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Gaultier Bès, « Vous avez mis les peuples au collège »
Pierre de Ronsard, Discours sur les misères de ce temps – À la Reine
Pierre de Ronsard, Discours sur les misères de ce temps – À la Reine
François-René de Chateaubriand, Génie du christianisme
Robert Lamoureux, Éloge de la fatigue
Robert Lamoureux, Éloge de la fatigue
« Vous avez mis
les peuples au collège »
Article paru
dans L'Alouette, La petite gazette des jeunes libres-plumes de France, le 6
septembre 2013
« Vous avez mis
les peuples au collège. Eh bien, on s’embête ferme dans vos collèges ! On prend
des vacances de temps en temps. Les révolutions sont nos vacances. » Bernanos,
Nous autres Français, 1939
Vous avez mis les peuples au collège
et voici qu’ils font le mur. Vous aurez beau le replâtrer, ce mur, vous n’en
saurez cacher longtemps la pourriture. Car il s’écroule déjà sous son propre
poids, fondé qu’il est sur un sable fuyant. Vous avez mis les peuples au
collège et voici que leur chahut s’organise. Mais pas comme d’habitude,
barricade et guillotine. Ils commencent à comprendre que vous sauriez recycler
jusqu’à leur rébellion, détourner contre eux-mêmes leur mépris et leur haine.
Que vous sauriez fort bien leur vendre la corde pour qu’ils se pendent entre
eux. Alors, ils font autrement, ils inventent, ils innovent, ils subvertissent
votre subversion. La soupe que vous leur servez, ils ne la digèrent plus. Ils
la trouvent indigeste. Ils ne vous la renversent pas sur la tête, ils ne
mettent pas les pieds dans le plat. Ils vous disent simplement non merci. Vous
repartirez bientôt avec vos marmites pleines.
Vous avez mis les peuples au collège
et vous leur avez dit : « Indignez-vous ». Ils vous ont pris au mot, mais sans
hypocrisie. Ils ont senti la magouille. Ils n’ont pas bien repassé vos leçons.
Ils ont renoncé à l’indignation sélective. Ils ont compris que s’indigner de
concert avec vous, ce serait bachoter vos mensonges. Ils ont mesuré combien vos
mots étaient pipés et vos schémas grossiers. Ils ne séparent plus
artificiellement culture et politique, écologie et dignité humaine, famille et
biotope, mainmise financière sur le travail et mainmise technique sur le
vivant, dérégulation économique et déconstruction sociétale, PMA et OGM. Ils ne
confondent plus décence commune et ordre moral, responsabilité civique et
intérêt partisan, service public et idéologie étatique.
Vous prétendiez faire de la jeunesse
votre priorité, mais à peine quitte-t-elle la cour fermée de ses écrans que vos
surveillants sonnent l’alarme et que vous débarquez avec vos maîtres-fouines.
Témoin le 31 août dernier. Les Veilleurs – dont j’étais – achevaient
tranquillement leur première marche estivale par une dernière étape à Paris,
après avoir parcouru près de 400 km de Rochefort à Nantes. Depuis un mois,
l’itinéraire était annoncé, simple et droit comme l’honneur : de la Défense à
la Concorde. Alors qu’une trentaine de Veilleurs marchaient quelque part entre
Saint-Nazaire et Couëron, l’intimidation commençait au téléphone, absurde et
maladroite. Beaucoup de bruit pour rien : des appels tardifs, des communiqués ambigus,
des arrêtés grandiloquents, des centaines de policiers inutilement mobilisés –
et pour beaucoup dégoûtés du triste jeu auquel on les fait jouer. Les photos du
31 parlent d’elles-mêmes : oui, c’était bien pour nous que ces dizaines de
fourgons remplissaient le bas des Champs et la Concorde, pour nous qui venions
paisiblement veiller sur la Mémoire & l’espérance.
Tout cela ne serait que ridicule si
ce n’était pas révélateur d’un malaise démocratique profond. Ce malaise auquel
les Veilleurs veulent remédier, c’est d’abord celui de la déresponsabilisation.
