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Témoignage d'une Veilleuse ancienne anarchiste, donné à Nantes le 25 septembre 2013 (extraits)
Boris Vian, Chansons et Poèmes, « L'Évadé » (1954)
François-Xavier Bellamy, « Que faire de celui qui ne pense pas comme moi ? » (5 mars 2013)
Jean de Baulhoo, Pensées d'un Homme, « Le devoir » (2008)
Témoignage donné
à Nantes le 25 septembre 2013, d’une Veilleuse ancienne anarchiste Nantaise
(résumé : Bernadette Hautecœur)
« Au cours d’une
vie humaine, on trouve de nombreux tournants, je pense que c’est le cas pour à
peu près tout le monde. A vrai dire, sans un tournant majeur qui s’est produit
dans ma vie, je ne serais pas en train de veiller avec vous, mais je serais
plutôt en train de vous traiter d’homophobes avec nos opposants. Ce récit, si
je puis dire, a deux buts. Tout d’abord, je voudrais vous montrer comment je
suis passée d’une manière de m’engager à une autre. Et ensuite, je voudrais
vous expliquer comment fonctionne la pensée dans le camp adverse, même s’il est
possible que je me trompe, ayant quitté ce type de mouvement libertaire depuis
plus de trois ans déjà.
Une première
chose qui me semble importante à relever, c’est que techniquement, je n’ai pas
changé d’idée sur beaucoup de points. C’est ma manière de les aborder qui a
changé. Par exemple, avant, j’étais tout aussi pacifiste qu’aujourd’hui. Nos
adversaires, qui ont pourtant l’air d’être d’une extrême violence, se disent
aussi pacifistes que nous le sommes. La seule différence, c’est que pour eux,
la paix ne s’obtient pas de la même manière que pour nous. La paix peut
s’obtenir par tous les moyens, même si c’est en jetant des pavés à la figure
d’autrui. La différence, et ce qui me permet de préférer les Veilleurs aux
anarchistes, c’est que chez les Veilleurs, pour apporter la Paix, on fait un
avec elle, on devient la Paix, on tente de la mettre en place. Chez les
anarchistes, et c’est d’ailleurs une grande fierté, la Paix n’arrivera que
lorsque ceux qui troublent la société par leurs pensées réactionnaires se
tairont ou décideront de rejoindre leurs rangs, et pour cela, tous les moyens
sont bons, y compris la violence – qui ne leur semble pas en être. Le jour où
j’ai compris ce paradoxe, j’avais déjà compris beaucoup de choses.
J’aimerais vous
parler également de quelque chose d’assez important : l’ouverture d’esprit.
Lorsque j’étais de leur côté, pas un jour ne passait sans que je me dise «
tolérante » ou « ouverte d’esprit ». Je côtoyais beaucoup de gens. Mais
clairement, je n’accordais de crédit qu’à mes camarades qui se disaient de
gauche, qu’à mes camarades qui se disaient athées, et ce, par principe. Je ne
lisais que l’Humanité ou Le Canard Enchaîné, jamais, ô grand jamais, je ne
touchais au Figaro, et encore moins à La Croix.
Amis Veilleurs,
méfiez-vous bien de cela. Je pense que nous avons la Vérité, sinon, je ne me
battrais pas à vos côtés aujourd’hui. Mais il faut s’attendre aussi à ce que
nos adversaires puissent parfois être du côté de la Vérité, ils ne sont pas
complètement dans l’erreur, et nous devons faire l’effort de comprendre ce
qu’ils sont, ce qu’ils pensent, ce qui fait qu’ils se sentent rejetés par la
société, en marge. Je sais que c’est dur, précisément parce que dans leur
pseudo-ouverture d’esprit, jamais ils n’essayeront de comprendre notre point de
vue.
