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La beauté sauvera le monde.
DOSTOÏEVSKI
Alexandre Soljenitsyne, Le déclin du courage, « Matérialisme contre spiritualité » (8 juin 1978)
Nérée Beauchemin, Les Floraisons matutinales, « Giboulée » (1897)
Alexandre Soljenitsyne, Le déclin du courage, « La presse » (8 juin 1978)
Marie Jenna, Élévations poétiques et religieuses, « Tableau de Nuit » (1864)
Victor Hugo, Les rayons et les ombres, « Mères, l'enfant qui joue à votre seuil joyeux » (mars 1840)
Le pays
C’est bleu
Comme l’azur
Des cieux
C’est blanc
Comme le soleil
De printemps
C’est vermillon
Comme le sang
D’un dragon
C’est tricolore
Comme le drapeau
Qui dort
C’est français
Comme l’or
Des champs de
blé
C’est éternel
Comme les
étoiles
Dans le ciel
C’est mon pays
Comme ma famille
Ma patrie
Jean de Baulhoo,
Livret de poésie de France, Éditions Nouvelle Pléiade, 2012
***************
LE DÉCLIN DU COURAGE
Extraits du discours prononcé par Alexandre
Soljenitsyne à Harvard le 8 juin 1978.
Texte 2 : « Matérialisme contre spiritualité »
Il est universellement admis que l'Ouest montre la
voie au monde entier vers le développement économique réussi (...). Et
pourtant, beaucoup d'hommes à l'Ouest ne sont pas satisfaits de la société dans
laquelle ils vivent. Ils la méprisent, ou l'accusent de ne plus être au niveau
de maturité requis par l'humanité. Et beaucoup sont amenés à glisser vers le
socialisme, ce qui est une tentation fausse et dangereuse. J'espère que
personne ici présent ne me suspectera de vouloir exprimer une critique du
système occidental dans l'idée de suggérer le socialisme comme alternative.
Non, pour avoir connu un pays où le socialisme a été mis en œuvre, je ne
prononcerai pas en faveur d'une telle alternative. (...) Mais si l'on me
demandait si, en retour, je pourrais proposer l'Ouest, en son état actuel,
comme modèle pour mon pays, il me faudrait en toute honnêteté répondre par la
négative. Non, je ne prendrais pas votre société comme modèle pour la
transformation de la mienne. (...). Bien sûr, une société ne peut rester dans
des abîmes d'anarchie, comme c'est le cas dans mon pays. Mais il est tout aussi
avilissant pour elle de rester dans un état affadi et sans âme de légalisme,
comme c'est le cas de la vôtre. Après avoir souffert pendant des décennies de
violence et d'oppression, l'âme humaine aspire à des choses plus élevées, plus
brûlantes, plus pures que celles offertes aujourd'hui par les habitudes d'une
société massifiée, forgées par l'invasion révoltante de publicités commerciales,
par l'abrutissement télévisuel, et par une musique intolérable.
(...) Le mode de vie occidental apparaît de moins en
moins comme le modèle directeur. Il est des symptômes révélateurs par lesquels
l'histoire lance des avertissements à une société menacée ou en péril. De tels
avertissements sont, en l'occurrence, le déclin des arts, ou le manque de
grands hommes d'État. (...)
Mais le combat pour notre planète, physique et
spirituel, (...) a déjà commencé. Les forces du Mal ont commencé leur offensive
décisive. (...)
Comment l'Ouest a-t-il pu décliner, de son pas
triomphal à sa débilité présente ? A-t-il connu dans son évolution des points
de non-retour qui lui furent fatals, a-t-il perdu son chemin ? Il ne semble pas
que cela soit le cas. L'Ouest a continué à avancer d'un pas ferme en adéquation
avec ses intentions proclamées pour la société, main dans la main avec un
progrès technologique étourdissant. Et tout soudain il s'est trouvé dans son
état présent de faiblesse. Cela signifie que l'erreur doit être à la racine, à
la fondation de la pensée moderne. Je parle de la vision du monde qui a prévalu
en Occident à l'époque moderne (...), née à la Renaissance, et dont les
développements politiques se sont manifestés à partir des Lumières. Elle est
devenue la base de la doctrine sociale et politique et pourrait être appelée
l'humanisme rationaliste, ou l'autonomie humaniste : l'autonomie proclamée et
pratiquée de l'homme à l'encontre de toute force supérieure à lui. On peut
parler aussi d'anthropocentrisme : l'homme est vu au centre de tout.
