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« L'avenir ne nous apporte rien, ne nous donne rien ;
c'est nous qui, pour le construire, devons tout lui donner,
lui donner notre vie elle-même »
c'est nous qui, pour le construire, devons tout lui donner,
lui donner notre vie elle-même »
SIMONE WEIL
Victor Hugo, Les contemplations, « Quand nous habitions tous ensemble » (1844)
Pierre Manent, « Les liens humains » (2013)
Nérée Beauchemin, Patrie intime, « Crépuscule rustique » (1928)
“Morale”
ministérielle et égalité des droits
Par Rémi Sentis (tribune
parue dans Valeurs actuelles du 17 juillet 2014)
Rémi Sentis est
président de la fédération des associations familiales catholiques des
Hauts-de-Seine.
C’est le 3 juillet, en catimini, que le projet de
programme “d’enseignement moral et civique” (EMC) devant être appliqué à la
rentrée 2015 a été dévoilé par Benoît Hamon. Il s’agit d’amener « à penser et à
agir par soi-même et avec les autres […] ; à comprendre le bien-fondé des
règles régissant les comportements individuels et collectifs, à y obéir […] ; à
reconnaître le pluralisme des opinions, des convictions, des croyances et des
modes de vie ; à construire du lien social et politique ». L’absence de distinction
entre le domaine moral et le domaine civique et légal est totale. Et dans les «
connaissances » qui doivent être enseignées, on ne retrouve jamais de référence
au bien ou au mal, uniquement au juste et à l’injuste.
Dès le CP, on parle des droits et devoirs « de la
personne, de l’élève, du citoyen », la principale illustration concernant « les
droits égaux des garçons et des filles dans toutes les situations » ; parmi les
« connaissances », on note « la tolérance […] les atteintes à la personne d’autrui
(racisme, sexisme, xénophobie, homophobie, harcèlement), […] la charte de la
laïcité à l’école, […] la sensibilisation à l’injustice et aux préjugés ».
Ainsi, grâce à la lutte contre l’homophobie, on pourra présenter la dualité des
sexes comme une simple convention sociale. Et sera disqualifiée toute
affirmation selon laquelle l’enfant doit pouvoir bénéficier de l’altérité
sexuelle de ses parents.
Pour les plus grands, c’est
la continuité ; au collège on mentionne « l’égalité et la non-discrimination, […]
la dimension biologique de la diversité humaine, sa dimension culturelle,
l’expression littéraire de l’inégalité et de l’injustice ». Derrière cette
dimension biologique de la diversité, ne se cache-t-il pas une remise en cause
de l’affirmation simple de la dualité des sexes ?
Par ailleurs, il est prévu
que les futurs maîtres suivent une formation spécifique. L’EMC « a un contenu
spécifique clairement identifié et suppose […] l’appropriation des concepts qui
l’organisent (autonomie, norme, égalité des droits, citoyenneté, laïcité…),
l’initiation aux grands courants de la philosophie morale et aux théories
psychologiques du développement moral ».
Outre une légitime
interrogation sur lesdites théories, ici transparaît clairement l’idéologie de
l’égalité des droits selon laquelle chaque individu (dont le sexe n’est qu’une
caractéristique assignée à la naissance) aurait le droit de remplir n’importe
quel rôle vis-à-vis de la société et donc de la filiation. Cette conception de
l’égalité conduit à l’indifférenciation (en particulier celle des sexes), elle
est étrangère à l’idée chrétienne d’égalité (l’égale dignité de tous les hommes
devant Dieu) comme à celle de la Déclaration des droits de 1789, qui, elle,
fait référence à l’égalité devant la loi.
La partie morale de l’EMC se
réduit à la tolérance et à la non-discrimination, elle est en fait une roue de
secours d’un enseignement civique dont les buts sont de démontrer la justesse
des lois actuelles et d’interdire de contester la valeur de l’égalité des
droits. Le texte avertit d’ailleurs qu’on ne pourra permettre « une réticence,
voire une abstention, dans l’affirmation des valeurs transmises. Les
enseignants et les personnels d’éducation sont au contraire tenus de promouvoir
ces valeurs dans tous les enseignements et dans toutes les dimensions de la vie
scolaire ».
Après un simulacre de concertation, les programmes
officiels seront validés et en mai prochain les collèges n’auront le choix
qu’entre cinq ou six manuels d’EMC faisant de la surenchère dans le “bien-pensant”.
