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« L'égalité ne peut régner qu'en nivelant
les libertés inégales de leur nature. »
les libertés inégales de leur nature. »
CHARLES MAURRAS
Anna de Noailles, Le cœur innombrable, « La vie profonde » (1901)
Frédéric Guillaud, « Pour mourir guéri, consultez un expert ! » (10 juillet 2014)
Nérée Beauchemin, Les floraisons matutinales, « À celle que j'aime » (1897)
Simone Weil, L’Enracinement,
« Le déracinement, la plus dangereuse maladie des sociétés humaines » (1943)
Il y a
déracinement toutes les fois qu'il y a conquête militaire, et en ce sens la
conquête est presque toujours un mal. Le déracinement est au minimum quand les
conquérants sont des migrateurs qui s'installent dans le pays conquis, se
mélangent à la population et prennent racine eux-mêmes. Tel fut le cas des
Hellènes en Grèce, des Celtes en Gaule, des Maures en Espagne. Mais quand le conquérant
reste étranger au territoire dont il est devenu possesseur, le déracinement est
une maladie presque mortelle pour les populations soumises. Il atteint le degré
le plus aigu quand il y a déportations massives (...), ou quand il y a
suppression brutale de toutes les traditions locales (...).
Même sans
conquête militaire, le pouvoir de l'argent et la domination économique peuvent
imposer une influence étrangère au point de provoquer la maladie du
déracinement. (...)
L'argent détruit
les racines partout où il pénètre, en remplaçant tous les mobiles par le désir
de gagner. Il l'emporte sans peine sur les autres mobiles parce qu'il demande
un effort d'attention tellement moins grand. Rien n'est si clair et si simple
qu'un chiffre. (...)
Le déracinement
est de loin la plus dangereuse maladie des sociétés humaines, car il se
multiplie lui-même. Des êtres vraiment déracinés n'ont guère que deux
comportements possibles : ou ils tombent dans une inertie de l'âme presque
équivalente à la mort, comme la plupart des esclaves au temps de l'Empire
romain, ou ils se jettent dans une activité tendant toujours à déraciner,
souvent par les méthodes les plus violentes, ceux qui ne le sont pas encore ou
ne le sont qu'en partie. (...) Les Allemands, au moment où Hitler s’est emparé
d’eux, étaient vraiment, comme il le répétait sans cesse, une nation de
prolétaires, c’est-à-dire de déracinés ; l’humiliation de 1918, l’inflation,
l’industrialisation à outrance et surtout l’extrême gravité de la crise de
chômage avaient porté chez eux la maladie morale au degré d’acuité qui entraîne
l’irresponsabilité. (...) Un arbre dont les racines sont presque entièrement
rongées tombe au premier choc. Si la France a présenté un spectacle plus
pénible qu’aucun autre pays d’Europe, c’est que la civilisation moderne avec
ses poisons y était installée plus avant qu’ailleurs, à l’exception de l’Allemagne.
Mais en Allemagne le déracinement avait pris la forme agressive, et en France
il a pris celui de la léthargie et de la stupeur. (...)
Les conquêtes ne
sont pas de la vie, elles sont de la mort au moment même où elles se
produisent. Ce sont les gouttes de passé vivant qui sont à préserver
jalousement, partout, à Paris ou à Tahiti indistinctement, car il n'y en a pas
trop sur le globe entier.
Il serait vain
de se détourner du passé pour ne penser qu'à l'avenir. C'est une illusion
dangereuse de croire qu'il y ait même là une possibilité. L'opposition entre
l'avenir et le passé est absurde. L'avenir ne nous apporte rien, ne nous donne
rien ; c'est nous qui pour le construire devons tout lui donner, lui donner
notre vie elle-même. Mais pour donner il faut posséder, et nous ne possédons
d'autre vie, d'autre sève, que les trésors hérités du passé et digérés,
assimilés, recréés par nous. De tous les besoins de l'âme humaine, il n'y en a
pas de plus vital que le passé.
L'amour du passé
n'a rien à voir avec une orientation politique réactionnaire.
***************
Anna de Noailles
(1876-1933).
Recueil : Le
cœur innombrable (1901).
La vie profonde.
Être dans la
nature ainsi qu'un arbre humain,
Étendre ses
désirs comme un profond feuillage,
Et sentir, par
la nuit paisible et par l'orage,
La sève
universelle affluer dans ses mains.
Vivre, avoir les
rayons du soleil sur la face,
Boire le sel
ardent des embruns et des pleurs,
Et goûter
chaudement la joie et la douleur
Qui font une
buée humaine dans l'espace.