Le « pouvoir immense et tutélaire » que décrivait prophétiquement Tocqueville
semble bien en place. « Absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux », il
cherche à nous « fixer irrévocablement dans l’enfance », « dérob[ant] peu à peu
à chaque citoyen jusqu’à l’usage de lui-même ». Les « tuteurs » ont remplacé
les « tyrans » pour mater cette « foule innombrable d’hommes semblables et
égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes ». « C’est ainsi que tous les jours
[le despote nouveau] rend moins utile et plus rare l’emploi du libre arbitre »
: « Il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ;
il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse ; il ne
détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il
comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation a
n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le
gouvernement est le berger » (Alexis de Tocqueville, De la démocratie en
Amérique, II, 4, 6, 1835). Voici pourquoi le cirque médiatique désinforme et
divertit. Et voici pourquoi le cirque électoral donne l’illusion du libre
choix, donnant à voir au Quichotte ahuri les moulins à vent se battre entre
eux. Et pourquoi le cirque mercantile fait de chaque appétit un idéal, le
cirque technique de chaque fantasme un rêve à monnayer. Reste le caprice
universel – qu’on appelle reconnaissance sociale - dont l’État dose savamment
la satisfaction pour ses chers petits. Las, pour le citoyen saturé, chacun de
ces tristes cirques devient vite cercle vicieux et clôture infernale. Sombre
école que ce chapiteau-là !
Tant que le citoyen s’étourdit des
paillettes et des gadgets qu’on lui jette abondamment, tant qu’il tourne en
rond ravi de la fête, et s’arrête docile quand retentit la sonnerie, vous ne
risquez rien. Mais prenez garde, les engrenages de votre mécanique commencent à
rouiller. Les pannes s’accumulent. Et si vous poussez trop la machine pour
rattraper le retard, gare à ce qu’elle ne s’emballe ! Déjà, beaucoup ont quitté
le manège, écœurés. Mieux vaut ralentir un peu. Les Veilleurs, le 31 août et
depuis leur naissance en avril, ne se sont laissé ni rouler ni enclore. Ils
n’ont sauté dans aucun des cerceaux qu’on leur a tendus. C’est ainsi qu’ils ont
trouvé un bon antidote à l’infantilisation programmée des consciences : ils ne
demandent plus l’avis de personne pour exister. Pas besoin de leur permettre
d’être, ils sont sans vous. Car on ne saurait interdire ce qui n’a pas besoin
d’être autorisé. Les Veilleurs ont compris qu’ils n’étaient soumis aux pions
qu’autant qu’ils acceptaient de l’être et qu’ils seraient complices de
l’appauvrissement de la parole publique tant qu’ils consentiraient à ne parler
qu’au parloir officiel. Ainsi, pour échapper au piège de l’esbroufe médiatique,
ont-ils trouvé un remède radical : ils ont décidé de ne pas faire de bruit. La
chute des murailles idéologiques entre lesquelles vous tentez de les parquer en
fera sans doute bien assez.
Dès lors, il ne s’est rien passé
d’autre, ce samedi 31 août, que le simple ébranlement de quelques citoyens
debout face à l’enflure d’un pouvoir qui se prétend maître et possesseur d’une
nature qu’il exècre. Parce que lorsque le citoyen est déresponsabilisé, la
République est confisquée. Les Veilleurs ont dit ce qu’ils feraient et fait ce
qu’ils avaient dit. Ils n’ont rien troublé d’autre que l’ordre empesé de la
préfecture, ils n’ont pas prêté attention aux aboiements des chiens de garde de
la servitude volontaire.
Face à la panique, comme face à la
paresse, les Veilleurs prennent la parole, humblement. Rien de ce qui est
humain ne leur est étranger, voilà peut-être leur seul vrai programme. Ils ne
marchent plus dans vos combines, ni sous la discipline oblique de votre
bien-pensance. Vous avez cru maintenir cette jeunesse au collège, et la voilà
qui doucement vous pousse au mouroir.
