jeudi 19 juin 2014

Textes lus lors de notre 37ème veillée - 19 juin 2014


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L'homme supérieur est celui qui remplit son devoir.
LOUIS DE BONALD
                         
Henri Fertet, « Lettre d'adieu » (26 septembre 1943)
Jean de Baulhoo, Pensées d'un Homme, « Il est des lieux où souffle l'esprit » (2008)
Lettres de Poilus, « Lettre de Gaston Biron à sa mère » (14 juin 1916)
Charles Péguy, Ève (extraits) (1913)

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Hommage à Henri Fertet

Lettre de Henri Fertet, "un condamné à mort de 16 ans"

Élève de Seconde du Lycée Victor-Hugo à Besançon. Résistant condamné à mort par le tribunal militaire de la Feldkommandantur 560. Exécuté à Besançon le 26 septembre 1943.


« Chers Parents,

Ma lettre va vous causer une grande peine, mais je vous ai vus si pleins de courage que, je n'en doute pas, vous voudrez encore le garder, ne serait-ce que par amour pour moi.

Vous ne pouvez savoir ce que moralement j'ai souffert dans ma cellule, ce que j'ai souffert de ne plus vous voir, de ne plus sentir peser sur moi votre tendre sollicitude que de loin. Pendant ces 87 jours de cellule, votre amour m'a manqué plus que vos colis, et souvent je vous ai demandé de me pardonner le mal que je vous ai fait, tout le mal que je vous ai fait.

Vous ne pouvez vous douter de ce que je vous aime aujourd'hui car, avant, je vous aimais plutôt par routine, mais maintenant je comprends tout ce que vous avez fait pour moi et je crois être arrivé à l'amour filial véritable, au vrai amour filial. Peut-être après la guerre, un camarade vous parlera-t-il de moi, de cet amour que je lui ai communiqué. J'espère qu'il ne faillira pas à cette mission sacrée.

Remerciez toutes les personnes qui se sont intéressées à moi, et particulièrement nos plus proches parents et amis ; dites-leur ma confiance en la France éternelle. Embrassez très fort mes grands-parents, mes oncles tantes et cousins, Henriette. (...)

Je meurs pour ma Patrie. Je veux une France libre et des Français heureux. Non pas une France orgueilleuse, première nation du monde, mais une France travailleuse, laborieuse et honnête. Que les Français soient heureux, voilà l'essentiel. Dans la vie, il faut savoir cueillir le bonheur.

Pour moi, ne vous faites pas de soucis. Je garde mon courage et ma belle humeur jusqu'au bout, et je chanterai « Sambre et Meuse » parce que c'est toi, ma chère petite maman, qui me l'as apprise.

Avec Pierre, soyez sévères et tendres. Vérifiez son travail et forcez-le à travailler. N'admettez pas de négligence. Il doit se montrer digne de moi. Sur trois enfants, il en reste un. Il doit réussir.

Les soldats viennent me chercher. Je hâte le pas. Mon écriture est peut-être tremblée ; mais c'est parce que j'ai un petit crayon. Je n'ai pas peur de la mort ; j'ai la conscience tellement tranquille.

Papa, je t'en supplie, prie. Songe que, si je meurs, c'est pour mon bien. Quelle mort sera plus honorable pour moi que celle-là ? Je meurs volontairement pour ma Patrie. Nous nous retrouverons tous les quatre, bientôt au Ciel.

« Qu'est-ce que cent ans ? »

Maman, rappelle-toi :
« Et ces vengeurs auront de nouveaux défenseurs
qui, après leur mort, auront des successeurs. »

Adieu, la mort m'appelle. Je ne veux ni bandeau, ni être attaché. Je vous embrasse tous. C'est dur quand même de mourir.
Mille baisers. Vive la France.
Un condamné à mort de 16 ans

H. Fertet
Excusez les fautes d'orthographe, pas le temps de relire.

Expéditeur : Henri Fertet
Au Ciel, près de Dieu. »

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« Il est des lieux où souffle l’esprit »
                                               Maurice Barrès

Le ruban de calcaire gris se déploie sans fin
Au fil de vastes plateaux de hêtres et de sapins ;
Un printemps de juin fixe la brume dans le lointain,
Avide, mon regard à l’horizon scrute, en vain.

