vendredi 25 octobre 2013

Textes lus lors de notre 25ème veillée - 25 octobre 2013

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Témoignage d'une Veilleuse ancienne anarchiste, donné à Nantes le 25 septembre 2013 (extraits)
Boris Vian, Chansons et Poèmes, « L'Évadé » (1954)
François-Xavier Bellamy, « Que faire de celui qui ne pense pas comme moi ? » (5 mars 2013)
Jean de Baulhoo, Pensées d'un Homme, « Le devoir » (2008)

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Témoignage donné à Nantes le 25 septembre 2013, d’une Veilleuse ancienne anarchiste Nantaise (résumé : Bernadette Hautecœur)

« Au cours d’une vie humaine, on trouve de nombreux tournants, je pense que c’est le cas pour à peu près tout le monde. A vrai dire, sans un tournant majeur qui s’est produit dans ma vie, je ne serais pas en train de veiller avec vous, mais je serais plutôt en train de vous traiter d’homophobes avec nos opposants. Ce récit, si je puis dire, a deux buts. Tout d’abord, je voudrais vous montrer comment je suis passée d’une manière de m’engager à une autre. Et ensuite, je voudrais vous expliquer comment fonctionne la pensée dans le camp adverse, même s’il est possible que je me trompe, ayant quitté ce type de mouvement libertaire depuis plus de trois ans déjà.

Une première chose qui me semble importante à relever, c’est que techniquement, je n’ai pas changé d’idée sur beaucoup de points. C’est ma manière de les aborder qui a changé. Par exemple, avant, j’étais tout aussi pacifiste qu’aujourd’hui. Nos adversaires, qui ont pourtant l’air d’être d’une extrême violence, se disent aussi pacifistes que nous le sommes. La seule différence, c’est que pour eux, la paix ne s’obtient pas de la même manière que pour nous. La paix peut s’obtenir par tous les moyens, même si c’est en jetant des pavés à la figure d’autrui. La différence, et ce qui me permet de préférer les Veilleurs aux anarchistes, c’est que chez les Veilleurs, pour apporter la Paix, on fait un avec elle, on devient la Paix, on tente de la mettre en place. Chez les anarchistes, et c’est d’ailleurs une grande fierté, la Paix n’arrivera que lorsque ceux qui troublent la société par leurs pensées réactionnaires se tairont ou décideront de rejoindre leurs rangs, et pour cela, tous les moyens sont bons, y compris la violence – qui ne leur semble pas en être. Le jour où j’ai compris ce paradoxe, j’avais déjà compris beaucoup de choses.

J’aimerais vous parler également de quelque chose d’assez important : l’ouverture d’esprit. Lorsque j’étais de leur côté, pas un jour ne passait sans que je me dise « tolérante » ou « ouverte d’esprit ». Je côtoyais beaucoup de gens. Mais clairement, je n’accordais de crédit qu’à mes camarades qui se disaient de gauche, qu’à mes camarades qui se disaient athées, et ce, par principe. Je ne lisais que l’Humanité ou Le Canard Enchaîné, jamais, ô grand jamais, je ne touchais au Figaro, et encore moins à La Croix.

Amis Veilleurs, méfiez-vous bien de cela. Je pense que nous avons la Vérité, sinon, je ne me battrais pas à vos côtés aujourd’hui. Mais il faut s’attendre aussi à ce que nos adversaires puissent parfois être du côté de la Vérité, ils ne sont pas complètement dans l’erreur, et nous devons faire l’effort de comprendre ce qu’ils sont, ce qu’ils pensent, ce qui fait qu’ils se sentent rejetés par la société, en marge. Je sais que c’est dur, précisément parce que dans leur pseudo-ouverture d’esprit, jamais ils n’essayeront de comprendre notre point de vue.

