Si vous le souhaitez, vous pouvez lire notre page en écoutant de la musique
(fichier téléchargeable)
Comme pour l'esprit rien n'est trop grand,
pour la bonté rien n'est trop petit.
pour la bonté rien n'est trop petit.
SAINT JEAN-PAUL II
Alexandre Soljenitsyne, L'Archipel du goulag, « La ligne de partage entre le bien et le mal » (1973)
Marie Jenna, Élévations poétiques et religieuses, « La cathédrale de Strasbourg » (1864)
Lettres de Poilus, « Lettre de Julien Christol à ses parents » (15 octobre 1914)
Victor Hugo, L'année terrible, « À la France » (1871)
ESPOIR
Tu seras
La force
Silencieuse
Et solitaire ;
Le félin ;
La panthère
Noire
Sans tanière ;
Rare
Comme l'ébène
Des forêts
Lointaines ;
Et dans tes yeux
De braise
Brilleront des feux
Sur la falaise,
Bien plus
Que les éclats du phare
Qu'implorent les marins
Dans les brisants du soir.
Jean de Baulhoo
Pensées d'un homme
Edilivre, 2008
***************
La ligne de
partage entre le bien et le mal
Alexandre Soljenitsyne, L'Archipel
du goulag (1973)
Sur la paille pourrie de la
prison, j'ai ressenti pour la première fois le bien remuer en moi. Peu à peu
j'ai découvert que la ligne de partage entre le bien et le mal ne sépare ni les
États ni les classes ni les partis, mais qu'elle traverse le cœur de chaque
homme et de toute l'humanité. Dans un cœur envahi par le mal, elle préserve un
bastion du bien. Cette ligne est mobile, elle oscille en nous avec les années.
Dans le meilleur des cœurs - un coin d'où le mal n'a pas été déraciné.
Dès lors, j'ai compris la
vérité de toutes les religions du monde : elles luttent avec le mal en l'homme
(en chaque homme). Il est impossible de chasser tout à fait le mal hors du
monde, mais en chaque homme on peut le réduire.
Dès lors, j'ai compris le
mensonge de toutes les révolutions de l'histoire : elles se bornent à supprimer
les agents du mal qui leur sont contemporains (et de plus, dans leur hâte, sans
discernement, les agents du bien), mais le mal lui-même leur revient en
héritage, encore amplifié. (...)
J'ai passé de nombreuses
années à dévider ces réflexions douloureuses et quand on me parle de
l'insensibilité de nos hauts fonctionnaires ou de la cruauté des bourreaux, je
me revois avec mes galons de capitaine conduisant ma batterie (d'artillerie) à
travers la Prusse ravagée par les incendies, et je dis : "Nous autres, avons-nous
été meilleurs ?"
Quand on me fait remarquer
avec amertume la mollesse de l'Occident, sa myopie politique, ses divisions,
son désarroi, j'invoque le passé :
"Ceux d'entre nous qui
ne sont pas passés par l'Archipel ont-ils eu des pensées plus fermes, plus
fortes ?"
C'est pourquoi je me tourne
vers mes années de détention et dis, non sans étonner ceux qui m'entourent :
"BÉNIE SOIS-TU PRISON !"
***************
La cathédrale de
Strasbourg
Seigneur, si
votre peuple en sa triste folie
Pour des biens mensongers
si souvent vous oublie,
Ah ! nous vous
bénissons de ce que, parmi nous,
Ce qu’on voit de
plus beau, mon Dieu, fut fait pour vous ;
De ce que,
par-dessus tous les bruits de la terre,
Bruits de
cupidité, bruits de haine et de guerre,
Bruits du passé
qui tombe et du présent qui fuit,
Vaine agitation
du jour et de la nuit,
Voix de
l’ambition, plainte de la souffrance,
Vous avez fait
monter le cri de l’espérance !
Légers festons
de pierre autour des saints vitraux,
Cintres, piliers
hardis, colonnes en faisceaux,
Dites qui vous
créa. Fut-ce la main des anges ?
Et voyait-on
parfois des célestes phalanges
Passer les
voiles blancs et les écharpes d’or,
Quand de la
flèche au ciel elles prenaient l’essor ?
Non, ce ne fut
point eux ; non, non, ce sont des hommes,
Des hommes
impuissants, pauvres comme nous sommes.
Ils ont dit :
Travaillons ! et que Dieu vienne là !
Et puis ils ont
prié, puis ils ont fait cela.
Salut ! portail
sacré : salut ! flèche gothique ;
Salut ! temple
béni, vieux géant catholique,
Qui des saints
monuments, palais du Roi des rois,
As su porter
plus haut le signe de la croix.
Ô toi, de nos
aïeux magnifique héritage,
À tous leurs
descendants parle un divin langage :
Puisqu’il faut
en passant vers toi lever les yeux,
Ils seront bien
forcés de regarder les cieux,
Oh ! dis-leur
qu’il est triste et qu’il est misérable
De ne voir
ici-bas qu’un peu d’or et de sable ;
Dis-leur que
l’homme est grand quand il est à genoux
Devant le Dieu
si grand qui s’abaissa pour nous ;
Dis-leur qu’il
faut à l’âme un lumineux mystère,
Et qu’elle se
dilate et vit dans la prière ;
Que leurs riches
palais s’écrouleront demain,
Et que tu
resteras, toi, jusques à la fin.