Soudain, la croix se découvre en un spectre divin ;
La branche haute tronquée par un voile de blanc satin,
Évoque à dessein le souvenir plus ancien
D’une autre colline, chargée d’un éternel destin.

Colombey, et l’immense stèle dressée aux confins,
Les abords anoblis de cèdres, arbres souverains,
Depuis ce jour de juin pour toujours se souvient ;
À l’église une chaise libre attend un paroissien.

Le bourg pauvre à jamais serein, son souffle retient,
Une tombe et ses épitaphes retrace le chemin,
Du jeune officier en garnison sur le Rhin,
Au vieux chêne abattu sans vergogne par les siens.

De la Boisserie, amarrés sur un terre-plein,
Vers le couchant à cent lieux, et partout au loin,
Là, le Saint-Cyrien méditait de bon matin,
Des mouvements de troupes, à l’assaut d’un fortin.

Plus tard ce fut l’appel, le recours à l’instinct ;
Paris libéré, et l’émotion qui étreint ;
Et ces minutes, qui dépassent la vie de chacun ;
Puis l’ermitage du plateau de Langres, sibyllin.

Le pays à nouveau divisé, mal en point,
Les oracles devisèrent du grand chef franc salien,
Bientôt il aurait la charge du drame algérien,
Et la vieille terre puiserait richesse en son sein.

Dix années, la France éclatante d’un vert regain,
Au monde entier rappelait les fastes Capétiens ;
Malraux ministre, combattant autant qu’écrivain,
Nous hissions haut les couleurs et le parchemin.

Derechef, en mai, le renoncement survint ;
Dans le parc où il avait fait planter des pins,
Le grand homme s’exila, par le verdict contraint ;
Le neuf novembre soixante-dix, de Gaulle s’est éteint.

Jean de Baulhoo, Pensées d’un Homme, Éditions EDILIVRE APARIS, 2008

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Lettre de Gaston Biron à sa mère
Gaston Biron avait 29 ans en 1914. Pendant plus de deux ans de guerre, Gaston, qui ne cessait d'écrire à sa mère Joséphine, avait attendu en vain une permission qui ne venait pas. Et puis le grand jour vint, malheureusement chargé d'une épouvantable déception : à l'arrière, il arrivait que le spectacle de ces poilus arrachés à leurs tranchées dérange... Gaston était le seul fils d'une famille de sept enfants. Ses sœurs apprirent sa disparition à la fin de l'été : blessé le 8 septembre 1916, il mourut de ses blessures trois jours plus tard à l'hôpital de Chartres.

Mercredi 14 juin 1916
Ma chère mère,
Je suis bien rentré de permission et j'ai retrouvé mon bataillon sans trop de difficultés. Je vais probablement t'étonner en te disant que c'est presque sans regret que j'ai quitté Paris, mais c'est la vérité. Que veux-tu, j'ai constaté, comme tous mes camarades du reste, que ces deux ans de guerre avaient amené petit à petit, chez la population civile, l'égoïsme et l'indifférence et que nous autres combattants nous étions presque oubliés, aussi quoi de plus naturel que nous-mêmes, nous prenions aussi l'habitude de l'éloignement et que nous retournions au front tranquillement comme si nous ne l'avions jamais quitté ? J'avais rêvé avant mon départ en permission que ces six jours seraient pour moi six jours trop courts de bonheur, et que partout je serais reçu les bras ouverts ; je pensais, avec juste raison je crois, que l'on serait aussi heureux de me revoir, que moi-même je l'étais à l'avance à l'idée de passer quelques journées au milieu de tous ceux auxquels je n'avais jamais cessé de penser. Je me suis trompé ; quelques-uns se sont montrés franchement indifférents, d'autres sous le couvert d'un accueil que l'on essayait de faire croire chaleureux, m'ont presque laissé comprendre qu'ils étaient étonnés que je ne sois pas encore tué. Aussi tu comprendras, ma chère mère, que c'est avec beaucoup de rancœur que j'ai quitté Paris et vous tous que je ne reverrai peut-être jamais. Il est bien entendu que ce que je te dis sur cette lettre, je te le confie à toi seule, puisque, naturellement, tu n'es pas en cause. Bien au contraire, j'ai été très heureux de te revoir et j'ai emporté un excellent souvenir des quelques heures que nous avons passées ensemble. Je vais donc essayer d'oublier comme on m'a oublié, ce sera certainement plus difficile, et pourtant j'avais fait un bien joli rêve depuis deux ans. Quelle déception ! Maintenant je vais me sentir bien seul. Puissent les hasards de la guerre ne pas me faire infirme pour toujours, plutôt la mort, c'est maintenant mon seul espoir. Adieu, je t'embrasse un million de fois de tout cœur.
Gaston
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Charles Péguy, Ève (1913)

