Si vous le souhaitez, vous pouvez lire notre page en écoutant de la musique
(fichier téléchargeable)
« La famille sera toujours la base des sociétés. »
HONORÉ DE BALZAC
Paul Johnson, Le grand mensonge des intellectuels - Vices privés et vertus publiques, Avant-propos (1993)
Charles Péguy, « La fin de l'histoire » (25 octobre 1904)
Sully Prudhomme, Stances et poèmes, « Ma fiancée » (1865)
Dernière lettre
d'un soldat
Jacques Georges
Maries Froissart avait 17 ans en 1914. Fils d'un avocat parisien, et engagé
volontaire à la fin du moi d'avril 1916, il fut d'abord téléphoniste puis
aspirant dans l'artillerie au 217ème RAC (Régiment d'Artillerie de Campagne).
Jacques tomba le 14 septembre 1918 d'un éclat d'obus reçu en plein cœur.
Mes chers parents,
Lorsque vous lirez cette
lettre, Dieu m'aura fait l'honneur de m'accorder la sacrée mort que je pouvais
souhaiter, celle du soldat et du chrétien.
Que ce soit sur un champ de
bataille ou dans un lit d'hôpital, je l'accepte comme dès le premier jour où je
voulus m'engager. J'en accepte l'idée sans regrets et sans tristesse. Je ne
peux pas vous dire de ne pas pleurer, car je sais la douleur que vous causera
ma disparition, mais ne regardez point la terre qui me recouvrira. Levez les
yeux vers le ciel où Dieu me jugera et me donnera la place que j'aurai méritée.
Priez pour moi, car j'ai été
loin d'être parfait. D'où je serai, près des chers morts que j'aurai été
rejoindre, je ne vous oublierai pas.
C'est vous qui m'avez fait
ce que je suis devenu ; que cette idée vous console et qu'elle vous encourage à
faire de celle que vous m'aviez donné mission de garder et de protéger à vos
côtés une femme qui soit digne d'être votre fille. Lorsque je ne serai plus là,
qu'elle sache combien je l'ai aimée. Parlez-lui quelquefois de moi.
J'avais l'ambition
d'accomplir dans la vie une mission que je m'étais tracée, celle d'être le
guide, le flambeau dont a parlé Claude Bernard, celui qui peut être fier
d'avoir vécu pour les autres en leur enseignant les principes droits par la
parole et par la plume. Je voulais écrire parce que c'était à mes yeux la plus
noble profession et je voulais vivre pour suivre la voie que ma conscience
m'indiquait, mais, vous avez le droit de le savoir, d'autres étaient plus
utiles que moi, soit que chefs de famille ils eussent déjà créé alors que je
n'étais que le futur, soit que ministres du Christ, ils fussent appelés à façonner
des hommes, à créer des Français et des Chrétiens. Pour eux, j'ai offert à Dieu
le Sacrifice de ma vie. J'ai chaque soir prié pour que la mort les épargne en
me frappant, et mourir pour eux est presque trop beau pour moi puisque j'ai
conscience de ne les valoir pas.
Jacques FROISSART
***************
Paul JOHNSON, LE GRAND MENSONGE DES INTELLECTUELS -
Vices privés et vertus publiques, Avant-propos (1993)
Depuis deux cents ans,
l’influence des intellectuels n’a cessé de croître. L’essor de l’intellectuel
laïque est un trait essentiel du monde moderne et, dans l’Histoire, un
phénomène nouveau. Dans leurs précédentes incarnations, les intellectuels –
prêtres, scribes ou prophètes – s’étaient attribué d’emblée le rôle de guides
de la société. Mais les innovations morales et idéologiques de ces gardiens de
cultures hiératiques, primitives ou évoluées, étaient limitées par une autorité
extérieure et l’héritage de la tradition. Ils n’étaient pas, ne pouvaient être,
des esprits libres ou des aventuriers de la pensée.
Avec le déclin du pouvoir
clérical, le XVIIIe siècle vit émerger un nouveau type de mentor.