Passons, si vous le voulez bien, au concept d’égalité, qui transcende notre époque. La Loi Taubira passe au nom de l’égalité, le Gender est un concept égalitariste. Je n’ai pas peur de le dire, j’aime l’égalité encore aujourd’hui. Nos adversaires aiment l’égalité. Et vous aussi, vous aimez l’égalité. Ce concept n’est tout simplement pas compris de la même manière, encore une fois. Il m’a fallu un certain temps pour le comprendre. Je l’ai compris grâce à un mythe grec, le mythe de Procuste. Simplement, à l’âge de 11 ans, je n’avais pas compris le fond de cette histoire – ou peut-être n’avait-on pas voulu le faire comprendre aux jeunes lecteurs de ce livre qui recensait les mythes gréco-latins. Procuste aimait à recevoir en sa demeure les voyageurs qui cherchaient un toit pour passer la nuit. Il leur offrait donc une chambre. Ceux de ses hôtes qui étaient plus petits que la moyenne, ne remplissaient pas la longueur du lit. Alors Procuste leur étirait les jambes, jusqu’à ce qu’ils le remplissent. Ceux qui, en revanche, étaient plus grands que la moyenne, voyaient leurs pieds dépasser du lit. Alors Procuste découpait ce qui dépassait du lit afin qu’ils aient la bonne taille pour le remplir. Procuste, c’est le concept d’égalité absolue, telle qu’on le défend quand on n’a pas compris que la richesse humaine résidait dans la différence plus que dans la ressemblance. C’est une erreur de pensée qui existe à l’échelle sociétale, c’est l’égalité selon Procuste que l’on enseigne à l’école. Du coup, on ne peut pas en vouloir à nos adversaires de penser ainsi, puisqu’on leur a dit de penser ainsi, alors ça leur paraît évident. Donner quelque chose à quelqu’un en fonction de ce qu’il est, c’est, dans leur tête, discriminatoire. Alors que dans la nôtre, ça ne l’est pas, c’est au contraire prendre en compte l’individu, le désolidariser de la masse, et lui offrir une place dans la société. Nous aimons la différence et détestons l’indifférence. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous défendons la richesse de la différence des sexes là où le reste du monde semble vouloir défendre l’indifférence des sexes, comme si être homme ou femme était secondaire, comme si c’était la même chose. Or, ce n’est pas la même chose, et c’est, je le crois sincèrement, dans cette indifférence des sexes ambiante que se nourrit le mieux le complexe identitaire, parce que finalement, si l’on peut faire des enfants en étant deux femmes, ou deux hommes, à quoi bon être une femme ou un homme ? La différence des sexes n’a-t-elle donc plus aucun sens ?

Affirmer le contraire relève de la mauvaise foi. C’est, je vous le dis, la plus grande barrière qui nous sépare de nos adversaires. Lorsque j’ai cessé d’être de mauvaise foi, j’ai cessé d’être de leur côté, parce que cette pensée est pleine de paradoxes. Leurs mots-clefs ? Les mêmes que les nôtres, à peu de choses près : amour, paix, non-violence, ouverture d’esprit, dialogue, égalité, liberté, nature. Oui, oui ! Nature, vous avez bien entendu ! Ils sont écologistes, parfois végétariens par principe, pensent que l’Homme n’est bon que lorsqu’il est en état de Nature et que la société le corrompt, on croirait entendre Rousseau cueillant ses petites fleurs, comme dans les Rêveries du Promeneur Solitaire.

Ils n’ont pas honte de leurs actions, ils en sont fiers, parce qu’ils les croient justes. Ils pensent que la violence nous ouvrira les yeux. En vérité, ils se font médecins et pensent que nous sommes des malades mentaux à soigner. Mais cette haine, qui les nourrit, détruit les autres et les détruit aussi eux-mêmes. Je peux vous le dire, ce sont des gens qui souffrent de beaucoup de choses. Ils souffrent de ne pas être entendus, alors pour être entendus, comme les media ne rapportent que du sensationnel, ils créent du sensationnel. Ils souffrent aussi parce qu’ils sont désespérés, désenchantés, même. Mon poète préféré, à l’époque, c’était Baudelaire, cela veut tout dire, non ? La beauté dans la désespérance. Ils ont conscience, comme nous, que nous vivons dans une sorte de loi de la jungle, où il faut être le plus fort pour s’en sortir. Mais là où nous, Veilleurs, sommes excellents, c’est que nous ne nous plions pas à ce jeu-là, que nous nous en sortons avec notre humilité.

Le drame de notre société, c’est qu’elle est désespérante, alors les gens désespèrent et ils désespèrent tellement qu’ils en viennent à croire à des idées qui ne s’ancrent pas dans le Réel, ils ne croient plus en l’Homme puisqu’ils cautionnent l’avortement, l’euthanasie, la recherche sur l’embryon, le mariage gay… La vie n’a plus aucun sens pour eux. Et c’est sans doute la raison pour laquelle ils ne comprennent pas qu’elle puisse encore en avoir un pour nous. Je vous ai rejoints parce que vous croyez en toutes les valeurs que j’ai citées plus haut, que vous les comprenez pleinement. Je vous ai rejoints parce que vous croyez en l’Homme et vous pensez que chaque individu a une place au cœur de la société, que les êtres humains ne sont pas interchangeables, qu’ils sont différents et que la vraie richesse réside dans la différence. Je vous ai rejoints parce que vous êtes respectueux et non pas tolérants. Je vous ai rejoints parce que vous tentez de comprendre en plus d’écouter l’autre. Je vous ai rejoints parce que vous êtes déjà en Paix, et pas uniquement dans l’idée d’une future Paix. Je vous ai rejoints, amis Veilleurs, parce que nous sommes plein d’Espérance, et non pas plein d’espoir ou d’optimisme.

