vendredi 19 septembre 2014

Textes lus lors de notre 43ème veillée - 19 septembre 2014

Si vous le souhaitez, vous pouvez lire notre page en écoutant de la musique
(fichier téléchargeable)

« Le plus difficile n'est pas de faire son devoir,
c'est de savoir où il se place. »
JEAN DE LA VARENDE
                         
Chantal Delsol, « Nos limites, notre humanité » (août 2014)
Ludovine de la Rochère, « Face à cette folie déconnectée du réel » (juillet 2014)
Martin Steffens, « Pourquoi se battre ? » (septembre 2014)
Charles Péguy, « Notre cœur vil » (décembre 1911)

======================================================================================
Nos limites, notre humanité
Par Chantal Delsol, philosophe et membre de l’Institut. Tribune parue dans Valeurs actuelles du 7 août 2014.
La question écologique et les réformes dites de société nous imposent de penser les limites à l’action humaine. Jamais cette interrogation n’a été aussi cruciale. Un bel ouvrage de Gaultier Bès, Marianne Durano et Axel Rokvam vient de sortir qui s’intitule Nos limites, pour une écologie intégrale (Le Centurion). Les ressources désormais sans fin de la technique permettent à l’humanité de détruire la nature censée nous survivre, qui devrait demeurer le monde des générations futures. Mais elles permettent aussi d’engendrer des monstres, ce que sont à leur excès lesdites réformes sociétales. Qu’est-ce qu’un monstre ? Le moment contemporain veut nous faire croire que cela n’existe pas, que c’est une notion périmée datant des religions, qu’en réalité tout est possible et qu’en conséquence tout est normal puisque rien ne l’est. Nous ne pourrions plus être dénaturés, puisqu’il n’y a pas de nature. Il n’y aurait pas de limites à nos désirs, puisque la technique nous permet tout et puisque les religions ne nous interdisent plus rien…
C’est le contraire. Plus nous avons de moyens pour produire des humains au lieu de les procréer, pour brouiller les générations et les filiations, pour engendrer de l’aberrant et du bizarre, plus nous avons besoin de penser les limites. Les deux totalitarismes du XXe siècle proviennent de la terrible certitude que “tout est possible”. Notre sagesse doit venir au secours des abus de notre pouvoir. Faute de quoi, l’horreur nous attend.
Ne croyons pas une seconde que seules les religions sauvegardent les limites. Quelle que soit l’admiration qu’on a pour Dostoïevski, il n’est rien de plus faux que son célèbre « Si Dieu n’existe pas, tout est permis ». Les limites humaines sont d’abord sauvegardées par le sens commun qui fait la coutume, et les religions s’installent dans ces habitacles coutumiers qu’elles institutionnalisent. Les Grecs anciens à partir des lois coutumières pensaient la loi naturelle, à tel point que l’une et l’autre se distinguent peu dans l’histoire d’Antigone. Sénèque écrit dans son Phèdre : « Même chez les sauvages cela ne se fait pas, cela ne s’est jamais vu / Regarde / Les Gètes vagabondent sans feu ni lieu / Les peuples du Taurus égorgent les voyageurs / Les Scythes errent sans foi ni loi / Mais tous interdisent l’inceste. »
La liberté ouvre toutes les portes. Les Grecs, qui ont inventé la liberté, inventèrent aussi le nihilisme. Diogène le Cynique, récusant les interdits sociaux, récuse aussi les limites les plus profondes en prônant l’inceste — et c’est ainsi qu’il est dit le chien (le Cynique), retourné à l’état naturel, en réalité hors humain. Pour les Grecs, les limites ne proviennent pas des interdits divins, ou plutôt ceux-ci ne font qu’assumer la nature. Si l’on sort de l’équilibre où peuvent vivre les humains, alors le monde peut trembler. Il suffit de relire l’histoire de Médée, dont Sénèque dit qu’elle profane l’ordre du monde. Les actes de Médée sont reliés par le dramaturge aux désordres perpétrés par les hommes dans la nature. Au moment où les Atrides se livrent à toutes sortes d’infamies, en même temps ils rompent et transgressent les barrières de l’espace, dévorent les limites géographiques et terrestres soumises à leur caprice. Se rejoignent le chaos sur la terre et le chaos dans la société des hommes.
La raison de tout cela ? L’orgueil humain et sa démesure. La folle volonté de tout maîtriser, bientôt commuée en folie destructrice. Et comme le dit Fabrice Hadjadj dans une belle analyse qu’il fait de Sénèque : « Si tu ne parviens plus à faire face à la tempête, deviens toi-même tempête. » L’orgueil de la démesure engendre le crime. Nos lois “sociétales” sont en train de glisser sur cette pente fatale.
Nos contemporains s’imaginent qu’en tournant le dos aux religions ils se sont rendus maîtres du destin et capables de dépasser la finitude humaine. Soyons laïcs, et tout redeviendra possible… Nous pourrons louer des ventres de femmes, produire des enfants aux filiations défoncées, faire croire à l’opinion émerveillée qu’un couple d’hommes attend un enfant… Ce ne sont ni les pouvoirs ni les religions qui décrètent nos limites. C’est la conscience inquiète de chaque époque. Si par orgueil nous cessons de nous poser la question des limites, nous quittons notre humanité.
***************