(...) En s'écartant de l'esprit, l'homme s'empara de
tout ce qui est matériel, avec excès et sans mesure. La pensée humaniste, qui
s'est proclamée notre guide, n'admettait pas l'existence d'un mal intrinsèque
en l'homme, et ne voyait pas de tâche plus noble que d'atteindre le bonheur sur
terre. Voilà qui engagea la civilisation occidentale moderne naissante sur la
pente dangereuse de l'adoration de l'homme et de ses besoins matériels. Tout ce
qui se trouvait au-delà du bien-être physique et de l'accumulation de biens
matériels, tous les autres besoins humains, caractéristiques d'une nature
subtile et élevée, furent rejetés hors du champ d'intérêt de l'État et du
système social, comme si la vie n'avait pas un sens plus élevé. De la sorte,
des failles furent laissées ouvertes pour que s'y engouffre le mal, et son
haleine putride souffle librement aujourd'hui. Plus de liberté en soi ne résout
pas le moins du monde l'intégralité des problèmes humains, et même en ajoute un
certain nombre de nouveaux.
Et pourtant, dans les jeunes démocraties, (...) tous
les droits de l'homme individuels reposaient sur la croyance que l'homme est
une créature de Dieu. C'est-à-dire que la liberté était accordée à l'individu
de manière conditionnelle, soumise constamment à sa responsabilité religieuse.
Tel fut l'héritage du siècle passé.
Toutes les limitations de cette sorte s'émoussèrent en
Occident, une émancipation complète survint, malgré l'héritage moral de siècles
chrétiens, avec leurs prodiges de miséricorde et de sacrifice. Les États
devinrent sans cesses plus matérialistes. L'Occident a défendu avec succès, et
même surabondamment, les droits de l'homme, mais l'homme a vu complètement
s'étioler la conscience de sa responsabilité devant Dieu et la société. Durant
ces dernières décennies, cet égoïsme juridique de la philosophie occidentale a
été définitivement réalisé, et le monde se retrouve dans une cruelle crise
spirituelle et dans une impasse politique. Et tous les succès techniques (...)
n'ont pas réussi à racheter la misère morale dans laquelle est tombé le XXème
siècle (...).
Mais il est une catastrophe qui pour beaucoup est déjà
présente pour nous. Je veux parler du désastre d'une conscience humaniste
parfaitement autonome et irréligieuse.
Elle a fait de l'homme la mesure de toutes choses sur
terre, l'homme imparfait, qui n'est jamais dénué d'orgueil, d'égoïsme, d'envie,
de vanité, et tant d'autres défauts. Nous payons aujourd'hui les erreurs qui
n'étaient pas apparues comme telles au début de notre voyage. Sur la route qui
nous a amenés de la Renaissance à nos jours, notre expérience s'est enrichie,
mais nous avons perdu l'idée d'une entité supérieure qui autrefois réfrénait
nos passions et notre irresponsabilité.
Nous avions placé trop d'espoirs dans les
transformations politico-sociales, et il se révèle qu'on nous enlève ce que
nous avons de plus précieux : notre vie intérieure. A l'Est, c'est la foire du
Parti qui la foule aux pieds, à l'Ouest la foire du Commerce (...). Si l'homme,
comme le déclare l'humanisme, n'était né que pour le bonheur, il ne serait pas
né non plus pour la mort. Mais corporellement voué à la mort, sa tâche sur
cette terre n'en devient que plus spirituelle : non pas un gorgement de
quotidienneté, non pas la recherche des meilleurs moyens d'acquisition, puis de
joyeuse dépense des biens matériels, mais l'accomplissement d'un dur et
permanent devoir, en sorte que tout le chemin de notre vie devienne
l'expérience d'une élévation avant tout spirituelle : quitter cette vie en
créatures plus hautes que nous n'y étions entrés.
Il est impératif que nous revoyions à la hausse
l'échelle de nos valeurs humaines. Sa pauvreté actuelle est effarante. Il n'est
pas possible que l'aune qui sert à mesurer de l'efficacité d'un président se
limite à la question de combien d'argent l'on peut gagner, ou de la pertinence
de la construction d'un gazoduc. Ce n'est que par un mouvement volontaire de
modération de nos passions, sereine et acceptée par nous, que l'humanité peut
s'élever au-dessus du courant de matérialisme qui emprisonne le monde.
(...) Notre vie doit changer si elle ne veut pas périr
par sa propre faute. Nous ne pouvons nous dispenser de rappeler ce qu'est
fondamentalement la vie, la société. Est-ce vrai que l'homme est au-dessus de
tout ? N'y a-t-il aucun esprit supérieur au-dessus de lui ? Les activités
humaines et sociales peuvent-elles légitimement être réglées par la seule
expansion matérielle ? A-t-on le droit de promouvoir cette expansion au
détriment de l'intégrité de notre vie spirituelle ?
