vendredi 22 novembre 2013

Textes lus lors de notre 29ème veillée - 22 novembre 2013

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Hymne aux Veilleurs (2013)
Charles Péguy, Le mystère des saints innocents, « Rien n'est beau comme un enfant » (1912)
Antoine de Lévis-Mirepoix, « La famille ne meurt pas » (extrait) (19 mars 1937)
Victor Hugo, « L'enfant » (juin 1874)

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Hymne aux veilleurs

Il y eut un souffle puis un feu vacillant,
Il y eut un cri noir puis une nuit sans étoiles,
Il y eut un pouvoir puis des cœurs que l’on voile,
Et l’injustice revint vieille de mille ans.

Dans cette tempête l’homme impuissant se tait,
Se laissant bercer, las, dans les flots mensongers.
Et la flamme fragile au milieu des dangers,
Disparaît sans un bruit dans les âmes fouettées.

Combien de temps encor serons nous ignorés ?
Combien faut-il de braises pour être brasier ?
Que fait la justice pour les corps suppliciés ?
Et toi, où t’endors-tu, Vérité adorée ?

C’est alors qu’il survient, debout, raide et sublime,
Le regard vers les cieux, cherchant l’ultime braise,
Ce Prométhée nouveau du haut de sa falaise
Devient humble veilleur, éclairant les abîmes.

Et c’est ainsi, France, que tes villes renaissent
Derrière le guide qui jamais ne s’enfuit,
Et c’est ainsi, Monde, que ta haine s’enfouit
Grâce au veilleur d’amour qui jamais ne délaisse.

Un fleuve lumineux s’est remis à couler,
Et sur ses rives d’or les hommes se relèvent,
Veilleurs, Veilleuses, un grand vent vient et se lève,
Il porte avec lui le parfum des révoltés.

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Charles PÉGUY, Le mystère des saints innocents, « Rien n’est beau comme un enfant »

Rien n’est beau comme un enfant qui s’endort en faisant sa prière, dit Dieu.
        Je vous le dis, rien n’est aussi beau dans le monde.
        Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau dans le monde,
        Et pourtant j’en ai vu des beautés dans le monde
        Et je m’y connais. Ma création regorge de beautés.
        Ma création regorge de merveilles.
        Il y en a tant qu’on ne sait pas où les mettre.
J’ai vu les millions et les millions d’astres rouler sous mes pieds comme les sables de la mer.
J’ai vu des journées ardentes comme des flammes ;
Des jours d’été de juin, de juillet et d’août.
J’ai vu des soirs d’hiver posés comme un manteau.
J’ai vu des soirs d’été calmes et doux comme une tombée de paradis.
Tout constellés d’étoiles.
J’ai vu ces coteaux de la Meuse et ces églises qui sont mes propres maisons.
Et Paris et Reims et Rouen et des cathédrales qui sont mes propres palais et mes propres châteaux,
Si beaux que je les garderai dans le ciel.
J’ai vu la capitale du royaume et Rome capitale de la chrétienté.
J’ai entendu chanter la messe et les triomphantes vêpres.
Et j’ai vu ces plaines et ces vallonnements de France
Qui sont plus beaux que tout.
J’ai vu la profonde mer, et la forêt profonde, et le cœur profond de l’homme.

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Or je le dis, dit Dieu, je ne connais rien d’aussi beau dans tout le monde
Qu’un petit enfant qui s’endort en faisant sa prière
Sous l’aile de son ange gardien
Et qui rit aux anges en commençant de s’endormir ;
Et qui déjà mêle tout ça ensemble et qui n’y comprend plus rien ;
Et qui fourre les paroles du « Notre Père » à tort et à travers pêle-mêle dans les paroles du « Je vous salue Marie »
Pendant qu’un voile déjà descend sur ses paupières,
Le voile de la nuit sur son regard et sur sa voix.
J’ai vu les plus grands saints, dit Dieu. Eh bien je vous le dis
Je n’ai jamais vu de si drôle et par conséquent je ne connais rien de si beau dans le monde
Que cet enfant qui s’endort en faisant sa prière
(Que ce petit être qui s’endort de confiance)
Et qui mélange son « Notre Père » avec son « Je vous salue Marie ».
Rien n’est si beau, et c’est même un point
Où la Sainte Vierge est de mon avis
Là-dessus.
Et je peux bien dire que c’est le seul point où nous soyons du même avis.
Car généralement nous sommes d’un avis contraire,
Parce qu’elle est pour la miséricorde
Et moi il faut bien que je sois pour la justice.

