vendredi 3 octobre 2014

Textes lus lors de notre 44ème veillée - 3 octobre 2014

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« Les victoires politiques se préparent
par des conquêtes culturelles. »
ANTONIO GRAMSCI
                         
François-Xavier Bellamy, « Au commencement est la culture » (août 2014)
Joachim Du Bellay, Regrets, IX, « France, mère des arts, des armes et des lois » (1558)
George Orwell, 1984, « La novlangue » (1949)
Théodore de Banville, Les Cariatides, « L'Automne » (1842)

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Au commencement est la culture
Chronique parue dans Famille Chrétienne du 9 août 2014, par François-Xavier Bellamy, philosophe et adjoint au maire de Versailles.
Ce n’est pas de la politique que viennent les révolutions, mais de la culture, c’est-à-dire de tout ce qui constitue le regard que nous portons collectivement sur le réel. N’est-ce pas ce que confirment nos expériences les plus récentes ? Pour que soit votée la loi Taubira, par exemple, il a fallu qu’une grande partie de nos contemporains en vienne à regarder le mariage comme un droit, par exemple ; ou à ne plus voir de différence significative entre un père et une mère. Car cette différence n’est pas tout à fait « élémentaire »…
L’erreur de la postmodernité est d’affirmer qu’il n’y a pas de vérité et, partant, de ne plus rien croire ; mais l’illusion contraire de ceux qui partagent des convictions fortes, c’est de penser qu’il y a des évidences – c’est-à-dire, littéralement, des réalités qui se font voir d’elles-mêmes. La réalité n’est pas une construction artificielle ; mais elle ne nous saute pas pour autant aux yeux : il faut pour la voir une culture qui nous ait appris à la contempler.
Une lente maturation
Que tous les hommes partagent une même nature et une égale dignité, voilà qui nous semble sans doute élémentaire. Mais cette incontestable vérité est si peu évidente qu’il aura fallu des siècles de maturation intellectuelle et spirituelle pour que les sociétés finissent par la découvrir. Aristote, pourtant si grand observateur, voyait entre hommes libres et esclaves des différences de nature ; la culture qui l’avait formé ne lui laissait même pas la possibilité d’en douter. Il fallait le stoïcisme, la révélation chrétienne, le travail des philosophes et des théologiens du Moyen Âge peu à peu absorbé par l’art et par les mœurs, pour aboutir finalement à l’abolition de l’esclavage.
Sans doute les politiques qui portèrent cette révolution pensaient-ils faire l’histoire ; ce qu’ils ne savaient pas, c’est qu’ils se contentaient de tenir la plume pour prendre acte de ce qui s’était joué avant eux. Car les vrais changements se gagnent, ou se perdent, dans le vaste, long et silencieux travail de la culture.
Le rôle de l’Église
Comme il est étonnant que nous l’ayons oublié ! Tout notre héritage nous le rappelle pourtant. Partout où l’Église est passée, elle a commencé par construire des écoles ; elle a inventé l’université, converti les fêtes, transmis pour les millénaires à venir le patrimoine artistique de l’humanité. Combien de missionnaires ont sauvé des langues locales en tentant de les habiter de l’universalité de l’Évangile ? Les chrétiens ont fait l’expérience que toute conversion commence par une parole – « Au commencement est le Verbe » –, et non l’action ; la culture, et non la politique. Comment l’avons-nous oublié ?
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Joachim Du Bellay (1522-1560).
Recueil : Les Regrets (1558).

France, mère des arts, des armes et des lois
France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.

Si tu m'as pour enfant avoué quelquefois,
Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?
France, France, réponds à ma triste querelle.
Mais nul, sinon Écho, ne répond à ma voix.

Entre les loups cruels j'erre parmi la plaine,
Je sens venir l'hiver, de qui la froide haleine
D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau.

Las, tes autres agneaux n'ont faute de pâture,
Ils ne craignent le loup, le vent ni la froidure :
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.

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George Orwell, 1984, « La novlangue »

«  Ne voyez-vous pas que le véritable but du novlangue est de restreindre les limites de la pensée ? A la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. Tous les concepts nécessaires seront exprimés chacun exactement par un seul mot dont le sens sera rigoureusement délimité. Toutes les significations subsidiaires seront supprimées et oubliées. Déjà, dans la onzième édition, nous ne sommes pas loin de ce résultat. Mais le processus continuera encore longtemps après que vous et moi nous serons morts. Chaque année, de moins en moins de mots, et le champ de la conscience de plus en plus restreint. Il n’y a plus, dès maintenant, c’est certain, d’excuse ou de raison au crime par la pensée. C’est simplement une question de discipline personnelle, de maîtrise de soi-même. Mais même cette discipline sera inutile en fin de compte. La Révolution sera complète quand le langage sera parfait. Le novlangue est l’angsoc et l’angsoc est le novlangue, ajouta-t-il avec une sorte de satisfaction mystique. Vous est-il jamais arrivé de penser, Winston, qu’en 2050, au plus tard, il n’y aura pas un seul être humain vivant capable de comprendre une conversation comme celle que nous tenons maintenant ? (…) Les prolétaires ne sont pas des êtres humains, dit-il négligemment. Vers 2050, plus tôt probablement, toute connaissance de l’ancienne langue aura disparu. Toute la littérature du passé aura été détruite. Chaucer, Shakespeare, Milton, Byron n’existeront plus qu’en versions novlangue. Ils ne seront pas changés simplement en quelque chose de différent, ils seront changés en quelque chose qui sera le contraire de ce qu’ils étaient jusque-là. Même la littérature du Parti changera. Même les slogans changeront. Comment pourrait-il y avoir une devise comme « La Liberté, c’est l’esclavage » alors que le concept même de la liberté aura été aboli ? Le climat total de la pensée sera autre. En fait, il n’y aura pas de pensée telle que nous la comprenons maintenant. Orthodoxie signifie non-pensant, qui n’a pas besoin de pensée. L’orthodoxie, c’est l’inconscience. »

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Théodore de Banville (1823-1891).
Recueil : Les Cariatides (1842).

L'Automne

Sois le bienvenu, rouge Automne,
Accours dans ton riche appareil,
Embrase le coteau vermeil
Que la vigne pare et festonne.

Père, tu rempliras la tonne
Qui nous verse le doux sommeil ;
Sois le bienvenu, rouge Automne,
Accours dans ton riche appareil.

Déjà la Nymphe qui s'étonne,
Blanche de la nuque à l'orteil,
Rit aux chants ivres de soleil
Que le gai vendangeur entonne.
Sois le bienvenu, rouge Automne.


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