Cette morale ministérielle a
clairement peu de rapport avec celle que les parents veulent transmettre à
leurs enfants. Ne va-t-on pas opérer un grand écart dont les élèves seront les
victimes ? L’enseignement catholique pourra-t-il manifester son désaccord avec
l’EMC, dont le contenu est en opposition avec la morale qu’il essaye de faire
passer dans ses cours de catéchèse ? En vertu du caractère propre dont il
bénéficie, il en a le pouvoir. Cela permettra peut-être par ricochet de
soulever la chape bien-pensante qui est en train de s’abattre sur
l’enseignement public.
***************
Victor Hugo
(1802-1885).
Recueil : Les
contemplations (1856).
Quand nous
habitions tous ensemble.
Quand nous
habitions tous ensemble
Sur nos collines
d'autrefois,
Où l'eau court,
où le buisson tremble,
Dans la maison
qui touche aux bois,
Elle avait dix
ans, et moi trente ;
J'étais pour
elle l'univers.
Oh ! comme
l'herbe est odorante
Sous les arbres
profonds et verts !
Elle faisait mon
sort prospère,
Mon travail
léger, mon ciel bleu.
Lorsqu'elle me
disait : Mon père,
Tout mon cœur
s'écriait : Mon Dieu !
À travers mes
songes sans nombre,
J'écoutais son
parler joyeux,
Et mon front
s'éclairait dans l'ombre
À la lumière de
ses yeux.
Elle avait l'air
d'une princesse
Quand je la
tenais par la main.
Elle cherchait
des fleurs sans cesse
Et des pauvres
dans le chemin.
Elle donnait
comme on dérobe,
En se cachant
aux yeux de tous.
Oh ! la belle
petite robe
Qu'elle avait,
vous rappelez-vous ?
Le soir, auprès
de ma bougie,
Elle jasait à
petit bruit,
Tandis qu'à la
vitre rougie
Heurtaient les
papillons de nuit.
Les anges se
miraient en elle.
Que son bonjour
était charmant !
Le ciel mettait
dans sa prunelle
Ce regard qui
jamais ne ment.
Oh ! je l'avais,
si jeune encore,
Vue apparaître
en mon destin !
C'était l'enfant
de mon aurore,
Et mon étoile du
matin !
Quand la lune
claire et sereine
Brillait aux
cieux, dans ces beaux mois,
Comme nous
allions dans la plaine !
Comme nous
courions dans les bois !
Puis, vers la
lumière isolée
Étoilant le
logis obscur,
Nous revenions
par la vallée
En tournant le
coin du vieux mur ;
Nous revenions,
cœurs pleins de flamme,
En parlant des
splendeurs du ciel.
Je composais
cette jeune âme
Comme l'abeille
fait son miel.
Doux ange aux
candides pensées,
Elle était gaie
en arrivant... -
Toutes ces
choses sont passées
Comme l'ombre et
comme le vent !
À Villequier, le
4 septembre 1844.
***************
« Les liens
humains » par Pierre Manent, de
l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)
POUR DÉFENDRE LA LOI
NATURELLE
« La notion de loi naturelle
est aujourd’hui discréditée. Elle est pourtant indispensable pour donner sens
au monde humain, et agir raisonnablement dans ce monde. L’idée aujourd’hui
triomphante, l’idée flatteuse, exaltante et en même temps presque puérile, est
que les êtres humains sont les auteurs exclusifs de la loi qui règle leur
action. Celle-ci, dit-on, ne saurait s’appuyer sur aucune réalité indépendante
de la volonté humaine, que ce soit Dieu ou la nature. Le progrès irréversible
de l’homme moderne, pensons-nous, a consisté à passer de l’hétéronomie à
l’autonomie, de la règle gagée sur autre chose que la volonté humaine à la
règle résultant exclusivement de la volonté humaine. Or, tout cela qui aux yeux
de beaucoup est l’évidence même, se révèle en réalité comme une construction
d’une extrême fragilité.
ON NE PEUT SE PASSER D’UNE RÉFÉRENCE À LA
NATURE
La première chose à
remarquer est la suivante : ceux mêmes qui écartent, méprisent, ridiculisent la
notion de nature comme norme de l’action humaine ne peuvent s’en passer. Il est
impossible de commencer à dire quelque chose sur les êtres humains sans dire
quelque chose sur leur nature. La philosophie individualiste des droits de
l'homme, celle qui règne, et qui rejette avec tant de mépris la notion de loi
naturelle, repose elle aussi sur une certaine idée de la nature humaine. Dire
que nous sommes des individus titulaires de droits, c'est dire que ces droits
nous appartiennent par nature, qu'ils ne résultent donc pas de l'arbitraire
humain, et que nul arbitraire humain ne peut nous en priver. Ces droits nous
appartiennent dès lors que nous naissons à la vie, et on ne peut nous les
enlever qu’en nous enlevant la vie. Les droits de l’homme sont des droits
naturels.
