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« Les victoires politiques se préparent
par des conquêtes culturelles. »
par des conquêtes culturelles. »
ANTONIO GRAMSCI
Joachim Du Bellay, Regrets, IX, « France, mère des arts, des armes et des lois » (1558)
George Orwell, 1984, « La novlangue » (1949)
Théodore de Banville, Les Cariatides, « L'Automne » (1842)
Au commencement
est la culture
Chronique parue
dans Famille Chrétienne du 9
août 2014, par François-Xavier Bellamy, philosophe et adjoint au maire de
Versailles.
Ce n’est pas de la politique que viennent les
révolutions, mais de la culture, c’est-à-dire de tout ce qui constitue le
regard que nous portons collectivement sur le réel. N’est-ce pas ce que
confirment nos expériences les plus récentes ? Pour que soit votée la loi
Taubira, par exemple, il a fallu qu’une grande partie de nos contemporains en
vienne à regarder le mariage comme un droit, par exemple ; ou à ne plus voir de
différence significative entre un père et une mère. Car cette différence n’est
pas tout à fait « élémentaire »…
L’erreur de la postmodernité
est d’affirmer qu’il n’y a pas de vérité et, partant, de ne plus rien croire ;
mais l’illusion contraire de ceux qui partagent des convictions fortes, c’est
de penser qu’il y a des évidences – c’est-à-dire, littéralement, des réalités
qui se font voir d’elles-mêmes. La réalité n’est pas une construction
artificielle ; mais elle ne nous saute pas pour autant aux yeux : il faut pour
la voir une culture qui nous ait appris à la contempler.
Une lente
maturation
Que tous les hommes
partagent une même nature et une égale dignité, voilà qui nous semble sans
doute élémentaire. Mais cette incontestable vérité est si peu évidente qu’il
aura fallu des siècles de maturation intellectuelle et spirituelle pour que les
sociétés finissent par la découvrir. Aristote, pourtant si grand observateur,
voyait entre hommes libres et esclaves des différences de nature ; la culture
qui l’avait formé ne lui laissait même pas la possibilité d’en douter. Il
fallait le stoïcisme, la révélation chrétienne, le travail des philosophes et
des théologiens du Moyen Âge peu à peu absorbé par l’art et par les mœurs, pour
aboutir finalement à l’abolition de l’esclavage.
Sans doute les politiques
qui portèrent cette révolution pensaient-ils faire l’histoire ; ce qu’ils ne
savaient pas, c’est qu’ils se contentaient de tenir la plume pour prendre acte
de ce qui s’était joué avant eux. Car les vrais changements se gagnent, ou se
perdent, dans le vaste, long et silencieux travail de la culture.
Le rôle de
l’Église
Comme il est étonnant que
nous l’ayons oublié ! Tout notre héritage nous le rappelle pourtant. Partout où
l’Église est passée, elle a commencé par construire des écoles ; elle a inventé
l’université, converti les fêtes, transmis pour les millénaires à venir le
patrimoine artistique de l’humanité. Combien de missionnaires ont sauvé des
langues locales en tentant de les habiter de l’universalité de l’Évangile ? Les
chrétiens ont fait l’expérience que toute conversion commence par une parole –
« Au commencement est le Verbe » –, et non l’action ; la culture, et non la
politique. Comment l’avons-nous oublié ?
***************
Joachim Du Bellay
(1522-1560).
Recueil : Les Regrets
(1558).
France, mère des arts, des armes et des lois
France, mère des arts, des
armes et des lois,
Tu m'as nourri longtemps du
lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau qui sa
nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les
antres et les bois.
Si tu m'as pour enfant avoué
quelquefois,
Que ne me réponds-tu
maintenant, ô cruelle ?
France, France, réponds à ma
triste querelle.
Mais nul, sinon Écho, ne
répond à ma voix.
Entre les loups cruels
j'erre parmi la plaine,
Je sens venir l'hiver, de
qui la froide haleine
D'une tremblante horreur
fait hérisser ma peau.
Las, tes autres agneaux
n'ont faute de pâture,
Ils ne craignent le loup, le
vent ni la froidure :
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.
***************
George Orwell, 1984,
« La novlangue »
« Ne
voyez-vous pas que le véritable but du novlangue est de restreindre les limites
de la pensée ? A la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime
par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. Tous les concepts
nécessaires seront exprimés chacun exactement par un seul mot dont le sens sera
rigoureusement délimité. Toutes les significations subsidiaires seront
supprimées et oubliées. Déjà, dans la onzième édition, nous ne sommes pas loin
de ce résultat. Mais le processus continuera encore longtemps après que vous et
moi nous serons morts. Chaque année, de moins en moins de mots, et le champ de
la conscience de plus en plus restreint. Il n’y a plus, dès maintenant, c’est
certain, d’excuse ou de raison au crime par la pensée. C’est simplement une
question de discipline personnelle, de maîtrise de soi-même. Mais même cette
discipline sera inutile en fin de compte. La Révolution sera complète quand le
langage sera parfait. Le novlangue est l’angsoc et l’angsoc est le novlangue, ajouta-t-il
avec une sorte de satisfaction mystique. Vous est-il jamais arrivé de
penser, Winston, qu’en 2050, au plus tard, il n’y aura pas un seul être humain
vivant capable de comprendre une conversation comme celle que nous tenons
maintenant ? (…) Les prolétaires ne sont pas des êtres humains, dit-il
négligemment. Vers 2050, plus tôt probablement, toute connaissance de
l’ancienne langue aura disparu. Toute la littérature du passé aura été
détruite. Chaucer, Shakespeare, Milton, Byron n’existeront plus qu’en versions
novlangue. Ils ne seront pas changés simplement en quelque chose de différent,
ils seront changés en quelque chose qui sera le contraire de ce qu’ils étaient
jusque-là. Même la littérature du Parti changera. Même les slogans changeront.
Comment pourrait-il y avoir une devise comme « La Liberté, c’est
l’esclavage » alors que le concept même de la liberté aura été
aboli ? Le climat total de la pensée sera autre. En fait, il n’y aura pas
de pensée telle que nous la comprenons maintenant. Orthodoxie signifie
non-pensant, qui n’a pas besoin de pensée. L’orthodoxie, c’est l’inconscience. »
***************
Théodore de Banville
(1823-1891).
Recueil : Les Cariatides (1842).
L'Automne
Sois le bienvenu, rouge
Automne,
Accours dans ton riche
appareil,
Embrase le coteau vermeil
Que la vigne pare et
festonne.
Père, tu rempliras la tonne
Qui nous verse le doux
sommeil ;
Sois le bienvenu, rouge
Automne,
Accours dans ton riche
appareil.
Déjà la Nymphe qui s'étonne,
Blanche de la nuque à
l'orteil,
Rit aux chants ivres de
soleil
Que le gai vendangeur
entonne.
Sois le bienvenu, rouge
Automne.
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