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Charles Péguy, Le mystère des saints innocents, « Rien n'est beau comme un enfant » (1912)
Antoine de Lévis-Mirepoix, « La famille ne meurt pas » (extrait) (19 mars 1937)
Victor Hugo, « L'enfant » (juin 1874)
Hymne aux
veilleurs
Il y eut un
souffle puis un feu vacillant,
Il y eut un cri
noir puis une nuit sans étoiles,
Il y eut un
pouvoir puis des cœurs que l’on voile,
Et l’injustice
revint vieille de mille ans.
Dans cette
tempête l’homme impuissant se tait,
Se laissant
bercer, las, dans les flots mensongers.
Et la flamme
fragile au milieu des dangers,
Disparaît sans
un bruit dans les âmes fouettées.
Combien de temps
encor serons nous ignorés ?
Combien faut-il
de braises pour être brasier ?
Que fait la
justice pour les corps suppliciés ?
Et toi, où
t’endors-tu, Vérité adorée ?
C’est alors
qu’il survient, debout, raide et sublime,
Le regard vers
les cieux, cherchant l’ultime braise,
Ce Prométhée
nouveau du haut de sa falaise
Devient humble
veilleur, éclairant les abîmes.
Et c’est ainsi,
France, que tes villes renaissent
Derrière le
guide qui jamais ne s’enfuit,
Et c’est ainsi,
Monde, que ta haine s’enfouit
Grâce au
veilleur d’amour qui jamais ne délaisse.
Un fleuve
lumineux s’est remis à couler,
Et sur ses rives
d’or les hommes se relèvent,
Veilleurs,
Veilleuses, un grand vent vient et se lève,
Il porte avec
lui le parfum des révoltés.
***************
Charles PÉGUY,
Le mystère des saints innocents, « Rien n’est beau comme un enfant »
Rien n’est beau
comme un enfant qui s’endort en faisant sa prière, dit Dieu.
Je vous le dis, rien n’est aussi beau
dans le monde.
Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau
dans le monde,
Et pourtant j’en ai vu des beautés dans
le monde
Et je m’y connais. Ma création regorge
de beautés.
Ma création regorge de merveilles.
Il y en a tant qu’on ne sait pas où les
mettre.
J’ai vu les
millions et les millions d’astres rouler sous mes pieds comme les sables de la
mer.
J’ai vu des
journées ardentes comme des flammes ;
Des jours d’été
de juin, de juillet et d’août.
J’ai vu des
soirs d’hiver posés comme un manteau.
J’ai vu des
soirs d’été calmes et doux comme une tombée de paradis.
Tout constellés
d’étoiles.
J’ai vu ces
coteaux de la Meuse et ces églises qui sont mes propres maisons.
Et Paris et
Reims et Rouen et des cathédrales qui sont mes propres palais et mes propres
châteaux,
Si beaux que je
les garderai dans le ciel.
J’ai vu la
capitale du royaume et Rome capitale de la chrétienté.
J’ai entendu
chanter la messe et les triomphantes vêpres.
Et j’ai vu ces
plaines et ces vallonnements de France
Qui sont plus
beaux que tout.
J’ai vu la
profonde mer, et la forêt profonde, et le cœur profond de l’homme.
. .
. . .
. . .
. . .
. . .
. . .
.
Or je le dis,
dit Dieu, je ne connais rien d’aussi beau dans tout le monde
Qu’un petit
enfant qui s’endort en faisant sa prière
Sous l’aile de
son ange gardien
Et qui rit aux
anges en commençant de s’endormir ;
Et qui déjà mêle
tout ça ensemble et qui n’y comprend plus rien ;
Et qui fourre
les paroles du « Notre Père » à tort et à travers pêle-mêle dans les paroles du
« Je vous salue Marie »
Pendant qu’un
voile déjà descend sur ses paupières,
Le voile de la
nuit sur son regard et sur sa voix.