Gaultier
Bès
***************
PIERRE de
RONSARD
Discours sur les
misères de ce temps – À la Reine (1562)
Las ! Madame en
ce temps que le cruel orage
Menace les
Français d’un si piteux naufrage,
Que la grêle et
la pluie, et la fureur des cieux
Ont irrité la
mer des vents séditieux,
Et que l’astre
jumeau ne daigne plus reluire.
Prenez le
gouvernail de ce pauvre navire,
Et malgré la
tempête, et le cruel effort
De la mer, et
des vents, conduisez-le à bon port.
La France à
jointes mains vous en prie et reprie
Las ! qui sera
bientôt et proie et moquerie
Des princes
étrangers, s’il ne vous plaît en bref
Par votre
autorité apaiser ce méchef.
Ha ! que diront
là-bas sous les tombes poudreuses
De tant de
vaillants Rois les âmes généreuses !
Que dira
Pharamond ! Clodion, et Clovis !
Nos Pépins ! nos
Martels ! nos Charles, nos Loïs !
Qui de leur
propre sang à tous périls de guerre,
Ont acquis à
leurs fils une si belle terre ?
Que diront tant
de ducs, et tant d’hommes guerriers
Qui sont morts d’une
plaie au combat les premiers,
Et pour France
ont souffert tant de labeurs extrêmes
La voyant
aujourd’hui détruite par soi-même ?
Ils se
repentiront d’avoir tant travaillé,
Assailli,
défendu, guerroyé, bataillé,
Pour un peuple
mutin divisé de courage
Qui perd en se
jouant un si bel héritage…
***************
François-René de
Chateaubriand, Génie du christianisme (1802)
Ce que nous
avons dit jusqu’ici a pu conduire le lecteur à cette réflexion, que l’incrédulité
est la principale cause de la décadence du goût et du génie. Quand on ne crut
plus rien à Athènes et à Rome, les talents disparurent avec les dieux, et les
muses livrèrent à la barbarie ceux qui n’avaient plus de foi en elles.
Dans un siècle
de lumières, on ne saurait croire jusqu’à quel point les bonnes mœurs sont
dépendantes du bon goût et le bon goût des bonnes mœurs. Les ouvrages de
Racine, devenant toujours plus purs à mesure que l’auteur devient plus
religieux, se terminent enfin à Athalie. Remarquez au contraire, comment l’impiété
et le génie de Voltaire se décèlent à la fois dans ses écrits par un mélange de
choses exquises et de choses odieuses. Le mauvais goût, quand il est
incorrigible, est une fausseté de jugement, un biais naturel dans les idées ;
or, comme l’esprit agit sur le cœur, il est difficile que les voies du second
soient droites quand celles du premier ne le sont pas. Celui qui aime la
laideur, dans un temps où mille chefs-d’œuvre peuvent avertir et redresser son
goût, n’est pas loin d’aimer le vice ; quiconque est insensible à la beauté
pourrait bien méconnaître la vertu.
Un écrivain qui
refuse de croire en un Dieu auteur de l’univers et juge des hommes dont il a
fait l’âme immortelle bannit d’abord l’infini de ses ouvrages. Il renferme sa
pensée dans un cercle de boue, dont il ne peut plus sortir. Il ne voit rien de
noble dans la nature, tout s’y opère par d’impurs moyens de corruption et de
régénération. L’abîme n’est qu’un peu d’eau bitumineuse ; les montagnes sont
des protubérances de pierres calcaires ou vitrescibles, et le ciel, où le jour
prépare une immense solitude, comme pour servir de camp à l’armée des astres
que la nuit y amène en silence, le ciel, disons-nous, n’est plus qu’une étroite
voûte momentanément suspendue par la main capricieuse du hasard.