Si le monde ne touche pas à sa fin, il a atteint une
étape décisive dans son histoire, semblable en importance au tournant qui a
conduit du Moyen âge à la Renaissance. Cela va requérir de nous un embrasement
spirituel. Il nous faudra nous hisser à une nouvelle hauteur de vue, à une
nouvelle conception de la vie, où notre nature physique ne sera pas maudite,
comme elle a pu l'être au Moyen-âge, mais, ce qui est bien plus important, où
notre être spirituel ne sera pas non plus piétiné, comme il le fut à l'ère
moderne.
Notre ascension nous mène à une nouvelle étape
anthropologique. Nous n'avons pas d'autre choix que de monter... toujours plus
haut.
***************
Nérée Beauchemin (1850-1931).
Recueil : Les floraisons matutinales (1897).
Giboulée.
De grands brouillards couleur de suie,
Chassés par un vent sans pareil,
Passent à plein vol : neige et pluie
Tombent, brillantes de soleil.
Sur les toits, globule à globule,
Pétillent grésil et grêlons ;
Et la vitre tintinnabule :
On croit ouïr des carillons.
Sans répit, la mitraille fine
Sautille, étincelle, bruit :
Puis une bruine argentine
Filtre du nuage qui fuit.
Nul crayon ne pourrait décrire
Ce temps qui change en un clin d'œil.
Des pleurs se mêlent au sourire
Qu'avril donne à l'hiver en deuil.
Une aveuglante soleillée
Jaillit tout à coup du ciel bleu ;
Il semble que la giboulée
Darde mille aiguilles de feu.
Étoiles de glace fleuries,
Prismes de cristal délicats :
On dirait mille pierreries,
Mille papillotants micas.
Mais ces joyaux se fondent vite.
L'astre qui déjà flambe haut,
Dans l'azur éclairci gravite
De plus en plus clair et plus chaud.
En dépit de la bise froide,
Ses obliques rayons tiédis
Font mollir la ramure roide
Des vieux érables engourdis.
Au fond des forêts que décorent
Sapins verts et blancs merisiers,
Les sirops odorants se dorent
Au feu des résineux brasiers.
De l'écorce fraîche entaillée,
Dans les vases de fin bouleau,
Pure, cristalline, emmiellée,
Goutte à goutte distille l'eau.
Maintenant le couchant rougeoie.
L'oiseau, qui pressent les beaux jours,
Raconte la première joie
De ses vagabondes amours.
Huppe au vent, il saute, il pépie.
La mère, au creux des brins douillets,
Grelottante, en boule tapie,
Réchauffe ses chers oiselets.
Preste courrier que nous dépêche
La saison verte, oiseau, qu'es-tu ?
Que nous chante la chanson fraîche
De ton grêle sifflet pointu ?
Alerte et gentil hochequeue,
Du haut des pins ne vois-tu pas,
Par-dessus la colline bleue,
Venir Mai, tout rose, là-bas ?
Pâques vient : monts, val et clairière
N'ont point quitté leur blanc décor,
Et la fauvette printanière
Ne rossignole pas encor.
***************
LA PRESSE
Extraits
du discours prononcé par Alexandre Soljenitsyne à Harvard le 8 juin 1978.
La
presse, aussi, bien sûr, jouit de la plus grande liberté. Mais pour quel usage
? (...) Quelle responsabilité s'exerce sur le journaliste, ou sur un journal, à
l'encontre de son lectorat, ou de l'histoire ? S'ils ont trompé l'opinion
publique en divulguant des informations erronées, ou de fausses conclusions, si
même ils ont contribué à ce que des fautes soient commises au plus haut degré
de l'État, avons-nous le souvenir d'un seul cas, où le dit journaliste ou le
dit journal ait exprimé quelque regret ? Non, bien sûr, cela porterait
préjudice aux ventes. De telles erreurs peut bien découler le pire pour une
nation, le journaliste s'en tirera toujours. Étant donné que l'on a besoin
d'une information crédible et immédiate, il devient obligatoire d'avoir recours
aux conjectures, aux rumeurs, aux suppositions pour remplir les trous, et rien
de tout cela ne sera jamais réfuté ; ces mensonges s'installent dans la mémoire
du lecteur. Combien de jugements hâtifs, irréfléchis, superficiels et trompeurs
sont ainsi émis quotidiennement, jetant le trouble chez le lecteur, et le
laissant ensuite à lui-même ? La presse peut jouer le rôle d'opinion publique,
ou la tromper. De la sorte, on verra des terroristes peints sous les traits de
héros, des secrets d'État touchant à la sécurité du pays divulgués sur la place
publique, ou encore des intrusions sans vergogne dans l'intimité de personnes
connues, en vertu du slogan : « tout le monde a le droit de tout savoir ». Mais
c'est un slogan faux, fruit d'une époque fausse ; d'une bien plus grande valeur
est ce droit confisqué, le droit des hommes de ne pas savoir, de ne pas voir
leur âme divine étouffée sous les ragots, les stupidités, les paroles vaines.
