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« Dans des temps de tromperie généralisée,
le seul fait de dire la vérité est un acte révolutionnaire. »
GEORGE ORWELL
Charles Péguy, Le Porche du mystère de la deuxième vertu, « La petite Espérance » (1912)
Jean-Pierre Calloc'h, À genoux, « La Prière du guetteur » (1915)
Commission théologique internationale, À la recherche d'une éthique universelle, « Les sources d'une société humanisante » (2007)
Théodore de Banville, Les Cariatides, « L'Été » (1842)
La petite Espérance
« Ce qui m'étonne, dit Dieu, c'est l'Espérance.
Et je n'en reviens pas.
Cette petite Espérance qui n'a l'air de rien du tout.
Cette petite fille Espérance.
Immortelle.
Car mes trois vertus, dit Dieu,
Les trois vertus mes créatures,
Mes filles, mes enfants,
Sont elles-mêmes comme mes autres créatures,
De la race des hommes.
La Foi est une Épouse fidèle,
La Charité est une Mère,
Une mère ardente, pleine de cœur,
Ou une sœur aînée qui est comme une mère.
L'Espérance est une petite fille de rien du tout,
Qui est venue au monde le jour de Noël de l'année
dernière,
Qui joue encore avec le bonhomme Janvier
Avec ses petits sapins en bois d'Allemagne. Peints.
Et avec sa crèche pleine de paille que les bêtes ne
mangent pas,
Puisqu’elles sont en bois.
C'est cette petite fille pourtant qui traversera les
mondes.
C'est cette petite fille de rien du tout.
Elle seule, portant les autres, qui traversera les
mondes révolus.
La petite Espérance s'avance entre ses deux grandes
sœurs et on ne prend seulement pas garde à elle.
Sur le chemin du salut, sur le chemin charnel, sur le
chemin raboteux du salut, sur la route interminable, sur la route entre ses
deux sœurs la petite Espérance
S'avance.
Entre ses deux grandes sœurs,
Celle qui est mariée,
Et celle qui est mère.
Et l'on n'a d'attention, le peuple chrétien n'a
d'attention que pour les deux grandes sœurs,
La première et la dernière,
Qui vont au plus pressé,
Au temps présent,
A l'instant momentané qui passe.
Le peuple chrétien ne voit que les deux grandes sœurs,
n'a de regard que pour les deux grandes sœurs.
Celle qui est à droite et celle qui est à gauche.
Et il ne voit quasiment pas celle qui est au milieu.
La petite, celle qui va encore à l'école.
Et qui marche,
Perdue entre les jupes de ses sœurs.
Et il croit volontiers que ce sont les deux grandes
qui traînent la petite par la main.
Au milieu.
Entre les deux,
Pour lui faire faire ce chemin raboteux du salut.
Les aveugles qui ne voient pas au contraire,
Que c'est elle au milieu qui entraîne ses deux grandes sœurs.
Et que sans elle elles ne seraient rien.
Que deux femmes déjà âgées.
Deux femmes d'un certain âge.
Fripées par la vie.
C'est elle, cette petite, qui entraîne tout.
Car la Foi ne voit que ce qui est
Et elle voit ce qui sera
La Charité n'aime que ce qui est
Et elle aime ce qui sera. »
Charles Péguy, Le Porche du mystère de la deuxième
vertu (1912)
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La Veillée dans
les Tranchées ou la prière du guetteur (7-27 septembre
1915)
Les ténèbres
pesantes s'épaissirent autour de moi ;
Sur l'étendue de
la plaine la couleur de la nuit s'épandait,
Et j'entendis
une voix qui priait sur la tranchée :
O la prière du
soldat quand tombe la lumière du jour !
« Le soleil
malade des cieux d'hiver, voici qu'il s'est couché ;
Les cloches de
l'Angélus ont sonné dans la Bretagne,
Les foyers sont
éteints et les étoiles luisent :
Mettez un cœur
fort, ô mon Dieu, dans ma poitrine.
Je me recommande
à vous et à votre Mère Marie ;
Préservez-moi,
mon Dieu, des épouvantes de la nuit aveugle,
Car mon travail
est grand et lourde ma chaîne :
Mon tour est
venu de veiller au front de la France,
Oui, la chaîne
est lourde. Derrière moi demeure
L'armée. Elle
dort. Je suis l'œil de l'armée.
C'est une charge
rude, Vous le savez. Eh bien,
Soyez avec moi,
mon souci sera léger comme la plume.
Je suis le
matelot au bossoir, le guetteur
Qui va, qui
vient, qui voit tout, qui entend tout. La France
M'a appelé ce
soir pour garder son honneur,
Elle m'a ordonné
de continuer sa vengeance.
Je suis le grand
Veilleur debout sur la tranchée.
Je sais ce que
je suis et je sais ce que je fais :
L'âme de
l'Occident, sa terre, ses filles et ses fleurs,
C'est toute la
beauté du Monde que je garde cette nuit.
J'en paierai
cher la gloire, peut-être ? Et qu'importe !
Les noms des
tombés, la terre d'Armor les gardera :
Je suis une
étoile claire qui brille au front de la France,
Je suis le grand
guetteur debout pour son pays.
Dors, ô patrie,
dors en paix. Je veillerai pour toi,
Et si vient à
s'enfler, ce soir, la mer germaine,
Nous sommes
frères des rochers qui défendent le rivage de la Bretagne douce.
Dors, ô France !
Tu ne seras pas submergée encore cette fois-ci.
