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« Le plus difficile n'est pas de faire son devoir,
c'est de savoir où il se place. »
c'est de savoir où il se place. »
JEAN DE LA VARENDE
Ludovine de la Rochère, « Face à cette folie déconnectée du réel » (juillet 2014)
Martin Steffens, « Pourquoi se battre ? » (septembre 2014)
Charles Péguy, « Notre cœur vil » (décembre 1911)
Nos limites,
notre humanité
Par Chantal
Delsol, philosophe et membre de l’Institut. Tribune parue dans Valeurs actuelles du 7 août 2014.
La question écologique et les réformes dites de société
nous imposent de penser les limites à l’action humaine. Jamais cette
interrogation n’a été aussi cruciale. Un bel ouvrage de Gaultier Bès, Marianne
Durano et Axel Rokvam vient de sortir qui s’intitule Nos limites, pour une
écologie intégrale (Le Centurion). Les ressources désormais sans fin de la
technique permettent à l’humanité de détruire la nature censée nous survivre,
qui devrait demeurer le monde des générations futures. Mais elles permettent
aussi d’engendrer des monstres, ce que sont à leur excès lesdites réformes
sociétales. Qu’est-ce qu’un monstre ? Le moment contemporain veut nous faire
croire que cela n’existe pas, que c’est une notion périmée datant des
religions, qu’en réalité tout est possible et qu’en conséquence tout est normal
puisque rien ne l’est. Nous ne pourrions plus être dénaturés, puisqu’il n’y a
pas de nature. Il n’y aurait pas de limites à nos désirs, puisque la technique
nous permet tout et puisque les religions ne nous interdisent plus rien…
C’est le contraire. Plus nous avons de moyens pour
produire des humains au lieu de les procréer, pour brouiller les générations et
les filiations, pour engendrer de l’aberrant et du bizarre, plus nous avons
besoin de penser les limites. Les deux totalitarismes du XXe siècle proviennent
de la terrible certitude que “tout est possible”. Notre sagesse doit venir au
secours des abus de notre pouvoir. Faute de quoi, l’horreur nous attend.
Ne croyons pas une seconde
que seules les religions sauvegardent les limites. Quelle que soit l’admiration
qu’on a pour Dostoïevski, il n’est rien de plus faux que son célèbre « Si
Dieu n’existe pas, tout est permis ». Les limites humaines sont d’abord
sauvegardées par le sens commun qui fait la coutume, et les religions
s’installent dans ces habitacles coutumiers qu’elles institutionnalisent. Les
Grecs anciens à partir des lois coutumières pensaient la loi naturelle, à tel
point que l’une et l’autre se distinguent peu dans l’histoire d’Antigone.
Sénèque écrit dans son Phèdre : « Même chez les sauvages cela ne se
fait pas, cela ne s’est jamais vu / Regarde / Les Gètes vagabondent sans feu ni
lieu / Les peuples du Taurus égorgent les voyageurs / Les Scythes errent sans
foi ni loi / Mais tous interdisent l’inceste. »
La liberté ouvre toutes les portes. Les Grecs, qui ont
inventé la liberté, inventèrent aussi le nihilisme. Diogène le Cynique,
récusant les interdits sociaux, récuse aussi les limites les plus profondes en
prônant l’inceste — et c’est ainsi qu’il est dit le chien (le Cynique),
retourné à l’état naturel, en réalité hors humain. Pour les Grecs, les limites
ne proviennent pas des interdits divins, ou plutôt ceux-ci ne font qu’assumer
la nature. Si l’on sort de l’équilibre où peuvent vivre les humains, alors le
monde peut trembler. Il suffit de relire l’histoire de Médée, dont Sénèque dit
qu’elle profane l’ordre du monde. Les actes de Médée sont reliés par le
dramaturge aux désordres perpétrés par les hommes dans la nature. Au moment où
les Atrides se livrent à toutes sortes d’infamies, en même temps ils rompent et
transgressent les barrières de l’espace, dévorent les limites géographiques et
terrestres soumises à leur caprice. Se rejoignent le chaos sur la terre et le
chaos dans la société des hommes.
La raison de tout cela ?
L’orgueil humain et sa démesure. La folle volonté de tout maîtriser, bientôt
commuée en folie destructrice. Et comme le dit Fabrice Hadjadj dans une belle
analyse qu’il fait de Sénèque : « Si tu ne parviens plus à faire face à la
tempête, deviens toi-même tempête. » L’orgueil de la démesure engendre le
crime. Nos lois “sociétales” sont en train de glisser sur cette pente fatale.
Nos contemporains
s’imaginent qu’en tournant le dos aux religions ils se sont rendus maîtres du
destin et capables de dépasser la finitude humaine. Soyons laïcs, et tout
redeviendra possible… Nous pourrons louer des ventres de femmes, produire des
enfants aux filiations défoncées, faire croire à l’opinion émerveillée qu’un
couple d’hommes attend un enfant… Ce ne sont ni les pouvoirs ni les religions
qui décrètent nos limites. C’est la conscience inquiète de chaque époque. Si
par orgueil nous cessons de nous poser la question des limites, nous quittons
notre humanité.
