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Albert Samain, Aux flancs du vase, « Le bonheur » (1898)
« Le grand détournement » (25 octobre 2012)
Hannah Arendt, La Crise de la culture, « Passé et tradition » (1972)
Les
rapports entre la liberté et la loi
Extraits de la
synthèse d'une conférence donnée par Gregor Puppinck (Directeur de l'ECLJ -
Centre Européen pour le Droit et la Justice) le 28 juin 2013 à l'AG de Famille et Liberté [1].
La question
désabusée de Ponce Pilate (Qu’est-ce que la vérité ?) n’intéresse plus grand
monde aujourd’hui. C’est la « liberté », non plus la vérité, qui hante les
esprits. La liberté, elle, est dans toutes les bouches et sous toutes les
plumes. C’est en son nom – et surtout pas au nom de la vérité - que beaucoup de
lois sont défendues et votées. Abandonner la Justice pour faire de l’aspiration
à la Liberté le moteur de la loi, sa source de légitimité et sa finalité,
change totalement la nature de la loi. Qu’est-ce que la loi alors ? Est-ce
rendre possible des choses impossibles comme donner trois parents à un enfant ?
Est-ce que la liberté, c’est avoir le droit de faire ce que l’on veut ;
autrement dit, que tous les désirs soient légalisés ?
La loi fondée
sur la justice ne cherche pas à rendre possible ce qui est impossible mais à
rendre à chacun ce qui lui est dû. C’est en reconnaissant au préalable la
réalité que la loi peut au mieux ajuster les rapports sociaux. Or, la loi s’est
détachée de la réalité pour devenir volontariste. Elle n’est plus là pour
rappeler la réalité des choses et pour les répartir équitablement mais pour
accroître la liberté, c’est-à-dire réaliser les désirs individuels.
Il en découle
que les droits de l’homme, le droit, qui servaient à protéger les gens dans ce
qu’ils ont d’humain contre l’État (capacité de penser, de prier, de s’associer…)
servent aujourd’hui, non plus à les protéger mais à les « libérer » grâce à l’action
de l’État qui leur confère par la loi de nouvelles capacités ou identités. La jouissance
de ces moyens de faire ce qui leur est naturellement impossible de réaliser par
eux-mêmes seraient des « droits ». C’est ainsi que plus la loi éloigne de la
réalité matérielle, plus nous avons l’impression d’être libres. La loi « crée »
la réalité, et par exemple la théorie du gender donne le pouvoir
artificiel (et illusoire) de choisir librement son sexe.
L’exemple du
mariage
La famille est
mentionnée dans toutes les chartes internationales qui s’appuient en cela sur
des notions qui sont communes à tous (au-dessus des États). La famille était
jusqu’alors reconnue comme une cellule naturelle, c’est-à-dire qu’elle existait
en dehors de l’État. Elle est fondamentale car elle est la plus petite unité de
la société. Ce n’est pas l’individu qui est l’unité de base mais la famille par
qui la vie, l’éducation, est possible. C’est le droit international.
L’article 12 de
la Convention européenne des droits de l’homme reconnaît à « l’homme et la
femme » le droit de se marier, et lie « le droit de se marier et de fonder une
famille » dans une même phrase. Les deux éléments se marier et fonder une
famille sont un seul et même droit dans cette convention. C’est parce que le
mariage permet de fonder une famille qu’il devient un droit. Le mariage n’a pas
de valeur en soi, il n’est là que pour aider à la formation d’une famille.
La Cour
européenne des droits de l’homme a marqué, en 2002, un tournant dans l’interprétation
de cet article 12 par une jurisprudence qui fait date. Il s’agit de l’arrêt
Goodwin c. Royaume Uni :
En Angleterre,
un homme veut épouser un homme de genre femme (transsexuel). Le Royaume-Uni s’y
oppose au motif que l’article 12 de la Convention citée ci-dessus disait que «
l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille ».
La Cour
européenne des droits de l’homme saisie à son tour donne raison aux requérants
; en faisant sienne la distinction entre sexe social et sexe biologique elle
reconnaît le droit au mariage à des couples transsexuels.
Depuis 2002, on
n’est donc plus obligé de considérer que les termes d’homme et de femme ont une
sens objectif. Cette négation de la réalité biologique comme conditionnant le
mariage remet en cause de facto le lien entre mariage et fondation d’une
famille. L’article 12 de la Convention cité plus haut est donc vidé de sa
substance.
Depuis cette
jurisprudence, « l’institution du mariage est devenue une fin en soi, coupée de
la famille » ; la famille n’a plus besoin du mariage et celui-ci n’implique
plus la nécessité d’altérité sexuelle. Cette séparation des deux supprime
toutes les conditions naturelles à la formation d’un mariage et à la fondation
d’une famille qui étaient jusque-là exigées pour le mariage : plus besoin d’être
« capable de fonder une famille », plus de limite d’âge et autres.