Une personne qui mène une vie pleine de travail et de sens n'a absolument pas
besoin de ce flot pesant et incessant d'information. (...) Autre chose ne
manquera pas de surprendre un observateur venu de l'Est totalitaire, avec sa
presse rigoureusement univoque : on découvre un courant général d'idées
privilégiées au sein de la presse occidentale dans son ensemble, une sorte
d'esprit du temps, fait de critères de jugement reconnus par tous, d'intérêts
communs, la somme de tout cela donnant le sentiment non d'une compétition mais
d'une uniformité. Il existe peut-être une liberté sans limite pour la presse, mais
certainement pas pour le lecteur : les journaux ne font que transmettre avec
énergie et emphase toutes ces opinions qui ne vont pas trop ouvertement
contredire ce courant dominant.
Sans
qu'il y ait besoin de censure, les courants de pensée, d'idées à la mode sont
séparés avec soin de ceux qui ne le sont pas, et ces derniers, sans être à
proprement parler interdits, n'ont que peu de chances de percer au milieu des
autres ouvrages et périodiques, ou d'être relayés dans le supérieur. Vos
étudiants sont libres au sens légal du terme, mais ils sont prisonniers des
idoles portées aux nues par l'engouement à la mode. Sans qu'il y ait, comme à
l'Est, de violence ouverte, cette sélection opérée par la mode, ce besoin de
tout conformer à des modèles standards, empêchent les penseurs les plus
originaux d'apporter leur contribution à la vie publique et provoquent
l'apparition d'un dangereux esprit grégaire qui fait obstacle à un
développement digne de ce nom. Aux États-unis, il m'est arrivé de recevoir des
lettres de personnes éminemment intelligentes... peut-être un professeur d'un
petit collège perdu, qui aurait pu beaucoup pour le renouveau et le salut de
son pays, mais le pays ne pouvait l'entendre, car les média n'allaient pas lui
donner la parole. Voilà qui donne naissance à de solides préjugés de masse, à
un aveuglement qui à notre époque est particulièrement dangereux.
***************
Tableau
de Nuit
Cette heure où
tout finit, l'heure où l'on doit se taire,
Ces longs arbres
voilés, ce monde solitaire,
Ces chants et
ces clartés s'éteignant dans la nuit,
Cette échappée
au ciel où le regard s'enfuit,
Ce groupe de
sapins, ombre parmi les ombres,
Où l'esprit
fasciné cherche des rives sombres ;
Ce croissant
s'élevant comme un sacré flambeau,
Rayon pâle et
discret glissant sur un tombeau,
Ce nuage, flocon
qu'un vent d'en haut balance,
Ces longs
frémissements passant dans le silence,
Mon Dieu, c'est beau !
Marie Jenna, Élévations
poétiques et religieuses (1864)
***************
Victor Hugo
(1802-1885).
Recueil : Les
rayons et les ombres (1840).
Mères, l'enfant
qui joue à votre seuil joyeux.
Mères, l'enfant
qui joue à votre seuil joyeux,
Plus frêle que
les fleurs, plus serein que les cieux,
Vous conseille
l'amour, la pudeur, la sagesse.
L'enfant, c'est
un feu pur dont la chaleur caresse ;
C'est de la
gaîté sainte et du bonheur sacré,
C'est le nom
paternel dans un rayon doré ;
Et vous n'avez
besoin que de cette humble flamme
Pour voir
distinctement dans l'ombre de votre âme.
Mères, l'enfant
qu'on pleure et qui s'en est allé,
Si vous levez
vos fronts vers le ciel constellé,
Verse à votre
douleur une lumière auguste ;
Car l'innocent
éclaire aussi bien que le juste !
Il montre,
clarté douce, à vos yeux abattus,
Derrière notre
orgueil, derrière nos vertus,
Derrière la nuit
noire où l'âme en deuil s'exile,
Derrière nos
malheurs, Dieu profond et tranquille.
Que l'enfant
vive ou dorme, il rayonne toujours !
Sur cette terre
où rien ne va loin sans secours,
Où nos jours
incertains sur tant d'abîmes pendent,
Comme un guide au
milieu des brumes que répandent
Nos vices
ténébreux et nos doutes moqueurs,
Vivant, l'enfant
fait voir le devoir à vos cœurs ;
Mort, c'est la
vérité qu'à votre âme il dévoile.
Ici, c'est un
flambeau ; là-haut, c'est une étoile.
Mars 1840.
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