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Famille : « Face
à cette folie déconnectée du réel... », par
Ludovine de La Rochère, Présidente de La Manif Pour Tous (tribune parue dans Valeurs
actuelles du 31 juillet 2014).
Une étude australienne récente, menée auprès d’enfants
élevés par des couples homosexuels, conclut que ces enfants, nés pour la
plupart de PMA ou de GPA, vont mieux que les enfants en général. Mark Regnerus,
chercheur au Centre de recherche sur la population de l’université du Texas, a
démontré que cette étude est biaisée, notamment parce que les participants ont
été recrutés par le réseau LGBT et non auprès de la population générale et
parce qu’informés de la finalité de l’enquête, ils ont vraisemblablement
répondu selon l’image qu’ils voulaient donner de l’homoparentalité. Malgré
cela, ces résultats ont été largement relayés par les médias, avec toute l’aura
de l’objectivité supposée de la science, celle-ci étant à l’évidence utilisée
comme un levier pro-LGBT.
Quels sont les autres
leviers ? Il s’agit des notions toutes simples que sont l’homophobie,
l’inégalité et la discrimination.
L’homophobie est ainsi
devenue le mal le plus dénoncé en France, avant même la pauvreté ou le chômage,
qui touchent pourtant un nombre immense de Français. Et l’amalgame est sans
cesse fait entre homophobie — le manque de respect à l’égard d’une personne au
motif de son orientation sexuelle — et opposition aux revendications du lobby
LGBT, pourtant non représentatif de l’ensemble des homosexuels (dont la plupart
n’ont rien demandé et dont certains militent avec La Manif pour tous). Être
défavorable au mariage et à l’adoption Taubira et à leurs suites évidentes — la
libéralisation de la PMA et la légalisation de la GPA — est amalgamé avec
l’homophobie. On fait comme si les opposants au mariage gay étaient
responsables du fait que deux hommes ou deux femmes ne puissent concevoir des
enfants ensemble, alors que c’est une donnée de l’humanité…
En invoquant l’inégalité et la discrimination, on
oublie que ce n’est pas l’orientation sexuelle qui conditionne les droits de
chaque citoyen. Les personnes homosexuelles ont les mêmes droits (et
heureusement !) que tout un chacun. En revanche, le couple homosexuel,
ontologiquement différent du couple hétérosexuel vis-à-vis de l’engendrement,
est dans une situation non comparable pour ce qui est de fonder une famille :
la revendication de l’égalité n’a donc pas de sens dans ce domaine.
Ces leviers continuent pourtant
de fonctionner à plein régime : après le vote de la loi Taubira, la PMA et la
GPA sont d’ores et déjà exigées comme allant de pair avec le mariage (qui vise
en effet à fonder une famille, et c’est bien la raison pour laquelle le mariage
Taubira est une aberration sur laquelle il faudra bien revenir), et pour les
mêmes motifs d’égalité et de non-discrimination.
Avec une nuance, cependant :
nombre de féministes, y compris lesbiennes, sont favorables à la libéralisation
de la PMA, mais opposées à la GPA parce qu’elle exploite la femme. Elles
prétendent, avec une touchante naïveté, que l’éternel argument de l’“égalité”
ne légitimera pas l’ouverture de la GPA aux couples masculins une fois que la
PMA aura été ouverte aux couples féminins…
Autre incohérence : à l’instar de Laurence Rossignol,
secrétaire d’État chargée de la famille, de nombreux opposants à la GPA sont
favorables à la circulaire Taubira qui facilite l’accueil en France d’enfants
nés de mères porteuses à l’étranger. Et les mêmes sont opposés à l’idée de
faire appel des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme qui
condamnent la France pour son refus de transcrire à l’état civil français les
naissances d’enfants nés d’une GPA aux États-Unis.
Ces pseudo-opposants à cet
esclavage moderne qu’est la GPA, qui arguent de l’intérêt des enfants
concernés, omettent deux éléments essentiels : d’abord, ils ne sont pas des
“enfants fantômes”, comme on voudrait nous le faire croire. Ou alors toutes les
personnes nées à l’étranger qui vivent en France sont des fantômes ! De fait,
ces enfants sont inscrits à l’état civil et ont la nationalité de leur pays de
naissance. Cela ne pose, en réalité, que des problèmes d’ordre pratique aux
adultes, lesquels ont osé les commander, les acheter et les séparer de leur
mère pour les ramener en France. D’autre part, en acceptant de transcrire leurs
actes de naissance dans les registres français, la justice légitime une
filiation truquée et favorise le développement de la GPA. Elle agit donc contre
l’intérêt supérieur de l’enfant d’une manière générale, d’autant plus qu’on
dira ensuite qu’il faut encadrer cette pratique en développement, donc
légiférer.
