jeudi 15 mai 2014

Textes lus lors de notre 35ème veillée - 15 mai 2014


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Comme pour l'esprit rien n'est trop grand,
pour la bonté rien n'est trop petit.
SAINT JEAN-PAUL II
                         
Jean de Baulhoo, Pensées d'un Homme, « Espoir » (2008)
Alexandre Soljenitsyne, L'Archipel du goulag, « La ligne de partage entre le bien et le mal » (1973)
Marie Jenna, Élévations poétiques et religieuses, « La cathédrale de Strasbourg » (1864)
Lettres de Poilus, « Lettre de Julien Christol à ses parents » (15 octobre 1914)
Victor Hugo, L'année terrible, « À la France » (1871)

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ESPOIR

Tu seras
La force
Silencieuse
Et solitaire ;

Le félin ;
La panthère
Noire
Sans tanière ;

Rare
Comme l'ébène
Des forêts
Lointaines ;

Et dans tes yeux
De braise
Brilleront des feux
Sur la falaise,

Bien plus
Que les éclats du phare
Qu'implorent les marins
Dans les brisants du soir.

Jean de Baulhoo
Pensées d'un homme
Edilivre, 2008

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La ligne de partage entre le bien et le mal
Alexandre Soljenitsyne, L'Archipel du goulag (1973)
Sur la paille pourrie de la prison, j'ai ressenti pour la première fois le bien remuer en moi. Peu à peu j'ai découvert que la ligne de partage entre le bien et le mal ne sépare ni les États ni les classes ni les partis, mais qu'elle traverse le cœur de chaque homme et de toute l'humanité. Dans un cœur envahi par le mal, elle préserve un bastion du bien. Cette ligne est mobile, elle oscille en nous avec les années. Dans le meilleur des cœurs - un coin d'où le mal n'a pas été déraciné.
Dès lors, j'ai compris la vérité de toutes les religions du monde : elles luttent avec le mal en l'homme (en chaque homme). Il est impossible de chasser tout à fait le mal hors du monde, mais en chaque homme on peut le réduire.
Dès lors, j'ai compris le mensonge de toutes les révolutions de l'histoire : elles se bornent à supprimer les agents du mal qui leur sont contemporains (et de plus, dans leur hâte, sans discernement, les agents du bien), mais le mal lui-même leur revient en héritage, encore amplifié. (...)
J'ai passé de nombreuses années à dévider ces réflexions douloureuses et quand on me parle de l'insensibilité de nos hauts fonctionnaires ou de la cruauté des bourreaux, je me revois avec mes galons de capitaine conduisant ma batterie (d'artillerie) à travers la Prusse ravagée par les incendies, et je dis : "Nous autres, avons-nous été meilleurs ?"
Quand on me fait remarquer avec amertume la mollesse de l'Occident, sa myopie politique, ses divisions, son désarroi, j'invoque le passé :
"Ceux d'entre nous qui ne sont pas passés par l'Archipel ont-ils eu des pensées plus fermes, plus fortes ?"
C'est pourquoi je me tourne vers mes années de détention et dis, non sans étonner ceux qui m'entourent : "BÉNIE SOIS-TU PRISON !"
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La cathédrale de Strasbourg

Seigneur, si votre peuple en sa triste folie
Pour des biens mensongers si souvent vous oublie,
Ah ! nous vous bénissons de ce que, parmi nous,
Ce qu’on voit de plus beau, mon Dieu, fut fait pour vous ;
De ce que, par-dessus tous les bruits de la terre,
Bruits de cupidité, bruits de haine et de guerre,
Bruits du passé qui tombe et du présent qui fuit,
Vaine agitation du jour et de la nuit,
Voix de l’ambition, plainte de la souffrance,
Vous avez fait monter le cri de l’espérance !
Légers festons de pierre autour des saints vitraux,
Cintres, piliers hardis, colonnes en faisceaux,
Dites qui vous créa. Fut-ce la main des anges ?
Et voyait-on parfois des célestes phalanges
Passer les voiles blancs et les écharpes d’or,
Quand de la flèche au ciel elles prenaient l’essor ?
Non, ce ne fut point eux ; non, non, ce sont des hommes,
Des hommes impuissants, pauvres comme nous sommes.
Ils ont dit : Travaillons ! et que Dieu vienne là !
Et puis ils ont prié, puis ils ont fait cela.
Salut ! portail sacré : salut ! flèche gothique ;
Salut ! temple béni, vieux géant catholique,
Qui des saints monuments, palais du Roi des rois,
As su porter plus haut le signe de la croix.
Ô toi, de nos aïeux magnifique héritage,
À tous leurs descendants parle un divin langage :
Puisqu’il faut en passant vers toi lever les yeux,
Ils seront bien forcés de regarder les cieux,
Oh ! dis-leur qu’il est triste et qu’il est misérable
De ne voir ici-bas qu’un peu d’or et de sable ;
Dis-leur que l’homme est grand quand il est à genoux
Devant le Dieu si grand qui s’abaissa pour nous ;
Dis-leur qu’il faut à l’âme un lumineux mystère,
Et qu’elle se dilate et vit dans la prière ;
Que leurs riches palais s’écrouleront demain,
Et que tu resteras, toi, jusques à la fin.
Qu’au dernier jour encor Dieu respecte ta cime,
Et que seule elle plane au-dessus de l’abîme,
Pour être un piédestal à l’archange vainqueur
Qui viendra réveiller les élus du Seigneur !