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La famille ne meurt pas



par



M. le Duc Antoine de LÉVIS-MIREPOIX

(Extrait d'une conférence prononcée le 19 mars 1937 à l’Université des Annales)

Dès sa naissance, l’enfant apporte une joie si parfaite que la mère n’a besoin que de le regarder pour oublier généreusement qu’elle a souffert. Imaginerait-elle, d’ailleurs, d’en faire le reproche à ce petit voyageur inconscient et stupéfait ? La première joie, c’est bien lui qui la donne. Et aussi le premier souci ! Mais souci et joie composent une émotion dont nul qui l’a connue ne se voudrait déprendre.

Quant à l’enfant, comme l’ont si magnifiquement exprimé les vers de Lucrèce, il commence par pleurer et il faut d’abord le consoler d’être venu au monde.

Cependant, il n’y a pas lieu de pousser aussi loin que le poète latin cette appréciation pessimiste. On pardonne aux grands poètes de prendre violemment parti pour les thèmes qui les inspirent.

En dépit des plus éloquents paradoxes, et à part de grandes exceptions malheureuses, l’existence ne tarde pas, à mesure qu’il en prend conscience, à se montrer aux yeux de l’enfant comme un bien. Il est rare qu’à travers de grandes épreuves, il ne garde pas cette impression. C’est une habitude de se plaindre de l’existence. En réalité, de quoi se plaint-on ? De ce qui l’entrave, de ce qui la complique, de ce qui l’assombrit, de ce qui la menace, non d’elle-même. Le fait d’exister, de se sentir vivre est au fond de toutes les joies. Les reproches que l’on adresse à l’existence ne vont pas à elle, mais à tout ce qui lui est contraire.

Le vrai malheur, l’irréparable est de la voir ravie avant l’heure à ceux que l’on aime.

En définitive, il est juste que ceux qui, selon le terrible mot d’Ibsen, n’ont pas demandé à naître, demeurent cependant, au regard de l’existence, les débiteurs de ceux qui la leur ont donnée et conservée, puisque, dans des conditions normales, il n’est pas d’être sain qui ne préfère l’être au néant. Si donc les parents ont des devoirs plus étendus et ont été les premiers obligés par la première joie, les enfants sont tenus à une gratitude liée à l’existence même.

L’existence, toutefois, est comme le feu. Elle demande à être approchée avec précaution. On s’y réchauffe, mais on s’y brûle.

L’une des premières tâches qui incombent aux parents, c’est de servir d’intermédiaires entre l’existence et l’enfant. Il ne s’agit pas de lui en imposer une interprétation préconçue. Il s’agit de lui en épargner une interprétation déformante.

Nous n’aurons garde d’oublier cette profonde vérité, exposée ici même par Mme Montessori :

« Que l’enfant n’est pas une cire molle qui attend d’être modelée de l’extérieur. Il se développe au moyen dune énergie intérieure. »

Mais la profonde éducatrice a soin d’ajouter que ce développement se produit en de délicates périodes de sensibilité. Eh bien, c’est cette sensibilité qu’il faut savoir abriter, ménager, protéger, tout en ne fermant pas ses communications avec le monde auquel l’être qui grandit cherche à s’intégrer.

Voilà l’une des plus graves en même temps que des plus intimes attributions des parents !