Passons, si vous
le voulez bien, au concept d’égalité, qui transcende notre époque. La Loi
Taubira passe au nom de l’égalité, le Gender est un concept égalitariste. Je
n’ai pas peur de le dire, j’aime l’égalité encore aujourd’hui. Nos adversaires
aiment l’égalité. Et vous aussi, vous aimez l’égalité. Ce concept n’est tout
simplement pas compris de la même manière, encore une fois. Il m’a fallu un
certain temps pour le comprendre. Je l’ai compris grâce à un mythe grec, le
mythe de Procuste. Simplement, à l’âge de 11 ans, je n’avais pas compris le
fond de cette histoire – ou peut-être n’avait-on pas voulu le faire comprendre
aux jeunes lecteurs de ce livre qui recensait les mythes gréco-latins. Procuste
aimait à recevoir en sa demeure les voyageurs qui cherchaient un toit pour
passer la nuit. Il leur offrait donc une chambre. Ceux de ses hôtes qui étaient
plus petits que la moyenne, ne remplissaient pas la longueur du lit. Alors
Procuste leur étirait les jambes, jusqu’à ce qu’ils le remplissent. Ceux qui,
en revanche, étaient plus grands que la moyenne, voyaient leurs pieds dépasser
du lit. Alors Procuste découpait ce qui dépassait du lit afin qu’ils aient la
bonne taille pour le remplir. Procuste, c’est le concept d’égalité absolue,
telle qu’on le défend quand on n’a pas compris que la richesse humaine résidait
dans la différence plus que dans la ressemblance. C’est une erreur de pensée
qui existe à l’échelle sociétale, c’est l’égalité selon Procuste que l’on
enseigne à l’école. Du coup, on ne peut pas en vouloir à nos adversaires de
penser ainsi, puisqu’on leur a dit de penser ainsi, alors ça leur paraît
évident. Donner quelque chose à quelqu’un en fonction de ce qu’il est, c’est,
dans leur tête, discriminatoire. Alors que dans la nôtre, ça ne l’est pas,
c’est au contraire prendre en compte l’individu, le désolidariser de la masse,
et lui offrir une place dans la société. Nous aimons la différence et détestons
l’indifférence. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous défendons la
richesse de la différence des sexes là où le reste du monde semble vouloir
défendre l’indifférence des sexes, comme si être homme ou femme était
secondaire, comme si c’était la même chose. Or, ce n’est pas la même chose, et
c’est, je le crois sincèrement, dans cette indifférence des sexes ambiante que
se nourrit le mieux le complexe identitaire, parce que finalement, si l’on peut
faire des enfants en étant deux femmes, ou deux hommes, à quoi bon être une
femme ou un homme ? La différence des sexes n’a-t-elle donc plus aucun sens ?
Affirmer le
contraire relève de la mauvaise foi. C’est, je vous le dis, la plus grande
barrière qui nous sépare de nos adversaires. Lorsque j’ai cessé d’être de
mauvaise foi, j’ai cessé d’être de leur côté, parce que cette pensée est pleine
de paradoxes. Leurs mots-clefs ? Les mêmes que les nôtres, à peu de choses près
: amour, paix, non-violence, ouverture d’esprit, dialogue, égalité, liberté,
nature. Oui, oui ! Nature, vous avez bien entendu ! Ils sont écologistes,
parfois végétariens par principe, pensent que l’Homme n’est bon que lorsqu’il
est en état de Nature et que la société le corrompt, on croirait entendre
Rousseau cueillant ses petites fleurs, comme dans les Rêveries du Promeneur
Solitaire.
Ils n’ont pas
honte de leurs actions, ils en sont fiers, parce qu’ils les croient justes. Ils
pensent que la violence nous ouvrira les yeux. En vérité, ils se font médecins
et pensent que nous sommes des malades mentaux à soigner. Mais cette haine, qui
les nourrit, détruit les autres et les détruit aussi eux-mêmes. Je peux vous le
dire, ce sont des gens qui souffrent de beaucoup de choses. Ils souffrent de ne
pas être entendus, alors pour être entendus, comme les media ne rapportent que
du sensationnel, ils créent du sensationnel. Ils souffrent aussi parce qu’ils
sont désespérés, désenchantés, même. Mon poète préféré, à l’époque, c’était
Baudelaire, cela veut tout dire, non ? La beauté dans la désespérance. Ils ont
conscience, comme nous, que nous vivons dans une sorte de loi de la jungle, où
il faut être le plus fort pour s’en sortir. Mais là où nous, Veilleurs, sommes
excellents, c’est que nous ne nous plions pas à ce jeu-là, que nous nous en
sortons avec notre humilité.
Le drame de
notre société, c’est qu’elle est désespérante, alors les gens désespèrent et
ils désespèrent tellement qu’ils en viennent à croire à des idées qui ne
s’ancrent pas dans le Réel, ils ne croient plus en l’Homme puisqu’ils
cautionnent l’avortement, l’euthanasie, la recherche sur l’embryon, le mariage
gay… La vie n’a plus aucun sens pour eux. Et c’est sans doute la raison pour
laquelle ils ne comprennent pas qu’elle puisse encore en avoir un pour nous. Je
vous ai rejoints parce que vous croyez en toutes les valeurs que j’ai citées
plus haut, que vous les comprenez pleinement. Je vous ai rejoints parce que
vous croyez en l’Homme et vous pensez que chaque individu a une place au cœur
de la société, que les êtres humains ne sont pas interchangeables, qu’ils sont
différents et que la vraie richesse réside dans la différence. Je vous ai
rejoints parce que vous êtes respectueux et non pas tolérants. Je vous ai
rejoints parce que vous tentez de comprendre en plus d’écouter l’autre. Je vous
ai rejoints parce que vous êtes déjà en Paix, et pas uniquement dans l’idée
d’une future Paix. Je vous ai rejoints, amis Veilleurs, parce que nous sommes
plein d’Espérance, et non pas plein d’espoir ou d’optimisme.