Ainsi, même si notre
mobilisation a considérablement freiné les projets du gouvernement, celui-ci
n’y a pas encore renoncé : il procède par des voies détournées. Et il fait de
même avec les ABCD dit “de l’égalité”, dont il a retiré le label mais dont il
généralise le contenu — qui confond égalité et indifférenciation — à tous les
établissements, niveaux et programmes scolaires.
Face à la folie de cette
présidence déconnectée du réel de l’humanité, nous n’avons d’autre choix que de
faire une nouvelle fois entendre la voix des familles. J’appelle donc tous les
Français à réserver leur week-end des 4 et 5 octobre : nous serons dans la rue
pour défendre l’humanité homme-femme, la filiation père-mère-enfant, et la
famille !
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Pourquoi se
battre ?
Par Martin
Steffens, philosophe, auteur de La
vie en bleu (éd. Marabout, 2014) - Tribune parue dans Famille Chrétienne
n° 1912 du 6 septembre 2014.
Nous vivons une heureuse concordance des temps : d’une
part, les commémorations autour des deux guerres mondiales nous rappellent que
la jeunesse d’une civilisation s’est un jour mobilisée dans l’espoir de stopper
la barbarie ; d’autre part, on assiste au Proche-Orient à la montée d’un islam
totalitaire.
Le passé, du coup, interroge
le présent : si la barbarie déferlait jusqu’à nous, serions-nous capables,
comme ces trois cent mille hommes et femmes sur les côtes de Provence, un
15 août 1944, de lui opposer une énergique fin de non-recevoir ? Aurions-nous
ce courage ?
Ni manque de
force ni manque de courage
En réalité, il ne s’agit pas
que d’une question de courage. Quand l’enfant manque de se noyer, la mère ou le
père se précipitent à l’eau sans se demander s’ils sont assez courageux pour le
faire : la cause est trop évidente pour céder à la peur. Ce dont nous manquons,
ce n’est pas de force ni de courage : c’est de savoir à quoi les vouer.
Nous avons oublié les
principes, simples et concrets, dont nous tirons le meilleur de notre vie et
pour lesquels, par conséquent, nous serions prêts à mourir. En 1944, des
milliers de jeunes gens se sont mobilisés (je souligne) pour sauver
l’Europe de son propre suicide : quels seraient aujourd’hui les mobiles d’un
tel engagement ?
Pour le philosophe écossais
Alasdair MacIntyre, il est aussi absurde de mourir pour l’État-nation moderne,
arbitre neutre des conflits d’intérêts privés, que « pour la Compagnie des
téléphones ».
Quelle vérité
serions-nous prêts à défendre ?
Pourquoi se battre, en
effet ? Mourrait-on pour que nos satellites, merveilles d’intelligence,
continuent de déverser sur le monde les fantasmes d’une civilisation jouisseuse
et fatiguée ? Se sacrifierait-on pour que les professionnels du fun et
de la dérision battent chaque jour de nouveaux records d’Audimat ? Donnerait-on
son sang afin que les sites de rencontres extraconjugales puissent toujours
afficher dans les couloirs du métro qu’être fidèle à son mari, c’est se tromper
soi-même ?
La concordance des temps
entre une guerre gagnée contre la barbarie et celle qui s’approche
dangereusement a le mérite de poser franchement la question : quel est, selon
nous, le cœur battant de notre civilisation ? Quelle est cette vérité que nous,
Européens, serions prêts à défendre, parce qu’elle donne à notre mode de vie un
prix inestimable ?
Le devoir de mémoire envers
les combattants d’hier est désormais un devoir d’invention : repérer le fil
directeur de notre histoire pour en écrire, dès aujourd’hui, les chapitres les
plus forts.
***************
Notre cœur vil (1911)
Ce poème
acrostiche est adressé par lettre du 17 décembre 1911 à Blanche Raphaël, dont
est secrètement épris Péguy.
Béni sois-tu, cœur pur,
Pour ta détresse ;
Béni sois-tu, cœur dur ;
Pour ta tendresse.
Loué sois-tu, cœur las,
Pour ta bassesse ;
Loué sois-tu, cœur bas,
Pour ta hautesse.
Avoué tu seras
Au dernier jour,
Quand tu comparaîtras
Au clair séjour.
Noué sois-tu serré
Comme une corde
Sur la très révérée
Miséricorde.
Cloué sois-tu, cœur sec,
Au dur gibet,
Sous la serre et le bec
Et sous l’onglet.
Honni sois-tu, cœur double,
Ô faux ami ;
Honni sois-tu, cœur trouble,
Cher ennemi.
Et pardonné sois-tu,
Notre cœur vil,
Au nom des Trois Vertus ;
Ainsi soit-il.
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