Vous nous voyez debout parmi les nations.
Nous battrons-nous toujours pour la terre charnelle ?
Ne déposerons-nous sur la table éternelle
Que des cœurs pleins de guerre et de séditions ?

Vous nous voyez marcher parmi les nations.
Nous battrons-nous toujours pour quatre coins de terre ?
Ne mettrons-nous jamais sur la table de guerre
Que des cœurs pleins de morgue et de rébellions ?

- Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,
Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre.
Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre.
Heureux ceux qui sont morts d'une mort solennelle.

Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles,
Couchés dessus le sol à la face de Dieu.
Heureux ceux qui sont morts sur un dernier haut lieu,
Parmi tout l'appareil des grandes funérailles.

Heureux ceux qui sont morts pour des cités charnelles.
Car elles sont le corps de la cité de Dieu.
Heureux ceux qui sont morts pour leur âtre et leur feu,
Et les pauvres honneurs des maisons paternelles.

Car elles sont l'image et le commencement
Et le corps et l'essai de la maison de Dieu.
Heureux ceux qui sont morts dans cet embrassement,
Dans l'étreinte d'honneur et le terrestre aveu.

Car cet aveu d'honneur est le commencement
Et le premier essai d'un éternel aveu.
Heureux ceux qui sont morts dans cet écrasement,
Dans l'accomplissement de ce terrestre vœu.

Car ce vœu de la terre est le commencement
Et le premier essai d'une fidélité.
Heureux ceux qui sont morts dans ce couronnement
Et cette obéissance et cette humilité.

Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés
Dans la première argile et la première terre.
Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre.
Heureux les épis murs et les blés moissonnés.

(…)

- Heureux les grands vainqueurs. Paix aux hommes de guerre.
Qu'ils soient ensevelis dans un dernier silence.
Que Dieu mette avec eux dans la juste balance
Un peu de ce terreau d'ordure et de poussière.

Que Dieu mette avec eux dans le juste plateau
Ce qu'ils ont tant aimé, quelques grammes de terre,
Un peu de cette vigne, un peu de ce coteau,
Un peu de ce ravin sauvage et solitaire.

Mère voici vos fils qui se sont tant battus.
Vous les voyez couchés parmi les nations.
Que Dieu ménage un peu ces êtres débattus,
Ces cœurs pleins de tristesse et d'hésitations.

(…)

Mère voici vos fils qui se sont tant battus.
Qu'ils ne soient pas pesés comme Dieu pèse un ange.
Que Dieu mette avec eux un peu de cette fange
Qu'ils étaient en principe et sont redevenus.

Mère voici vos fils qui se sont tant battus.
Qu'ils ne soient pas pesés comme on pèse un démon.
Que Dieu mette avec eux un peu de ce limon
Qu'ils étaient en principe et sont redevenus.

Mère voici vos fils qui se sont tant battus.
Qu'ils ne soient pas pesés comme on pèse un esprit.
Qu'ils soient plutôt jugés comme on juge un proscrit
Qui rentre en se cachant par des chemins perdus.

Mère voici vos fils et leur immense armée.
Qu'ils ne soient pas jugés sur leur seule misère.
Que Dieu mette avec eux un peu de cette terre
Qui les a tant perdus et qu'ils ont tant aimée.

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