Qu’au dernier
jour encor Dieu respecte ta cime,
Et que seule
elle plane au-dessus de l’abîme,
Pour être un
piédestal à l’archange vainqueur
Qui viendra
réveiller les élus du Seigneur !
Marie Jenna, Élévations
poétiques et religieuses (1864)
***************
Lettre de Julien Christol à ses parents
Julien Christol
avait 22 ans en 1914...
Saint-Denis, le 15 octobre
1914,
Cher papa, Chère maman,
Avant de quitter Saint-Denis
pour les lignes de feu, je tiens à vous dire mes dernières volontés.
C’est avec conscience et en
toute connaissance de cause que j’ai demandé à partir. J’ai voulu rester digne
du nom de Christol. C’est le seul et le plus bel héritage que vous puissiez
nous transmettre. Vous nous avez toujours dit que nous devions accomplir notre
devoir entièrement malgré tous les sacrifices qu’il comporte ; le moment est
venu, il faut chasser les barbares, les massacreurs de femmes et d’enfants, ceux
qui ont détruit l’héritage artistique de nos aïeux et qui ont voulu rabaisser
l’homme au niveau des sauvages ; il faut chasser tout cela de notre belle
France, et pas un Français n’est de trop.
Tous nous devons avec
résignation donner notre vie à la Patrie tels les Anciens et nos aïeux de 89,
restons dignes d’eux.
Je pars avec votre
bénédiction.
Vous êtes tous deux résignés
et prêts au dernier sacrifice. Quand vous ouvrirez la présente, je ne serai
plus, mais je resterai au fond de vos tendres cœurs. Vous n’aurez pas à rougir
de vos pauvres fils et vous pourrez parler d’eux avec fierté.
Je n’ai rien à léguer, vous
le savez.
Je voudrais que de temps en
temps vous parliez de moi à mes petits neveux, à Pierre surtout, il fut une de
mes dernières joies à Saint-Denis.
Je voudrais surtout, et je
sais que vous le ferez, que vous consoliez ma chère Andrée. J’ai brisé sa vie
en voulant la rendre heureuse. Nous faisions un rêve trop beau tous les deux,
les circonstances l’ont changé.
Je sais, mon cher papa, que
tu remplaceras le père qu’elle a perdu. Je voudrais aussi, si elle y consent,
et si vous faites des lettres de faire-part, qu’elle figure sur elles. Son
amour fut grand et mérite d’être récompensé. Nos âmes et nos cœurs ne faisaient
qu’un, nos pensées étaient les mêmes. Il ne manquait que la consécration de
notre union.
Voici à peu près tous mes
désirs et je souhaite de tout mon cœur que vous ne lisiez jamais cette lettre.
Recevez mes plus affectueux
baisers. Vous avez toujours été bons pour nous ; il a fallu qu’une guerre
barbare détruise la douce maison de la Varenne où j’ai passé de si bons moments
près de vous et de la famille. L’homme propose, Dieu dispose. Adieu, j’aurais
aimé vous rendre la vie heureuse que vous avez faites à tous, mais hélas ayez
du courage, c’est pour la France et la Justice que votre Julien est mort.
Adieu.
Julien CHRISTOL
***************
Victor Hugo, À la France (1871)
Personne pour toi. Tous sont d'accord. Celui-ci,
Nommé Gladstone, dit à tes bourreaux : merci !
Cet autre, nommé Grant, te conspue, et cet autre,
Nommé Bancroft, t'outrage ; ici c'est un apôtre,
Là c'est un soldat, là c'est un juge, un tribun,
Un prêtre, l'un du Nord, l'autre du Sud ; pas un
Que ton sang, à grands flots versé, ne satisfasse ;
Pas un qui sur ta croix ne te crache à la face.
Hélas ! qu'as-tu donc fait aux nations ? Tu vins
Vers celles qui pleuraient, avec ces mots divins :
Joie et Paix ! - Tu criais : - Espérance ! Allégresse
!
Sois puissante, Amérique, et toi sois libre, ô Grèce !
L'Italie était grande ; elle doit l'être encor.
Je le veux ! - Tu donnas à celle-ci ton or ;
A celle-là ton sang, à toutes la lumière.
Tu défendis le droit des hommes, coutumière
De tous les dévoûments et de tous les devoirs.
Comme le bœuf revient repu des abreuvoirs,
Les hommes sont rentrés pas à pas à l'étable,
Rassasiés de toi, grande sœur redoutable,
De toi qui protégeas, de toi qui combattis.
Ah ! se montrer ingrats, c'est se prouver petits.
N'importe ! pas un d'eux ne te connaît. Leur foule
T'a huée, à cette heure où ta grandeur s'écroule,
Riant de chaque coup de marteau qui tombait
Sur toi, nue et sanglante et clouée au gibet.
Leur pitié plaint tes fils que la fortune amère
Condamne à la rougeur de t'avouer pour mère.
Tu ne peux pas mourir, c'est le regret qu'on a.
Tu penches dans la nuit ton front qui rayonna ;
L'aigle de l'ombre est là qui te mange le foie ;
C'est à qui reniera la vaincue ; et la joie
Des rois pillards, pareils aux bandits des Adrets,
Charme l'Europe et plaît au monde... - Ah ! je
voudrais,
Je voudrais n'être pas Français pour pouvoir dire
Que je te choisis, France, et que, dans ton martyre,
Je te proclame, toi que ronge le vautour,
Ma patrie et ma gloire et mon unique amour !