Recalé pour
discrimination. Renversement de la preuve
Autre exemple où
l’on voit l’Europe reconnaître l’adoption par deux personnes de même sexe : l’affaire
X c. Autriche de février 2013. Deux femmes « en couple », un enfant, un père
biologique qui a reconnu l’enfant et entretient des relations suivies avec lui.
La deuxième femme du « couple » veut être reconnue « mère » de l’enfant. Le
tribunal autrichien refuse au motif qu’un enfant ne peut avoir deux parents de
même sexe non plus que davantage que deux parents.
Pour le deuxième
obstacle, il peut être contourné par la déchéance du père. Le tribunal le
refuse car le père existe bel et bien en tant que père.
Pour le premier,
les deux femmes saisissent la Cour de Strasbourg pour discrimination. Et contre
la justice autrichienne qui soutient qu’ « il est meilleur pour l’enfant qu’il
ait un père et une mère », Strasbourg répond que « rien ne permet d’établir qu’il
serait préjudiciable à l’enfant d’avoir deux pères ou deux mères ». Et que tant
que l’on n’apporte pas la preuve que c’est forcément meilleur dans tous les
cas, on ne peut pas l’interdire. Et où est la preuve qu’il est indifférent pour
un enfant d’avoir deux pères ou deux mères plutôt qu’un père et une mère ? Où
est le principe de précaution ?
Vaincue, l’Autriche
est, hélas ! en train de changer son droit pour permettre les adoptions par
deux personnes de même sexe.
Un nouvel ordre
qui n’arrive pas à s’imposer et cause toujours du désordre
Les droits de l’homme
ne tirent plus leur fondement de la nature humaine mais de la puissance de l’État
à satisfaire à tous les désirs. « C’est par l’action divine de l’État que
chaque homme doit pouvoir s’accomplir ». Ce que la biotechnologie peut
permettre techniquement, l’État doit le permettre légalement, et les progrès
techniques « sont le carburant qui alimente » la transformation de l’homme.
Ainsi, selon Gregor Puppinck, la Cour de Strasbourg dit de plus en plus que la
Fécondation In Vitro est un droit de l’homme, contre certains États européens.
Ainsi l’Italie - qui voulait s’y opposer et interdire le Diagnostic
préimplantatoire en raison notamment de son caractère eugénique - a été
contrainte par l’Europe de les autoriser.
Le droit est
ainsi devenu, par glissements progressifs, la représentation de notre monde.
Avant de s’y résigner, il faudrait en évaluer les résultats. On constate alors
que si une loi juste génère de l’ordre, une loi injuste, qui ne respecte pas la
nature, est cause de désordre. Désordre sur la filiation, sur le nom de
famille, dans le droit international, désordre psychologique pour les enfants.
L’ordre nouveau
juridique est fictif parce que basé sur l’apparence, la contrainte (rééduquer
par l’école…), la censure, le secret institutionnalisé (secret des origines,
secret du don de gamètes) pour maintenir l’apparence.
Le temps
lui-même ne parvient pas à faire accepter ce nouveau droit : 40 ans n’ont pas
suffi pour faire accepter la loi sur l’avortement qui est toujours contestée
avec la même ardeur.
Il est temps que
les hommes et les pays qui veulent résister cessent d’avoir un complexe d’infériorité.
[1] Le texte intégral est disponible sur le site de Famille & Liberté : Synthèse de la conférence de Gregor Puppinck
***************
Albert Samain
(1858-1900).
Recueil : Aux
flancs du vase (1898).
Le bonheur.
Pour apaiser
l'enfant qui, ce soir, n'est pas sage,
Églé, cédant
enfin, dégrafe son corsage,
D'où sort, globe
de neige, un sein gonflé de lait.
L'enfant, calmé
soudain, a vu ce qu'il voulait,
Et de ses petits
doigts pétrissant la chair blanche
Colle une bouche
avide au beau sein qui se penche.
Églé sourit,
heureuse et chaste en ses pensers,
Et si pure de
cœur sous les longs cils baissés.
Le feu brille
dans l'âtre ; et la flamme, au passage,
D'un joyeux
reflet rose éclaire son visage,
Cependant qu'au
dehors le vent mène un grand bruit...
L'enfant s'est
détaché, mûr enfin pour la nuit,
Et, les yeux
clos, s'endort d'un bon sommeil sans fièvres,
Une goutte de
lait tremblante encore aux lèvres.
La mère,
suspendue au souffle égal et doux,
Le contemple,
étendu, tout nu, sur ses genoux,
Et, gagnée à son
tour au grand calme qui tombe,
Incline son beau
col flexible de colombe ;
Et, là-bas, sous
la lampe au rayon studieux,
Le père au large
front, qui vit parmi les dieux,
Laissant le
livre antique, un instant considère,
Double miroir
d'amour, l'enfant avec la mère,
Et dans la
chambre sainte, où bat un triple cœur,
Adore la
présence auguste du bonheur.