Alors je le dis
sans crainte, oui, les Veilleurs sont les Meilleurs, et oui, nous avons tout
intérêt à continuer ainsi ! »
***************
L’ÉVADÉ
Il a dévalé la
colline
Ses pas faisaient
rouler les pierres
Là-haut entre
les quatre murs
La sirène
chantait sans joie
Il respirait
l’odeur des arbres
Avec son corps
comme une forge
La lumière
l’accompagnait
Et lui faisait
danser son ombre
Pourvu qu’ils me
laissent le temps
Il sautait à
travers les herbes
Il a cueilli
deux feuilles jaunes
Gorgées de sève
et de soleil
Les canons
d’acier bleu crachaient
De courtes
flammes de feu sec
Pourvu qu’ils me
laissent le temps
Il est arrivé
près de l’eau
Il y a plongé
son visage
Il riait de joie
il a bu
Pourvu qu’ils me
laissent le temps
Il s’est relevé
pour sauter
Pourvu qu’ils me
laissent le temps
Une abeille de
cuivre chaud
L’a foudroyé sur
l’autre rive
Le sang et l’eau
se sont mêlés
Il avait eu le
temps de voir
Le temps de
boire à ce ruisseau
Le temps de porter à sa bouche
Deux feuilles gorgées de soleil
Le temps d’atteindre l’autre rive
Le temps de rire aux assassins
Le temps de courir vers la femme
Il avait eu le temps de vivre.
Boris Vian, Chansons et Poèmes
***************
François-Xavier Bellamy, « Que faire de celui qui ne
pense pas comme moi ? » (extrait de « Cinq Mars : quelques réflexions sur la
démocratie », 5 mars 2013)
Les hommes pensent librement, et vivent en société. De
ces deux constats, on peut déduire qu’un jour, forcément, je vais croiser
quelqu’un dont l’opinion sera différente de la mienne.
La politique consiste à traiter ces désaccords
inévitables de telle façon qu’ils ne dissolvent pas la société. Toutes les
formes politiques possibles peuvent être ramenées à deux grands types de
solutions : soit je cherche à supprimer l’opinion divergente par la force, soit
je veux créer les conditions d’un dialogue équitable avec elle. La première
solution, c’est la loi du plus fort. Réponse primitive, instinctive, presque animale,
elle prend parfois, nous le savons, des formes sophistiquées, et nos sociétés
européennes ont été capables au siècle dernier de la décliner avec un
raffinement atroce. Mais quelle que soit sa forme, c’est toujours le même
réflexe qui demeure : la divergence m’insupporte, je refuse de la considérer,
il me faut donc la supprimer.
La seconde voie est plus difficile, plus élaborée,
plus civilisée : elle suppose la patience de la rencontre. Elle ne définit plus
la politique comme l’exercice d’une violence plus ou moins masquée, mais comme
l’organisation d’une discussion rationnelle autour des conceptions divergentes
de la justice. La loi juste est alors le résultat, non de la victoire du plus
fort, mais de cette recherche formalisée par une vie institutionnelle destinée
à permettre et à protéger l’expression de tous. Cette seconde réponse requiert
une forme d’humilité de la part de l’individu qui se sait précédé par ce qu’il
recherche, et qui dépasse sa seule opinion personnelle.
Malgré l’infinité de nuances possibles, la question
qui nous est posée est toujours identique : que faire de celui qui ne pense pas
comme moi ? Suis-je prêt à prendre le risque d’un vrai dialogue, ou me
suffit-il d’être le plus fort ? Guerre ou paix, force ou respect, violence ou démocratie
?
***************
Le devoir
Une
pointe de lance
Soigneusement
lustrée,
Au
soleil de l’enfance,
Ayant
toujours brillée,
Sans
autre souffrance
Venue
s’emprisonner,
Avant
l’adolescence,
Aux
cœurs nobles et biens nés,
Comme
une présence,
Un
moment ignorée,
A
l’âge d’indépendance
Venue
nous rappeler,
Ce qu’est la chance
Des enfants initiés,
A cette rude vigilance,
Qui fait la chair saigner,
Cette allégeance
Aux leçons du passé,
Qui jamais ne dispense,
Et constamment renaît.
Jean de Baulhoo
Pensées d’un Homme
Edilivre, 2008
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