Si l’incrédule
se trouve ainsi borné dans les choses de la nature, comment peindra-t-il l’homme
avec éloquence ? Les mots pour lui manquent de richesse et les trésors de l’expression
lui sont fermés. Contemplez, au fond de ce tombeau, ce cadavre enseveli, cette
statue du néant, voilée d’un linceul : c’est l’homme de l’athée ! Fœtus né du
corps impur de la femme, au-dessous des animaux pour l’instinct, poudre comme
eux et retournant comme eux en poudre, n’ayant point de passion, mais des
appétits, n’obéissant point à des lois morales, mais à des ressorts physiques,
voyant devant lui, pour toute fin, le sépulcre et des vers : tel est cet être
qui se disait animé d’un souffle immortel ! Ne nous parlez plus de mystères de
l’âme, du charme secret de la vertu ; grâces de l’enfance, amours de la
jeunesse, noble amitié, élévation de pensées, charme des tombeaux et de la
patrie, vos enchantements sont détruits !
***************
Robert
Lamoureux, Éloge de la fatigue (1er sept. 2011)
Vous me dites,
Monsieur, que j’ai mauvaise mine,
Qu’avec cette
vie que je mène, je me ruine,
Que l’on ne
gagne rien à trop se prodiguer,
Vous me dites
enfin que je suis fatigué.
Oui, je suis
fatigué, Monsieur, et je m’en flatte.
J’ai tout de
fatigué : la voix, le cœur, la rate,
Je m’endors
épuisé, je me réveille las,
Mais, grâce à
Dieu, Monsieur, je ne m’en soucie pas.
Ou, quand je m’en
soucie, je me ridiculise.
La fatigue
souvent n’est que vantardise.
On n’est jamais
aussi fatigué qu’on le croit !
Et quand cela
serait, n’en a-t-on pas le droit ?
Je ne vous parle
pas des sombres lassitudes
Qu’on a lorsque
le corps, harassé d’habitude,
N’a plus pour se
mouvoir que de pâles raisons…
Lorsqu’on a fait
de soi son unique horizon…
Lorsqu’on a rien
à perdre, à vaincre, ou à défendre…
Cette fatigue-là
est mauvaise à entendre ;
Elle fait le front lourd, l’œil morne, le dos rond.
Et vous donne l’aspect d’un vivant moribond…
Mais se sentir plier sous le poids formidable
Des vies dont un beau jour on s’est fait responsable,
Savoir qu’on a des joies ou des pleurs
dans ses mains,
Savoir qu’on est l’outil qu’on est le lendemain,
Savoir qu’on est le chef, savoir qu’on est la source,
Aider une existence à continuer sa course,
Et pour cela se battre à s’en user le cœur…
Cette fatigue-là, Monsieur, c’est du bonheur.
Et sûr qu’à chaque pas, à chaque assaut
qu’on livre,
On va aider un être à vivre ou à survivre ;
Et sûr qu’on est le port et la route et
le quai,
Où prendrait-on le droit d’être trop fatigué ?
Ceux qui font de leur vie une belle aventure,
Marquant chaque
victoire en creux, sur la figure,
Et quand le malheur
vient y mettre un creux de plus
Parmi tant d’autres
creux, il passe inaperçu.
La fatigue,
Monsieur, c’est un prix toujours juste,
C’est le prix d’une
journée d’efforts et de luttes.
C’est le prix d’un
labeur, d’un mur ou d’un exploit,
Non pas le prix
qu’on paie, mais celui qu’on reçoit.
C’est le prix d’un
travail, d’une journée remplie,
C’est la preuve,
Monsieur, qu’on marche avec la vie.
Quand je rentre
la nuit et que ma maison dort,
J’écoute mes
sommeils, et là, je me sens fort ;
Je me sens tout
gonflé et mon humble souffrance,
Et ma fatigue
alors est une récompense.
Et vous me
conseillez d’aller me reposer !
Mais si j’acceptais
là, ce que vous me proposez,
Si j’abandonnais
à votre douce intrigue…
Mais je
mourrais, Monsieur, tristement… de fatigue.
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