LES LIENS HUMAINS NE SONT
PAS MOINS NATURELS QUE LES ÊTRES HUMAINS
En revanche, pour
l’individualisme, et c’est sur ce point qu’il entend effectivement se séparer
de toute idée de nature, les liens humains, eux, à la différence des droits, ne
sont pas naturels. Ils sont artificiels, œuvres des hommes, que les hommes
peuvent défaire après les avoir formés. Telle est donc la doctrine de
l’individualisme moderne : les hommes sont des individus naturels qui nouent
entre eux des liens artificiels. La divergence entre la doctrine individualiste
et la doctrine catholique, qui toutes deux reposent également sur une certaine
idée de la nature humaine, cette divergence réside en ceci que, pour la
doctrine catholique, les liens entre les êtres humains ne sont pas moins
naturels que les individus eux-mêmes, et que donc, les liens humains aussi ont
une nature qui résiste à l’arbitraire humain, à l’arbitraire des lois humaines.
LA LOI EST LA RÈGLE QUI
CONDUIT NOTRE NATURE VERS SON BIEN
« C’est impossible ! »
s’écrit l’individualisme régnant. « C’est impossible puisque les lois sont
évidemment faites par les hommes ! ». Les lois sont faites par les hommes,
certes. Mais elles ne sont pas faites dans le vide, elles ne sont pas faites
pour rien, elles sont faites pour le bien des hommes. Et le bien des hommes ne
peut être conçu sans référence à leur nature, à la nature humaine. Dès lors,
qu’est-ce que la loi naturelle ? C’est la règle qui conduit notre nature vers
son bien. Règle qui est découverte et éprouvée au cours de l’expérience humaine
si du moins on prend la peine d’examiner celle-ci de la manière la plus lucide
et la plus consciencieuse.
La vie humaine est
inintelligible si l’on n’y discerne pas les biens et les liens dans lesquels notre
nature s’éprouve et se déploie. Liens familiaux, sociaux, politiques,
religieux. Liens religieux : s’il y a un Dieu, Père des hommes, il faut bien
qu’Il nous ait donné, qu’Il ait donné à notre nature les règles, les prises
pour nous approcher de Lui. Liens sociaux et politiques : quoi de plus naturel
que la sociabilité humaine, que le vivre ensemble amical. L’amitié est un lien
et un bien inscrit dans notre nature. Liens familiaux : les êtres humains
naissent et meurent et ils s’unissent pour faire des enfants. La naissance, la
mort, la différence sexuelle et la différence des générations sont autant
d’articulations naturelles du monde humain, naturelles puisque nous n’avons
aucun pouvoir sur elles. Nous pouvons regimber, rêver, prétendre… la vie humaine
continuera d’être ordonnée et de trouver sens selon la naissance et la mort et
selon la différence des sexes et des générations.
LES DROITS NE REMPLACENT PAS
LES BIENS
L’égalité des droits est
précieuse car elle motive l’effort pour élargir le plus possible l’accès aux
biens humains. Mais les droits ne remplacent pas les biens. Pour qu’il y ait
des droits, il faut qu’il y ait des biens. Et ces biens, nous ne pouvons pas
nous les donner à nous-mêmes, nous devons les recevoir de la nature. Nous
pouvons choisir nos amis, mais la capacité d’être ami, nous la recevons de la
nature et de l’amitié de son auteur. La tentation aujourd’hui est d’oublier que
les biens humains sont reçus avant d’être voulus. La tentation aujourd’hui est
de construire une immense machine, lois et techniques, qui distribuerait les
biens comme si l’homme pouvait les produire, c’est-à-dire produire sa nature.
Vaine entreprise qui ne peut amener qu’un ordre social parodique, mais sous la
tyrannie de la loi, la générosité de la nature reste intacte. »
***************
Nérée Beauchemin (1850-1931).
Recueil : Patrie intime (1928).
Crépuscule rustique.
La profondeur du ciel occidental s'est teinte
D'un jaune paille mûre et feuillage rouillé,
Et, tant que la lueur claire n'est pas éteinte,
Le regard qui se lève est tout émerveillé.
Les nuances d'or clair semblent toutes nouvelles.
Le champ céleste ondule et se creuse en sillons,
Comme un chaume, où reluit le safran des javelles
Qu'une brise éparpille, et roule en gerbillons.
Chargé des meules d'ambre, où luit, par intervalle,
Le reflet des rayons amortis du soleil,
Le nuage, d'espace en espace, dévale,
Traîne, s'enfonce, plonge à l'horizon vermeil.
Mais l'ombre, lentement, traverse la campagne,
Et glisse, à vol léger, au fond des plaines d'or.
Septembre, glorieux, derrière la montagne,
A roulé, pour la nuit, le char de Messidor.
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