Marie Jenna, Élévations poétiques et religieuses (1864)

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Lettre de Julien Christol à ses parents

Julien Christol avait 22 ans en 1914...
Saint-Denis, le 15 octobre 1914,
Cher papa, Chère maman,
Avant de quitter Saint-Denis pour les lignes de feu, je tiens à vous dire mes dernières volontés.
C’est avec conscience et en toute connaissance de cause que j’ai demandé à partir. J’ai voulu rester digne du nom de Christol. C’est le seul et le plus bel héritage que vous puissiez nous transmettre. Vous nous avez toujours dit que nous devions accomplir notre devoir entièrement malgré tous les sacrifices qu’il comporte ; le moment est venu, il faut chasser les barbares, les massacreurs de femmes et d’enfants, ceux qui ont détruit l’héritage artistique de nos aïeux et qui ont voulu rabaisser l’homme au niveau des sauvages ; il faut chasser tout cela de notre belle France, et pas un Français n’est de trop.
Tous nous devons avec résignation donner notre vie à la Patrie tels les Anciens et nos aïeux de 89, restons dignes d’eux.
Je pars avec votre bénédiction.
Vous êtes tous deux résignés et prêts au dernier sacrifice. Quand vous ouvrirez la présente, je ne serai plus, mais je resterai au fond de vos tendres cœurs. Vous n’aurez pas à rougir de vos pauvres fils et vous pourrez parler d’eux avec fierté.
Je n’ai rien à léguer, vous le savez.
Je voudrais que de temps en temps vous parliez de moi à mes petits neveux, à Pierre surtout, il fut une de mes dernières joies à Saint-Denis.
Je voudrais surtout, et je sais que vous le ferez, que vous consoliez ma chère Andrée. J’ai brisé sa vie en voulant la rendre heureuse. Nous faisions un rêve trop beau tous les deux, les circonstances l’ont changé.
Je sais, mon cher papa, que tu remplaceras le père qu’elle a perdu. Je voudrais aussi, si elle y consent, et si vous faites des lettres de faire-part, qu’elle figure sur elles. Son amour fut grand et mérite d’être récompensé. Nos âmes et nos cœurs ne faisaient qu’un, nos pensées étaient les mêmes. Il ne manquait que la consécration de notre union.
Voici à peu près tous mes désirs et je souhaite de tout mon cœur que vous ne lisiez jamais cette lettre.
Recevez mes plus affectueux baisers. Vous avez toujours été bons pour nous ; il a fallu qu’une guerre barbare détruise la douce maison de la Varenne où j’ai passé de si bons moments près de vous et de la famille. L’homme propose, Dieu dispose. Adieu, j’aurais aimé vous rendre la vie heureuse que vous avez faites à tous, mais hélas ayez du courage, c’est pour la France et la Justice que votre Julien est mort.
Adieu.
Julien CHRISTOL
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Victor Hugo, À la France (1871)

Personne pour toi. Tous sont d'accord. Celui-ci,
Nommé Gladstone, dit à tes bourreaux : merci !
Cet autre, nommé Grant, te conspue, et cet autre,
Nommé Bancroft, t'outrage ; ici c'est un apôtre,
Là c'est un soldat, là c'est un juge, un tribun,
Un prêtre, l'un du Nord, l'autre du Sud ; pas un
Que ton sang, à grands flots versé, ne satisfasse ;
Pas un qui sur ta croix ne te crache à la face.
Hélas ! qu'as-tu donc fait aux nations ? Tu vins
Vers celles qui pleuraient, avec ces mots divins :
Joie et Paix ! - Tu criais : - Espérance ! Allégresse !
Sois puissante, Amérique, et toi sois libre, ô Grèce !
L'Italie était grande ; elle doit l'être encor.
Je le veux ! - Tu donnas à celle-ci ton or ;
A celle-là ton sang, à toutes la lumière.
Tu défendis le droit des hommes, coutumière
De tous les dévoûments et de tous les devoirs.
Comme le bœuf revient repu des abreuvoirs,
Les hommes sont rentrés pas à pas à l'étable,
Rassasiés de toi, grande sœur redoutable,
De toi qui protégeas, de toi qui combattis.
Ah ! se montrer ingrats, c'est se prouver petits.
N'importe ! pas un d'eux ne te connaît. Leur foule
T'a huée, à cette heure où ta grandeur s'écroule,
Riant de chaque coup de marteau qui tombait
Sur toi, nue et sanglante et clouée au gibet.
Leur pitié plaint tes fils que la fortune amère
Condamne à la rougeur de t'avouer pour mère.
Tu ne peux pas mourir, c'est le regret qu'on a.
Tu penches dans la nuit ton front qui rayonna ;
L'aigle de l'ombre est là qui te mange le foie ;
C'est à qui reniera la vaincue ; et la joie
Des rois pillards, pareils aux bandits des Adrets,
Charme l'Europe et plaît au monde... - Ah ! je voudrais,
Je voudrais n'être pas Français pour pouvoir dire
Que je te choisis, France, et que, dans ton martyre,
Je te proclame, toi que ronge le vautour,
Ma patrie et ma gloire et mon unique amour !


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