès n'a pas deux poids et deux
mesures.
CRÉON. Le méchant n'a pas droit à la part du
juste.
ANTIGONE. Qui sait si nos maximes restent
pures aux yeux des morts ?
CRÉON. Un ennemi mort est toujours un ennemi.
ANTIGONE. Je suis faite pour partager l'amour,
non la haine.
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Françoise Saillen, « L'Espérance »
Au milieu d'une Création qui crie sa souffrance
L'Espérance se faufile sans bruit
Elle est bien là, au carrefour de nos errances
Quand elle vient dissiper nos nuits.
Au milieu d'un monde qui ne sait plus voir le ciel
L'Espérance chante son hymne
Il suffit que nos regards se tournent vers elle
Pour que soient chassées nos abîmes
L'Espérance se sème à tout vent
Et devient le germe d'une vie plus belle
Elle raffermit les cœurs en leur donnant
une énergie nouvelle
Au milieu d'un quotidien
Souvent envahi par le doute ou le chagrin
L'Espérance vient rallumer la flamme
Et sécher toutes les larmes
L'Espérance est la Lumière
Qui donne un sens à notre vie
Et les cœurs qu'elle éclaire
Retrouvent paix et harmonie
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Robert Desnos,
« Demain »
Âgé de cent-mille ans, j'aurais encore la force
De t'attendre, ô demain pressenti par l'espoir.
Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,
Peut gémir : neuf est le matin, neuf est le soir.
Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille,
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
Nous parlons à voix basse et nous tendons l'oreille
A maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.
Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c'est pour guetter l'aurore
Qui prouvera qu'enfin nous vivons au présent.
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