Pour être ici,
j'ai abandonné ma maison, mes parents ;
Plus haut est le
devoir auquel je me suis attaché :
Ni fils, ni
frère ! Je suis le guetteur sombre et muet,
Aux frontières
de l'est, je suis le rocher breton.
Cependant, plus
d'une fois il m'advient de soupirer.
« Comment
sont-ils ? Hélas, ils sont pauvres, malades peut-être… ».
Mon Dieu, ayez
pitié de la maison qui est la mienne
Parce que je
n'ai rien au monde que ceux qui pleurent là...
Maintenant dors,
ô mon pays ! Ma main est sur mon glaive ;
Je sais le
métier ; je suis homme, je suis fort :
Le morceau de
France sous ma garde, jamais ils ne l'auront...
- Que suis-je
devant Vous, ô mon Dieu, sinon un ver ?
Quand je saute
le parapet, une hache à la main,
Mes gars disent
peut-être : « En avant ! Celui-là est un homme ! »
Et ils viennent
avec moi dans la boue, dans le feu, dans la fournaise...
Mais Vous, Vous
savez bien que je ne suis qu'un pécheur.
Vous, Vous savez
assez combien mon âme est faible,
Combien aride
mon cœur et misérables mes désirs ;
Trop souvent
Vous me voyez, ô Père qui êtes aux cieux,
Suivre des
chemins qui ne sont point Vos chemins.
C'est pourquoi,
quand la nuit répand ses terreurs par le monde,
Dans les
cavernes des tranchées, lorsque dorment mes frères,
Ayez pitié de
moi, écoutez ma demande,
Venez, et la
nuit pour moi sera pleine de clarté.
De mes péchés
anciens, Mon Dieu, délivrez-moi,
Brûlez-moi,
consumez-moi dans le feu de Votre amour,
Et mon âme
resplendira dans la nuit comme un cierge,
Et je serai
pareil aux archanges de Votre armée.
Mon Dieu, mon
Dieu ! Je suis le veilleur tout seul,
Ma patrie compte
sur moi et je ne suis qu'argile :
Accordez-moi ce
soir la force que je demande,
Je me recommande
à Vous et à Votre Mère Marie. »
Jean-Pierre
Calloc'h (1888-1917)
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Les sources
d’une société humanisante
« La société organisée en
vue du bien commun de ses membres répond à une exigence de la nature sociale de
la personne. La loi naturelle apparaît alors comme l’horizon normatif dans
lequel est appelé à se mouvoir l’ordre politique. Elle définit l’ensemble des
valeurs qui apparaissent comme humanisantes pour une société. Dès que l’on
se situe dans le champ social et politique, les valeurs ne peuvent plus être de
nature privée, idéologique ou confessionnelle : elles concernent tous les
citoyens. Elles expriment non un vague consensus entre eux, mais se fondent sur
les exigences de leur commune humanité. Pour que la société remplisse correctement
sa mission au service de la personne, elle doit promouvoir l’accomplissement de
ses inclinations naturelles. La personne est donc antérieure à la société et la
société n’est humanisante que si elle répond aux attentes inscrites dans la
personne en tant qu’être social.
Cet ordre naturel de la
société au service de la personne est connoté, selon la doctrine sociale de
l’Église, de quatre valeurs qui découlent des inclinations naturelles de
l’homme, et qui dessinent les contours du bien commun que la société doit
poursuivre, à savoir : la liberté, la vérité, la justice et la solidarité. Ces
quatre valeurs correspondent aux exigences d’un ordre éthique conforme à la loi
naturelle. Si l’une d’elles vient à faire défaut, la Cité tend vers l’anarchie
ou le règne du plus fort. La liberté est la première condition d’un ordre
politique humainement acceptable. Sans la liberté de suivre sa conscience,
d’exprimer ses opinions et de poursuivre ses projets, il n’y a pas de Cité
humaine, même si la recherche des biens privés doit toujours s’articuler à la
promotion du bien commun de la Cité. Sans la recherche et le respect de la
vérité, il n’y a pas de société, mais la dictature du plus fort. La vérité, qui
n’est la propriété de personne, est seule capable de faire converger les hommes
vers des objectifs communs. Si ce n’est pas la vérité qui s’impose
d’elle-même, c’est le plus habile qui impose « sa » vérité. Sans justice, il
n’y a pas de société, mais le règne de la violence. La justice est le bien le
plus haut que puisse procurer la Cité. Elle suppose que ce qui est juste soit
toujours recherché, et que le droit soit appliqué avec le souci du cas
particulier, car l’équité est le comble de la justice. Enfin, il faut que la
société soit régie d’une manière solidaire, de telle sorte qu’on fasse droit à
l’aide mutuelle et à la responsabilité pour le sort des autres, et que les
biens dont la société dispose puissent répondre aux besoins de tous. »
Commission
théologique internationale, A la recherche d’une éthique universelle,
2007, § 86-87
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Théodore de BANVILLE (1823-1891).
Recueil : Les Cariatides (1842).
L'Été
Il brille, le sauvage Été,
La poitrine pleine de roses.
Il brûle tout, hommes et choses,
Dans sa placide cruauté.
Il met le désir effronté
Sur les jeunes lèvres décloses ;
Il brille, le sauvage Été,
La poitrine pleine de roses.
Roi superbe, il plane irrité
Dans des splendeurs d'apothéoses
Sur les horizons grandioses ;
Fauve dans la blanche clarté,
Il brille, le
sauvage Été.
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