L’intellectuel laïque pouvait être déiste, sceptique ou athée. Mais à l’exemple
de tout pontife ou prêtre, il s’empressa d’expliquer au genre humain comment
mener ses affaires. Il proclama pour commencer sa dévotion particulière aux
intérêts de l’humanité et son devoir évangélique de les favoriser grâce à son
enseignement. Ne se sentant lié à aucune religion révélée, il appliqua à cette
tâche une approche beaucoup plus radicale que ses prédécesseurs. La sagesse
collective du passé, l’héritage de la religion, les prescriptions de
l’expérience ancestrale étaient faits pour être observés de façon sélective ou
rejetés en bloc : au sens commun de chacun d’en décider. Pour la première fois
dans l’histoire humaine, avec une confiance, une audace grandissantes, des
hommes se prétendirent capables de diagnostiquer les maux de la société, de les
guérir à l’aide de leur propre intelligence et, mieux encore, d’améliorer le
comportement des êtres humains. Contrairement à leurs prédécesseurs, ils
n’étaient plus les serviteurs et les interprètes des dieux, mais leurs
substituts. Leur héros fut Prométhée, qui vola le feu céleste et l’apporta sur
terre.
Les nouveaux intellectuels
laïques – c’est un de leurs traits marquants – enquêtèrent avec délectation sur
la religion et ses protagonistes puis les soumirent à une critique minutieuse :
les religions s’étaient-elles révélées bénéfiques ou nuisibles pour l’humanité
? Ces papes, ces pasteurs, dans quelle mesure avaient-ils vécu selon leurs
préceptes de pureté, de vérité, de charité et de bonté ? Et les verdicts
tombèrent, sévères, sur les Églises et le clergé.
À présent, après deux
siècles de déclin de la religion au cours desquels le rôle des intellectuels
n’a cessé de grandir, jusqu’à modeler nos attitudes et nos institutions, il est
temps d’enquêter sur leur conduite, à la fois publique et privée. Je me suis
attaché surtout au crédit moral et au discernement qu’il convient d’accorder aux
intellectuels qui prétendirent enseigner aux hommes comment se comporter.
Quelle fut leur vie personnelle ? Se sont-ils conduits avec loyauté en famille,
avec leurs amis, leurs collaborateurs ? Étaient-ils honnêtes dans leur vie
sexuelle, leurs affaires d’argent ? Disaient-ils, écrivaient-ils la vérité ?
Dans quelle mesure leurs propres systèmes avaient-ils résisté à l’épreuve du
temps et de la pratique ?
***************
La fin de
l'histoire
On sait aujourd’hui, on a
reconnu, généralement, que la plupart des idées et des thèses prétendues
positives ou positivistes recouvrent des idées et des thèses métaphysiques mal
dissimulées ; cette idée de Renan, que nous considérons en bref aujourd’hui,
qui paraît une idée historique modeste purement et simplement, cette idée que
l’histoire touche à son aboutissement et à sa clôture, implique au fond une
idée hautement et orgueilleusement métaphysique, extrêmement affirmée, portant
sur l’humanité même ; elle implique
cette idée que l’humanité moderne est la dernière humanité, que l’on n’a jamais
rien fait de mieux, dans le genre, que l’on ne fera jamais rien de mieux, qu’il
est inutile d’insister, que le monde moderne est le dernier des mondes, que
l’homme et que la nature a dit son dernier mot.