Famille : « Face à cette folie déconnectée du réel... », par Ludovine de La Rochère, Présidente de La Manif Pour Tous (tribune parue dans Valeurs actuelles du 31 juillet 2014).
Une étude australienne récente, menée auprès d’enfants élevés par des couples homosexuels, conclut que ces enfants, nés pour la plupart de PMA ou de GPA, vont mieux que les enfants en général. Mark Regnerus, chercheur au Centre de recherche sur la population de l’université du Texas, a démontré que cette étude est biaisée, notamment parce que les participants ont été recrutés par le réseau LGBT et non auprès de la population générale et parce qu’informés de la finalité de l’enquête, ils ont vraisemblablement répondu selon l’image qu’ils voulaient donner de l’homoparentalité. Malgré cela, ces résultats ont été largement relayés par les médias, avec toute l’aura de l’objectivité supposée de la science, celle-ci étant à l’évidence utilisée comme un levier pro-LGBT.
Quels sont les autres leviers ? Il s’agit des notions toutes simples que sont l’homophobie, l’inégalité et la discrimination.
L’homophobie est ainsi devenue le mal le plus dénoncé en France, avant même la pauvreté ou le chômage, qui touchent pourtant un nombre immense de Français. Et l’amalgame est sans cesse fait entre homophobie — le manque de respect à l’égard d’une personne au motif de son orientation sexuelle — et opposition aux revendications du lobby LGBT, pourtant non représentatif de l’ensemble des homosexuels (dont la plupart n’ont rien demandé et dont certains militent avec La Manif pour tous). Être défavorable au mariage et à l’adoption Taubira et à leurs suites évidentes — la libéralisation de la PMA et la légalisation de la GPA — est amalgamé avec l’homophobie. On fait comme si les opposants au mariage gay étaient responsables du fait que deux hommes ou deux femmes ne puissent concevoir des enfants ensemble, alors que c’est une donnée de l’humanité…
En invoquant l’inégalité et la discrimination, on oublie que ce n’est pas l’orientation sexuelle qui conditionne les droits de chaque citoyen. Les personnes homosexuelles ont les mêmes droits (et heureusement !) que tout un chacun. En revanche, le couple homosexuel, ontologiquement différent du couple hétérosexuel vis-à-vis de l’engendrement, est dans une situation non comparable pour ce qui est de fonder une famille : la revendication de l’égalité n’a donc pas de sens dans ce domaine.
Ces leviers continuent pourtant de fonctionner à plein régime : après le vote de la loi Taubira, la PMA et la GPA sont d’ores et déjà exigées comme allant de pair avec le mariage (qui vise en effet à fonder une famille, et c’est bien la raison pour laquelle le mariage Taubira est une aberration sur laquelle il faudra bien revenir), et pour les mêmes motifs d’égalité et de non-discrimination.
Avec une nuance, cependant : nombre de féministes, y compris lesbiennes, sont favorables à la libéralisation de la PMA, mais opposées à la GPA parce qu’elle exploite la femme. Elles prétendent, avec une touchante naïveté, que l’éternel argument de l’“égalité” ne légitimera pas l’ouverture de la GPA aux couples masculins une fois que la PMA aura été ouverte aux couples féminins…
Autre incohérence : à l’instar de Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, de nombreux opposants à la GPA sont favorables à la circulaire Taubira qui facilite l’accueil en France d’enfants nés de mères porteuses à l’étranger. Et les mêmes sont opposés à l’idée de faire appel des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme qui condamnent la France pour son refus de transcrire à l’état civil français les naissances d’enfants nés d’une GPA aux États-Unis.
Ces pseudo-opposants à cet esclavage moderne qu’est la GPA, qui arguent de l’intérêt des enfants concernés, omettent deux éléments essentiels : d’abord, ils ne sont pas des “enfants fantômes”, comme on voudrait nous le faire croire. Ou alors toutes les personnes nées à l’étranger qui vivent en France sont des fantômes ! De fait, ces enfants sont inscrits à l’état civil et ont la nationalité de leur pays de naissance. Cela ne pose, en réalité, que des problèmes d’ordre pratique aux adultes, lesquels ont osé les commander, les acheter et les séparer de leur mère pour les ramener en France. D’autre part, en acceptant de transcrire leurs actes de naissance dans les registres français, la justice légitime une filiation truquée et favorise le développement de la GPA. Elle agit donc contre l’intérêt supérieur de l’enfant d’une manière générale, d’autant plus qu’on dira ensuite qu’il faut encadrer cette pratique en développement, donc légiférer.
Ainsi, même si notre mobilisation a considérablement freiné les projets du gouvernement, celui-ci n’y a pas encore renoncé : il procède par des voies détournées. Et il fait de même avec les ABCD dit “de l’égalité”, dont il a retiré le label mais dont il généralise le contenu — qui confond égalité et indifférenciation — à tous les établissements, niveaux et programmes scolaires.
Face à la folie de cette présidence déconnectée du réel de l’humanité, nous n’avons d’autre choix que de faire une nouvelle fois entendre la voix des familles. J’appelle donc tous les Français à réserver leur week-end des 4 et 5 octobre : nous serons dans la rue pour défendre l’humanité homme-femme, la filiation père-mère-enfant, et la famille !
***************