J’ai vu les plus
grands saints, dit Dieu. Eh bien je vous le dis
Je n’ai jamais
vu de si drôle et par conséquent je ne connais rien de si beau dans le monde
Que cet enfant
qui s’endort en faisant sa prière
(Que ce petit
être qui s’endort de confiance)
Et qui mélange
son « Notre Père » avec son « Je vous salue Marie ».
Rien n’est si
beau, et c’est même un point
Où la Sainte
Vierge est de mon avis
Là-dessus.
Et je peux bien
dire que c’est le seul point où nous soyons du même avis.
Car généralement
nous sommes d’un avis contraire,
Parce qu’elle
est pour la miséricorde
Et moi il faut
bien que je sois pour la justice.
***************
La famille ne
meurt pas
par
M. le Duc
Antoine de LÉVIS-MIREPOIX
(Extrait d'une
conférence prononcée le 19 mars 1937 à l’Université des Annales)
Dès sa
naissance, l’enfant apporte une joie si parfaite que la mère n’a besoin que de
le regarder pour oublier généreusement qu’elle a souffert. Imaginerait-elle, d’ailleurs,
d’en faire le reproche à ce petit voyageur inconscient et stupéfait ? La
première joie, c’est bien lui qui la donne. Et aussi le premier souci ! Mais
souci et joie composent une émotion dont nul qui l’a connue ne se voudrait
déprendre.
Quant à l’enfant,
comme l’ont si magnifiquement exprimé les vers de Lucrèce, il commence par
pleurer et il faut d’abord le consoler d’être venu au monde.
Cependant, il n’y
a pas lieu de pousser aussi loin que le poète latin cette appréciation
pessimiste. On pardonne aux grands poètes de prendre violemment parti pour les
thèmes qui les inspirent.
En dépit des
plus éloquents paradoxes, et à part de grandes exceptions malheureuses, l’existence
ne tarde pas, à mesure qu’il en prend conscience, à se montrer aux yeux de l’enfant
comme un bien. Il est rare qu’à travers de grandes épreuves, il ne garde pas
cette impression. C’est une habitude de se plaindre de l’existence. En réalité,
de quoi se plaint-on ? De ce qui l’entrave, de ce qui la complique, de ce qui l’assombrit,
de ce qui la menace, non d’elle-même. Le fait d’exister, de se sentir vivre est
au fond de toutes les joies. Les reproches que l’on adresse à l’existence ne
vont pas à elle, mais à tout ce qui lui est contraire.
Le vrai malheur,
l’irréparable est de la voir ravie avant l’heure à ceux que l’on aime.
En définitive,
il est juste que ceux qui, selon le terrible mot d’Ibsen, n’ont pas demandé à
naître, demeurent cependant, au regard de l’existence, les débiteurs de ceux
qui la leur ont donnée et conservée, puisque, dans des conditions normales, il
n’est pas d’être sain qui ne préfère l’être au néant. Si donc les parents ont
des devoirs plus étendus et ont été les premiers obligés par la première joie,
les enfants sont tenus à une gratitude liée à l’existence même.
L’existence,
toutefois, est comme le feu. Elle demande à être approchée avec précaution. On
s’y réchauffe, mais on s’y brûle.
L’une des
premières tâches qui incombent aux parents, c’est de servir d’intermédiaires
entre l’existence et l’enfant. Il ne s’agit pas de lui en imposer une
interprétation préconçue. Il s’agit de lui en épargner une interprétation
déformante.
Nous n’aurons
garde d’oublier cette profonde vérité, exposée ici même par Mme Montessori :
« Que l’enfant n’est
pas une cire molle qui attend d’être modelée de l’extérieur. Il se développe au moyen d’une énergie intérieure. »
Mais la profonde
éducatrice a soin d’ajouter que ce développement se produit en de délicates
périodes de sensibilité. Eh bien, c’est cette sensibilité qu’il faut savoir
abriter, ménager, protéger, tout en ne fermant pas ses communications avec le
monde auquel l’être qui grandit cherche à s’intégrer.
Voilà l’une des
plus graves en même temps que des plus intimes attributions des parents !