***************
Le grand
détournement (article paru le 25/10/2012 dans le blogue de l'EPHES,
École de Philosophie, d'Histoire et d'Études Sociales)
On est en droit
de se demander pourquoi un projet aussi insignifiant que le mariage pour tous,
qui concerne l’infime minorité d’une minorité "sexuelle" ferait
autant de bruit dans la sphère sociale et séparerait la société en deux camps
aussi obstinés qu’irréconciliables. Force est de constater que la manipulation
est de plus en plus utilisée dans « le camp du Bien » pour servir ses intérêts.
(...)
On retrouve
toujours dans ces manipulations idéologiques les mêmes mécanismes asymétriques
qui sont ceux de la guerre insurrectionnelle. On a d’un côté le loyaliste tradi
qui représente une majorité assise, de l’autre le rebelle moderne qui constitue
une minorité active. La finalité cherchée par la minorité active est d’abord la
déstabilisation et le renversement de la majorité assise, afin d’imposer son
point de vue. Comme l’a montré Moscovici (Serge hein, pas le junior), la
minorité active possède son propre champ de références, ses propres positions
ainsi que ses propres solutions. Obstinée, elle "crée le buzz" et
parvient en faisant front à noyauter peu à peu l’opinion, à la désunir, à la
manipuler et à la retourner.
Au cours de ces
dernières décennies, les groupuscules LGBT sont passés de récepteurs
d’influences à celui d’émetteurs d’influence, de marginaux et de déviants à
celui de créateurs de normes. La stratégie de provocation de la minorité active
est toujours payante puisqu’elle va se servir de la réaction indignée de la
majorité comme d’une caisse de résonance qui lui donnera médiatiquement une
importance qu’elle n’a pas socialement. La charnière est la référence à une
norme, perçue comme intangible par la majorité et à transgresser parce qu’interdite,
par la minorité. Les groupuscules LGBT ont, grâce au refus catégorique d’un
surmoi social, une présence dans les milieux de la mode, de l’art ou de la
culture ou l’organisation d’actions festives (marches des fiertés, bars
dédiés), réussi à se donner un rôle libérateur et novateur face à un monde
bourgeois sclérosé.
Un individu
minoritaire pourra être méprisé par une fraction de la majorité, mais aussi
admiré pour sa sincérité, son courage. Il a aussi par rapport à la majorité le
privilège de l’initiative, de l’action rapide qui marquera l’opinion. La
majorité est une machine beaucoup plus lente qui, vivant sur des acquis, a
perdu d’avance la bataille de l’originalité et aura à sa disposition des
options beaucoup plus limitées. Elle pourra interdire toute manifestation
intellectuelle ou sociale, mais ce faisant elle renforcera davantage son
adversaire. Toute production d’une pensée construite sera immédiatement
invalidée par le slogan qui en constitue précisément l’économie.
On remarquera
que les tabous sociaux se sont inversés et que ce n’est plus l’homosexualité
mais son refus qui causera la réprobation médiatique (et non pas sociale).
L’écho médiatique donnera ainsi à la moindre piqûre d’épingle l’impact d’une
bombe de trois tonnes. L’action choc médiatisée est plus efficace et
influencera davantage les esprits qu’une action d’envergure passée sous
silence. Par exemple, il sera assez facile de me museler en neuf lettres en me
traitant d’homophobe, ce qui invalidera en trois syllabes les quelques heures
que je viens de passer à réfléchir à la question !
(...)
Tout débat
constructif est impossible face à l’hystérie. Gilles Bernheim a essayé, mais
sans succès, dans un petit opuscule d’une grande profondeur intellectuelle.
Nous sommes prisonniers de l’avant-gardisme progressiste. Le nouveau c’est bien
! Quant à savoir vers quoi on marche… Vers une nouvelle humanité génétiquement
modifiée soumise à la finance spéculative sans doute. « Dans le monde
réellement renversé, le vrai est un moment du faux [1] ».
[1] Guy Debord, La
société du spectacle
Source : Le grand détournement
***************
Passé et
tradition
Hannah Arendt, La
Crise de la culture (1972)
La disparition
indéniable de la tradition dans le monde moderne n’implique pas du tout un
oubli du passé, car la tradition et le passé ne sont pas la même chose,
contrairement à ce que voudraient nous faire croire ceux qui croient en la
tradition d’un côté, et ceux qui croient au progrès de l’autre – et le fait que
les premiers déplorent cette disparition, tandis que les derniers s’en
félicitent, ne change rien à l’affaire. Avec la tradition, nous avons perdu
notre solide fil conducteur dans les vastes domaines du passé, mais ce fil
était aussi la chaîne qui liait chacune des générations successives à un aspect
prédéterminé du passé. Il se pourrait qu’aujourd’hui seulement le passé
s’ouvrît à nous avec une fraîcheur inattendue et nous dît des choses pour
lesquelles personne encore n’a eu d’oreilles. Mais on ne peut nier que la
disparition d’une tradition solidement ancrée (survenue, quant à la solidité,
il y a plusieurs siècles) ait mis en péril toute la dimension du passé. Nous
sommes en danger d’oubli et un tel oubli – abstraction faite des richesses
qu’il pourrait nous faire perdre – signifierait humainement que nous nous
priverions d’une dimension, la dimension de la profondeur de l’existence
humaine.
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