Alors je le dis sans crainte, oui, les Veilleurs sont les Meilleurs, et oui, nous avons tout intérêt à continuer ainsi ! »

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     L’ÉVADÉ

     Il a dévalé la colline
     Ses pas faisaient rouler les pierres
     Là-haut entre les quatre murs
     La sirène chantait sans joie

     Il respirait l’odeur des arbres
     Avec son corps comme une forge
     La lumière l’accompagnait
     Et lui faisait danser son ombre

     Pourvu qu’ils me laissent le temps
     Il sautait à travers les herbes
     Il a cueilli deux feuilles jaunes
     Gorgées de sève et de soleil

     Les canons d’acier bleu crachaient
     De courtes flammes de feu sec
     Pourvu qu’ils me laissent le temps
     Il est arrivé près de l’eau

     Il y a plongé son visage
     Il riait de joie il a bu
     Pourvu qu’ils me laissent le temps
     Il s’est relevé pour sauter

     Pourvu qu’ils me laissent le temps
     Une abeille de cuivre chaud
     L’a foudroyé sur l’autre rive
     Le sang et l’eau se sont mêlés

     Il avait eu le temps de voir
     Le temps de boire à ce ruisseau
     Le temps de porter à sa bouche
     Deux feuilles gorgées de soleil

     Le temps d’atteindre l’autre rive
     Le temps de rire aux assassins
     Le temps de courir vers la femme

     Il avait eu le temps de vivre.

Boris Vian, Chansons et Poèmes

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François-Xavier Bellamy, « Que faire de celui qui ne pense pas comme moi ? » (extrait de « Cinq Mars : quelques réflexions sur la démocratie », 5 mars 2013)

Les hommes pensent librement, et vivent en société. De ces deux constats, on peut déduire qu’un jour, forcément, je vais croiser quelqu’un dont l’opinion sera différente de la mienne.

La politique consiste à traiter ces désaccords inévitables de telle façon qu’ils ne dissolvent pas la société. Toutes les formes politiques possibles peuvent être ramenées à deux grands types de solutions : soit je cherche à supprimer l’opinion divergente par la force, soit je veux créer les conditions d’un dialogue équitable avec elle. La première solution, c’est la loi du plus fort. Réponse primitive, instinctive, presque animale, elle prend parfois, nous le savons, des formes sophistiquées, et nos sociétés européennes ont été capables au siècle dernier de la décliner avec un raffinement atroce. Mais quelle que soit sa forme, c’est toujours le même réflexe qui demeure : la divergence m’insupporte, je refuse de la considérer, il me faut donc la supprimer.

La seconde voie est plus difficile, plus élaborée, plus civilisée : elle suppose la patience de la rencontre. Elle ne définit plus la politique comme l’exercice d’une violence plus ou moins masquée, mais comme l’organisation d’une discussion rationnelle autour des conceptions divergentes de la justice. La loi juste est alors le résultat, non de la victoire du plus fort, mais de cette recherche formalisée par une vie institutionnelle destinée à permettre et à protéger l’expression de tous. Cette seconde réponse requiert une forme d’humilité de la part de l’individu qui se sait précédé par ce qu’il recherche, et qui dépasse sa seule opinion personnelle.

Malgré l’infinité de nuances possibles, la question qui nous est posée est toujours identique : que faire de celui qui ne pense pas comme moi ? Suis-je prêt à prendre le risque d’un vrai dialogue, ou me suffit-il d’être le plus fort ? Guerre ou paix, force ou respect, violence ou démocratie ?

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       Le devoir

            Une pointe de lance
            Soigneusement lustrée,
            Au soleil de l’enfance,
            Ayant toujours brillée,

            Sans autre souffrance
            Venue s’emprisonner,
            Avant l’adolescence,
            Aux cœurs nobles et biens nés,
           
            Comme une présence,
            Un moment ignorée,
            A l’âge d’indépendance
            Venue nous rappeler,

            Ce qu’est la chance
            Des enfants initiés,
            A cette rude vigilance,
            Qui fait la chair saigner,

            Cette allégeance
            Aux leçons du passé,
            Qui jamais ne dispense,
            Et constamment renaît.

  Jean de Baulhoo
  Pensées d’un Homme
  Edilivre, 2008

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