***************
Victor Hugo, « L'enfant »
Quand l'enfant
nous regarde, on sent Dieu nous sonder ;
Quand il pleure,
j'entends le tonnerre gronder,
Car penser c'est
entendre, et le visionnaire
Est souvent
averti par un vague tonnerre.
Quand ce petit
être, humble et pliant les genoux,
Attache
doucement sa prunelle sur nous,
Je ne sais pas
pourquoi je tremble ; quand cette âme,
Qui n'est pas
homme encore et n'est pas encor femme,
En qui rien ne
s'admire et rien ne se repent,
Sans sexe, sans
passé derrière elle rampant,
Verse, à travers
les cils de sa rose paupière,
Sa clarté, dans
laquelle on sent de la prière,
Sur nous les
combattants, les vaincus, les vainqueurs ;
Quand cet
arrivant semble interroger nos coeurs,
Quand cet
ignorant, plein d'un jour que rien n'efface,
A l'air de
regarder notre science en face,
Et jette, dans
cette ombre où passe Adam banni,
On ne sait quel
rayon de rêve et d'infini,
Ses blonds
cheveux lui font au front une auréole.
Comme on sent
qu'il était hier l'esprit qui vole !
Comme on sent
manquer l'aile à ce petit pied blanc !
Oh ! comme c'est
débile et frêle et chancelant !
Comme on devine,
aux cris de cette bouche, un songe
De paradis qui
jusqu'en enfer se prolonge
Et que le doux
enfant ne veut pas voir finir !
L'homme, ayant
un passé, craint pour cet avenir.
Que la vie
apparaît fatale ! Comme on pense
A tant de peine
avec si peu de récompense !
Oh ! comme on
s'attendrit sur ce nouveau venu !
Lui cependant,
qu'est-il, ô vivants ? l'inconnu.
Qu'a-t-il en lui
? l'énigme. Et que porte-t-il ? l'âme.
Il vit à peine ;
il est si chétif qu'il réclame
Du brin d'herbe
ondoyant aux vents un point d'appui.
Parfois,
lorsqu'il se tait, on le croit presque enfui,
Car on a peur
que tout ici-bas ne le blesse.
Lui, que fait-il
? Il rit. Fait d'ombre et de faiblesse
Et de tout ce
qui tremble, il ne craint rien. Il est
Parmi nous le
seul être encor vierge et complet ;
L'ange devient
enfant lorsqu'il se rapetisse.
Si toute pureté
contient toute justice,
On ne rencontre
plus l'enfant sans quelque effroi ;
On sent qu'on
est devant un plus juste que soi ;
C'est l'atome,
le nain souriant, le pygmée ;
Et, quand il
passe, honneur, gloire, éclat, renommée,
Méditent ; on se
dit tout bas : Si je priais ?
On rêve ; et les
plus grands sont les plus inquiets ;
Sa haute
exception dans notre obscure sphère,
C'est que,
n'ayant rien fait, lui seul n'a pu mal faire ;
Le monde est un
mystère inondé de clarté,
L'enfant est
sous l'énigme adorable abrité ;
Toutes les
vérités couronnent condensées
Ce doux front
qui n'a pas encore de pensées ;
On comprend que
l'enfant, ange de nos douleurs,
Si petit
ici-bas, doit être grand ailleurs.
Il se traîne, il
trébuche ; il n'a dans l'attitude,
Dans la voix,
dans le geste aucune certitude ;
Un souffle à qui
la fleur résiste fait ployer
Cet être à qui
fait peur le grillon du foyer ;
L'œil hésite
pendant que la lèvre bégaie ;
Dans ce naïf
regard que l'ignorance égaie,
L'étonnement
avec la grâce se confond,
Et l'immense
lueur étoilée est au fond.
On dirait, tant
l'enfance a le reflet du temple,
Que la lumière,
chose étrange, nous contemple ;
Toute la
profondeur du ciel est dans cet œil.
Dans cette
pureté sans trouble et sans orgueil
Se révèle on ne
sait quelle auguste présence ;
Et la vertu ne
craint qu'un juge : l'innocence.
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