Incroyable naïveté savante,
orgueil enfantin des doctes et des avertis ; l’humanité a presque toujours cru
qu’elle venait justement de dire son dernier mot ; l’humanité a toujours pensé
qu’elle était la dernière et la meilleure humanité, qu’elle avait atteint sa
forme, qu’il allait falloir fermer, et songer au repos de béatitude ; ce qui
est intéressant, ce qui est nouveau, ce n’est point qu’une humanité après tant
d’autres, ce n’est point que l’humanité moderne ait cru, à son tour, qu’elle
était la meilleure et la dernière humanité ; ce qui est intéressant, ce qui est
nouveau, c’est que l’humanité moderne se croyait bien gardée contre de telles
faiblesses par sa science, par l’immense amassement de ses connaissances, par
la sûreté de ses méthodes ; jamais on ne vit aussi bien que la science ne fait
pas la philosophie, et la vie, et la conscience ; tout armé, averti, gardé que
fût le monde moderne, c’est justement dans la plus vieille erreur humaine qu’il
est tombé, comme par hasard, et dans la plus commune ; les propositions les plus
savamment formulées reviennent au même que les anciens premiers balbutiements ;
et de même que les plus grands savants du monde, s’ils ne sont pas des
cabotins, devant l’amour et devant la mort demeurent stupides et désarmés comme
les derniers des misérables, ainsi la mère humanité, devenue la plus savante du
monde, s’est retrouvée stupide et désarmée devant la plus vieille erreur du
monde ; comme au temps des plus anciens dieux elle a mesuré les formes de
civilisation atteintes, et elle a estimé que ça n’allait pas trop mal, qu’elle
était, qu’elle serait la dernière et la meilleure humanité, que tout allait se
figer dans la béatitude éternelle d’une humanité Dieu.
Charles PÉGUY, Cahiers de
la Quinzaine, 25 octobre 1904, à propos du livre L’avenir de la science d’Ernest
Renan, paru en 1890.
***************
René-François
Sully Prudhomme (1839-1907).
Recueil : Stances
et poèmes (1865).
Ma fiancée.
L'épouse, la
compagne à mon cœur destinée,
Promise à mon jeune tourment,
Je ne la connais
pas, mais je sais qu'elle est née ;
Elle respire en ce moment.
Son âge et ses
devoirs lui font la vie étroite ;
Sa chambre est un frais petit coin ;
Elle y prend sa
leçon, bien soumise et bien droite,
Et sa mère n'est jamais loin.
Ma mère, parlez-lui
du bon Dieu, de la Vierge
Et des saints tant qu'il lui plaira
;
Oui, rendez-la
timide, et qu'elle brûle un cierge
Quand le tonnerre grondera.
Je veux,
entendez-vous, qu'elle soit grave et tendre,
Qu'elle chérisse et qu'elle ait peur
;
Je veux que tout
mon sang me serve à la défendre,
À la caresser de tout mon cœur.
Déjà dans
l'inconnu je t'épouse et je t'aime,
Tu m'appartiens dès le passé,
Fiancée
invisible et dont j'ignore même
Le nom sans cesse prononcé.
À défaut de mes
yeux, mon rêve te regarde,
Je te soigne et te sers tout bas :
« Que veux-tu ?
Le voici. Couvre-toi bien, prends garde
Au vent du soir, et ne sors pas. »
Pour te sentir à
moi je fais un peu le maître,
Et je te gronde avec amour ;
Mais j'essuie
aussitôt les pleurs que j'ai fait naître,
Implorant ma grâce à mon tour.
Tu t'assiéras,
l'été, bien loin, dans la campagne,
En robe claire, au bord de l'eau.
Qu'il est bon
d'emporter sa nouvelle compagne
Tout seul dans un pays nouveau !
Et dire que ma
vie est cependant déserte,
Que mon bonheur peut aujourd'hui
Passer tout près
de moi dans la foule entr'ouverte
Qui se refermera sur lui,
Et que déjà
peut-être elle m'est apparue,
Et j'ai dit : « La jolie enfant ! »
Peut-être
suivons-nous toujours la même rue,
Elle derrière et moi devant.
Nous pourrons
nous croiser en un point de l'espace,
Sans nous sourire, bien longtemps,
Puisqu'on
n'oserait dire à la vierge qui passe :
« Ô Vous êtes celle que j'attends. »
Un jour, mais je
sais trop ce que l'épreuve en coûte,
J'ai cru la voir sur mon chemin,
Et j'ai dit : «
C'est bien vous. » Je me trompais sans doute,
Car elle a retiré sa main.
Depuis lors, je
me tais ; mon âme solitaire
Confie au Dieu qui sait unir
Par les souffles
du ciel les plantes sur la terre
Notre union dans l'avenir.
À moins que, me
privant de la jamais connaître,
La mort déjà n'ait emporté
Ma femme encore
enfant, toi qui naissais pour l'être
Et ne l'auras jamais été.