Sentir, dans son
cœur vif, l'air, le feu et le sang
Tourbillonner
ainsi que le vent sur la terre ;
— S'élever au
réel et pencher au mystère,
Être le jour qui
monte et l'ombre qui descend.
Comme du pourpre
soir aux couleurs de cerise,
Laisser du cœur
vermeil couler la flamme et l'eau,
Et comme l'aube
claire appuyée au coteau
Avoir l'âme qui
rêve, au bord du monde assise...
***************
Progressisme
« Pour mourir
guéri, consultez un expert ! », par Frédéric
Guillaud (article paru dans Valeurs actuelles du 10 juillet 2014)
Frédéric
Guillaud est philosophe. Dernier ouvrage paru : "Dieu existe, arguments
philosophiques", aux éditions du Cerf (mai 2013).
Aristote distinguait très
bien "savoir que" de "savoir pourquoi". Les experts sont
spécialistes du "savoir pourquoi", tandis que le bon sens populaire
est généralement clairvoyant sur le "savoir que".
Le bon sens sait par exemple que la
méthode globale est inefficace pour apprendre à lire ; il sait que fumer des
joints ne rend pas très vif ; que l'absence d'autorité sur un enfant conduit à
des catastrophes. Quant à savoir le pourquoi profond de ces différentes vérités
d'expérience, il ne s'en inquiète guère. C'est l'affaire des experts. Mais ce
n'est pas grave, car ce qui est utile en politique, c'est surtout le
"savoir que" ; cela suffit à construire une politique publique à peu
près efficace.
Oui, mais voilà le malheur : les
experts ont pris le pouvoir ! Et le propre des experts est de ne reconnaître un
fait qu'une fois découverte l'explication de ce fait. Autrement dit, le
"savoir que" n'a aucune valeur pour eux tant qu'il n'est pas ramené
au "savoir pourquoi". C'est absurde, mais c'est ainsi. Il s'agit
d'une forme de superstition scientiste : tout ce dont on ne connaît pas la
cause est réputé douteux.
Ce travers est lourd de
conséquences pour la conduite des affaires, car il exige un détour théorique
aussi coûteux qu'inutile. Pire, il est nuisible, puisque, grosso modo, il faut
attendre sur toute question que la science se soit prononcée avant de faire
quelque chose : bref, on meurt guéri.
Ceci explique pourquoi, dans les
pays développés, nous lisons régulièrement dans les journaux des titres du
genre : « C'est désormais prouvé : emprisonner les délinquants est efficace
pour réduire la délinquance » ou « Une première : un laboratoire de
neurosciences démontre que la méthode globale est inefficace et favorise la
dyslexie ». La plupart des gens normaux, en lisant cela, se disent :
"Mais ma grand-mère le disait déjà !"
Voici le ridicule spécifique
de notre situation. Tout le monde sait qu'il n'est pas très intelligent de
fumer des pétards tous les jours ou de laisser courir les voyous. Mais le
fonctionnement cognitif de nos sociétés nous oblige à un immense détour pour
avoir droit de le dire, ce qui laisse le temps à l'idéologie progressiste de
détruire la société. Rappelons que cette doctrine a pour programme de prendre
le contre-pied systématique du bon sens de ma grand-mère. L'argument étant que
si ça se faisait avant, c'est que c'était faux, puisque nous sommes emportés
fatalement vers le progrès, qui consiste en la négation du passé.
En France, la gestion calamiteuse de
l'instruction publique, de la justice pénale ou de la politique familiale
permettent d'observer les conséquences de ce dysfonctionnement intellectuel.
Sur toutes ces questions, le "savoir que" a tout dit, et bien dit,
depuis très longtemps. Mais il a fallu attendre que les experts nous disent le
pourquoi. C'est fait. Mais il est trop
tard.
Voilà pourquoi la France était mieux gouvernée par le bon sens
supérieur d'Henri IV qu'elle ne l'est aujourd'hui par des régiments de
statisticiens et de sociologues.
***************
Nérée Beauchemin
(1850-1931).
Recueil : Les
floraisons matutinales (1897).
À celle que
j'aime.
Dans ta mémoire
immortelle,
Comme dans le
reposoir
D'une divine
chapelle,
Pour celui qui
t'est fidèle,
Garde l'amour et
l'espoir.
Garde l'amour
qui m'enivre,
L'amour qui nous
fait rêver ;
Garde l'espoir
qui fait vivre ;
Garde la foi qui
délivre,
La foi qui nous
doit sauver.
L'espoir, c'est
de la lumière,
L'amour, c'est
une liqueur,
Et la foi, c'est
la prière.
Mets ces
trésors, ma très chère,
Au plus profond
de ton cœur.
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