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Victor Hugo, « L'enfant »

Quand l'enfant nous regarde, on sent Dieu nous sonder ;
Quand il pleure, j'entends le tonnerre gronder,
Car penser c'est entendre, et le visionnaire
Est souvent averti par un vague tonnerre.
Quand ce petit être, humble et pliant les genoux,
Attache doucement sa prunelle sur nous,
Je ne sais pas pourquoi je tremble ; quand cette âme,
Qui n'est pas homme encore et n'est pas encor femme,
En qui rien ne s'admire et rien ne se repent,
Sans sexe, sans passé derrière elle rampant,
Verse, à travers les cils de sa rose paupière,
Sa clarté, dans laquelle on sent de la prière,
Sur nous les combattants, les vaincus, les vainqueurs ;
Quand cet arrivant semble interroger nos coeurs,
Quand cet ignorant, plein d'un jour que rien n'efface,
A l'air de regarder notre science en face,
Et jette, dans cette ombre où passe Adam banni,
On ne sait quel rayon de rêve et d'infini,
Ses blonds cheveux lui font au front une auréole.
Comme on sent qu'il était hier l'esprit qui vole !
Comme on sent manquer l'aile à ce petit pied blanc !
Oh ! comme c'est débile et frêle et chancelant !
Comme on devine, aux cris de cette bouche, un songe
De paradis qui jusqu'en enfer se prolonge
Et que le doux enfant ne veut pas voir finir !
L'homme, ayant un passé, craint pour cet avenir.
Que la vie apparaît fatale ! Comme on pense
A tant de peine avec si peu de récompense !
Oh ! comme on s'attendrit sur ce nouveau venu !
Lui cependant, qu'est-il, ô vivants ? l'inconnu.
Qu'a-t-il en lui ? l'énigme. Et que porte-t-il ? l'âme.
Il vit à peine ; il est si chétif qu'il réclame
Du brin d'herbe ondoyant aux vents un point d'appui.
Parfois, lorsqu'il se tait, on le croit presque enfui,
Car on a peur que tout ici-bas ne le blesse.
Lui, que fait-il ? Il rit. Fait d'ombre et de faiblesse
Et de tout ce qui tremble, il ne craint rien. Il est
Parmi nous le seul être encor vierge et complet ;
L'ange devient enfant lorsqu'il se rapetisse.
Si toute pureté contient toute justice,
On ne rencontre plus l'enfant sans quelque effroi ;
On sent qu'on est devant un plus juste que soi ;
C'est l'atome, le nain souriant, le pygmée ;
Et, quand il passe, honneur, gloire, éclat, renommée,
Méditent ; on se dit tout bas : Si je priais ?
On rêve ; et les plus grands sont les plus inquiets ;
Sa haute exception dans notre obscure sphère,
C'est que, n'ayant rien fait, lui seul n'a pu mal faire ;
Le monde est un mystère inondé de clarté,
L'enfant est sous l'énigme adorable abrité ;
Toutes les vérités couronnent condensées
Ce doux front qui n'a pas encore de pensées ;
On comprend que l'enfant, ange de nos douleurs,
Si petit ici-bas, doit être grand ailleurs.
Il se traîne, il trébuche ; il n'a dans l'attitude,
Dans la voix, dans le geste aucune certitude ;
Un souffle à qui la fleur résiste fait ployer
Cet être à qui fait peur le grillon du foyer ;
L'œil hésite pendant que la lèvre bégaie ;
Dans ce naïf regard que l'ignorance égaie,
L'étonnement avec la grâce se confond,
Et l'immense lueur étoilée est au fond.

On dirait, tant l'enfance a le reflet du temple,
Que la lumière, chose étrange, nous contemple ;
Toute la profondeur du ciel est dans cet œil.
Dans cette pureté sans trouble et sans orgueil
Se révèle on ne sait quelle auguste présence ;
Et la vertu ne craint qu'un juge : l'innocence.


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