Pourquoi se battre ?
Par Martin Steffens, philosophe, auteur de La vie en bleu (éd. Marabout, 2014) - Tribune parue dans Famille Chrétienne n° 1912 du 6 septembre 2014.
Nous vivons une heureuse concordance des temps : d’une part, les commémorations autour des deux guerres mondiales nous rappellent que la jeunesse d’une civilisation s’est un jour mobilisée dans l’espoir de stopper la barbarie ; d’autre part, on assiste au Proche-Orient à la montée d’un islam totalitaire.
Le passé, du coup, interroge le présent : si la barbarie déferlait jusqu’à nous, serions-nous capables, comme ces trois cent mille hommes et femmes sur les côtes de Provence, un 15 août 1944, de lui opposer une énergique fin de non-recevoir ? Aurions-nous ce courage ?
Ni manque de force ni manque de courage
En réalité, il ne s’agit pas que d’une question de courage. Quand l’enfant manque de se noyer, la mère ou le père se précipitent à l’eau sans se demander s’ils sont assez courageux pour le faire : la cause est trop évidente pour céder à la peur. Ce dont nous manquons, ce n’est pas de force ni de courage : c’est de savoir à quoi les vouer.
Nous avons oublié les principes, simples et concrets, dont nous tirons le meilleur de notre vie et pour lesquels, par conséquent, nous serions prêts à mourir. En 1944, des milliers de jeunes gens se sont mobilisés (je souligne) pour sauver l’Europe de son propre suicide : quels seraient aujourd’hui les mobiles d’un tel engagement ?
Pour le philosophe écossais Alasdair MacIntyre, il est aussi absurde de mourir pour l’État-nation moderne, arbitre neutre des conflits d’intérêts privés, que « pour la Compagnie des téléphones ».
Quelle vérité serions-nous prêts à défendre ?
Pourquoi se battre, en effet ? Mourrait-on pour que nos satellites, merveilles d’intelligence, continuent de déverser sur le monde les fantasmes d’une civilisation jouisseuse et fatiguée ? Se sacrifierait-on pour que les professionnels du fun et de la dérision battent chaque jour de nouveaux records d’Audimat ? Donnerait-on son sang afin que les sites de rencontres extraconjugales puissent toujours afficher dans les couloirs du métro qu’être fidèle à son mari, c’est se tromper soi-même ?
La concordance des temps entre une guerre gagnée contre la barbarie et celle qui s’approche dangereusement a le mérite de poser franchement la question : quel est, selon nous, le cœur battant de notre civilisation ? Quelle est cette vérité que nous, Européens, serions prêts à défendre, parce qu’elle donne à notre mode de vie un prix inestimable ?
Le devoir de mémoire envers les combattants d’hier est désormais un devoir d’invention : repérer le fil directeur de notre histoire pour en écrire, dès aujourd’hui, les chapitres les plus forts.
***************

Notre cœur vil (1911)

Ce poème acrostiche est adressé par lettre du 17 décembre 1911 à Blanche Raphaël, dont est secrètement épris Péguy.

Béni sois-tu, cœur pur,
Pour ta détresse ;
Béni sois-tu, cœur dur ;
Pour ta tendresse.

Loué sois-tu, cœur las,
Pour ta bassesse ;
Loué sois-tu, cœur bas,
Pour ta hautesse.

Avoué tu seras
Au dernier jour,
Quand tu comparaîtras
Au clair séjour.

Noué sois-tu serré
Comme une corde
Sur la très révérée
Miséricorde.

Cloué sois-tu, cœur sec,
Au dur gibet,
Sous la serre et le bec
Et sous l’onglet.

Honni sois-tu, cœur double,
Ô faux ami ;
Honni sois-tu, cœur trouble,
Cher ennemi.

Et pardonné sois-tu,
Notre cœur vil,
Au nom des Trois Vertus ;
Ainsi soit-il.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire