vendredi 24 mai 2013

Textes lus lors de notre 3ème veillée - 24 mai 2013


C'est la nuit qu'il est beau de croire à la lumière.
EDMOND ROSTAND

L'homme supérieur est celui qui reste toujours fidèle à l'espérance ;
ne point persévérer est d'un lâche.
EURIPIDE

 Si l'espérance concerne l'avenir, elle se vit au présent,
un présent qu'elle éclaire et enrichit.
JEAN-CLAUDE GUILLEBAUD

Point n'est besoin d'espérer pour entreprendre,
ni de réussir pour persévérer.
GUILLAUME D'ORANGE

Il faut toujours prier comme si l'action était inutile,
et agir comme si la prière était insuffisante.
SAINTE THÉRÈSE DE L'ENFANT JÉSUS 

« L'esprit des Veilleurs »
Th. Maulnier, « Plaidoyer pour le silence »
Tocqueville, De la démocratie en Amérique (extrait)
Témoignage d'une Veilleuse
Baudelaire, « Recueillement »

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L'esprit des Veilleurs

Depuis plus d'un mois, nous avons choisis d'honorer la personne humaine en nous rendant présents au monde, chair et esprit, dans le cadre de veillées qui ont lieu dans des lieux publics pour y retrouver une culture véritable sur laquelle l'homme peut se construire.
Être Veilleur, c'est offrir quelques heures à sa société pour redécouvrir le sens de la vie, de la société et la réalité de la personne humaine grâce à la redécouverte de l'histoire de France, de sa littérature, de la philosophie, grâce à la musique et à des témoignages.
Veiller, c'est aussi mettre sa vie, son quotidien, sa volonté au service du bien commun, reconnaître que nous sommes des êtres de relation et espérer un redressement culturel et politique profond.
Veiller, c'est s'efforcer d'être un homme ou une femme de conscience, d'appeler le bien et le mal par leurs noms, de préférer la vérité au mensonge, la beauté à la laideur, la justice à l'iniquité, la paix à l'affrontement. Veiller dimanche soir, c'est renoncer à la tentation de la violence qui suscite la répression, au profit de la non-violence qui conduit à la conversion de ceux qui ignorent tout de l'Homme, ou sont indifférents à la réalité de la souffrance des plus petits et des plus faibles.
Veiller, c'est commencer à changer sa vie et espérer ainsi changer la société.
 
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PLAIDOYER POUR LE SILENCE

par Thierry Maulnier 

Il faut défendre le silence, car le silence est menacé.

    La civilisation moderne, la civilisation de la technique, pourrait bien être en train de le tuer, sans que nous y prenions garde. Déjà on peut se demander si des millions de nos contemporains n'ont pas commencé d'en perdre le goût et le besoin.

    Nous vivons dans la rumeur continuelle des grandes villes. Nous vivons parmi les voix, les sirènes, les moteurs, les clameurs, les trépidations. Le bruit est pour nous une souffrance en même temps qu'un besoin, comme si nous étions intoxiqués - et sans doute le sommes nous. Nous travaillons à faire nos demeures imperméables au bruit, à rendre plus silencieuses nos automobiles - mais c'est pour y tourner à toute heure du jour les boutons de nos postes radiophoniques, pour y entendre le son de paroles dont nous n'écoutons pas le sens - qui nous est indifférent -, pour y remplir nos oreilles de musiques auxquelles nous ne nous donnons pas, car nous leur demandons seulement d'endormir nos consciences. Le bruit est un stupéfiant et, comme tous les stupéfiants, un remède à l'angoisse d'être seul.

    Nous avons perdu l'amitié du silence, nous avons peur de lui... C'est qu'il faut être fort pour le supporter. Le silence n'est richesse que pour ceux qui ont une richesse en eux-mêmes, il n'est nourriture que pour les forts. Aimer le silence, c'est aimer être seul, c'est aimer être avec soi-même. Le bruit recouvre et déguise tout ce qui est vie profonde, vie profonde de l'âme ou vie profonde des choses. Le vrai dialogue entre l'homme et le monde, c'est dans le silence qu'il s'établit. C'est pourquoi le silence est inquiétant.

    Il y a le silence à deux, qui n'est pas moins difficile à supporter que le silence où l'on est seul. Car il y a aussi une solitude des couples que le couple ne sait comment meubler. Un autre être humain, devant vous, dont le regard est fixé sur le vôtre, cela devient bien vite intimidant, presque terrifiant. La parole, pour deux êtres qui se trouvent en face l'un de l'autre, que ce soit pour la première fois ou au terme d'une longue habitude, c'est une diversion, un moyen non de se rejoindre mais de se fuir. On parle pour parler. On parle parce qu'on n'a rien à se dire. On parle pour fuir l'autre, comme on parle pour se fuir.

    Le silence n'est pas dans les appartements assaillis par les rumeurs de la ville. Il n'est pas dans les rues ni dans les cafés. Partout des "bruits de fond" nous cernent et nous accompagnent. Pour connaître le vrai silence, il faut s'écarter des foyers de la concentration et des chemins de la circulation humaine : il ne nous est donné que par la campagne muette, au petit jour, par l'immobilité minérale de la haute montagne. Il nous pénètre ainsi jusqu'au coeur, plus puissant, plus saisissant qu'un cri. Il arrive alors qu'il s'anime : le chant d'un oiseau y éclate, les sonnailles d'un troupeau lointain, une pierre qui roule, un pas humain sur la route déserte y prennent un poids, une intensité bouleversante.

    C'est alors que nous apercevons que les bruits du monde et le langage humain ne prennent leur sens et leur richesse que par la vertu du silence qui les prépare, les souligne, les sertit. Les comédiens, les musiciens, les orateurs ne l'ignorent pas, qui savent la valeur des temps, des silences : Il faut que quelque chose se taise pour que quelque chose soit entendue...

    Toutes les significations sont dans le silence. La parole se limite à ce qu'elle dit. Il est inépuisable. Certaines femmes, plus fines qu'intelligentes, l'ont deviné : elles évitent les bavardages où elles montreraient tôt leurs limites, elles savent se taire. Ainsi gardent-elles aux yeux de ceux qui les courtisent le prestige d'un monde inconnu. Ou, si elles parlent, elles font en sorte de laisser croire que ce qu'elles disent n'est pas l'important, qu'il y a, derrière leurs paroles, une richesse secrète et réservée, promise à l'audacieux conquérant qui saura la découvrir. Leur mystère fait leur séduction.

    Le silence est le lieu du mystère. L'esprit le plus exigeant, la sensibilité la plus fine ne seront jamais déçus par lui, car il est d'une générosité sans bornes. On y trouve tout ce qu'on y apporte. Il n'est pauvre que pour ceux qui sont eux-mêmes pauvres. Ceux-là ne l'aiment pas.

    De là, la vertu de la poésie. On pourrait croire que la vertu de la poésie est la vertu du verbe. Ce n'est vrai que dans un certain sens. L'acte poétique est celui par lequel le poète donne une voix au silence, met en parole ce qui est, en principe, rebelle à la parole, ce qui se dérobe au pouvoir ordinaire des mots, ce qui est ordinairement inexprimé. La vertu de la poésie n'est pas dans les mots eux-mêmes, mais dans l'écho qu'ils éveillent en nous. Le poète est celui qui dit ce qui ne paraissait pas destiné à être dit - ce que nous ne savions pas dire. Il vient au secours de notre silence. Sa parole est, si l'on ose dire, traduite du silence. Il évoque par les mots ce qui est au delà des mots. Il nous révèle, ou nous rappelle, que les mots restent ordinairement à la surface des choses et qu'il faut les assembler et les écouter d'une certaine façon pour en éprouver la puissance magique, le pouvoir de nous découvrir le monde dans sa profondeur. Chaque mot est doublé d'une épaisseur de silence. Les mots du poète évoquent pour nous cet au-delà des mots. Ils nous donnent la possession de l'ineffable, de ce qui ne sera jamais tout à fait dit. "J'écoute, à demi transporté,/ le bruit des ailes du silence / qui plane dans l'obscurité...", écrivait magnifiquement un poète du XVlle siècle. La poésie n'est pas l'ennemi du silence : elle en est l'alliée. Elle en est la voix.

 
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Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique (extrait)

Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l'espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d'eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n'existe qu'en lui-même et pour lui seul, et s'il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a plus de patrie.
Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?
C'est ainsi que tous les jours il rend moins utile et plus rare l'emploi du libre arbitre ; qu'il renferme l'action de la volonté dans un plus petit espace, et dérobe peu à peu chaque citoyen jusqu'à l'usage de lui-même. L'égalité a préparé les hommes à toutes ces choses : elle les a disposés à les souffrir et souvent même à les regarder comme un bienfait.
Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière ; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule ; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger.
J'ai toujours cru que cette sorte de servitude, réglée, douce et paisible, dont je viens de faire le tableau, pourrait se combiner mieux qu'on ne l'imagine avec quelques-unes des formes extérieures de la liberté, et qu'il ne lui serait pas impossible de s'établir à l'ombre même de la souveraineté du peuple.

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Témoignage d'une Veilleuse nommée Nathalie :

Bonsoir,
Je m’appelle Nathalie, comme mon prénom l’indique, je ne suis pas de l’âge moyen des veilleurs mais plutôt du double… mais je tenais à vous partager cette réflexion que j’envoie par mail car je crains de ne pouvoir veiller avec vous ce soir.
Merci de votre belle initiative courageuse. Beaucoup veillent et se croient seuls, votre invitation permet de savoir que nous sommes nombreux à veiller pour la famille. Elle soulève une très grande espérance.
La famille père-mère-enfant est le terreau naturel où l’homme et la femme se construisent. Malheureusement beaucoup de familles souffrent aujourd’hui de déchirures.
Il est bon de se demander ce que signifie veiller pour la famille, et je voudrais vous donner ce témoignage : Voilà des années que je veille, que nous veillons mon mari et moi-même, et je voudrais vous inviter à devenir des veilleurs de chaque jour et de toute la vie.
Veilleurs nous le sommes quand nous décidons d’arrêter la course du temps au service de l’amour de l’autre, spécialement du plus proche, notre conjoint. Notre premier appel de veille pour la famille est de veiller sur l’amour du couple homme-femme qui la constitue pour qu’il dure malgré les tempêtes de la vie. C’est un appel immense qui défie la raison, mais soyez fous, lancez vous dans l’aventure et osez croire qu’elle est possible !
Veilleurs nous sommes quand nous attendons l’enfant qui grandit doucement dans une veille affectueuse et prudente pour lui. Non une gestation, mais une maternité, avec une attention déjà aimante aux liens qui se tissent dès avant que les yeux ne s’ouvrent sur le monde.
Veilleurs nous le sommes quand nous prenons soin du tout petit, en lui offrant un nid de tendresse solide sur lequel il pourra s’appuyer pour ses premiers pas, quand nous veillons la nuit sur le sommeil agité, les cauchemars, la maladie.
Veilleurs nous le sommes quand nous lui apprenons pas à pas la liberté de sa conscience, veilleurs donc dans la mission éducative que nous ne pouvons confier sans discernement et que nous devons défendre. Mission qui peut exiger des renoncements incompris dans certaines sphères de la société.
Veilleurs nous le sommes quand nous expliquons le monde et ses questions à nos jeunes et nos proches, quand nous permettons à l’intelligence de s’ouvrir et de se cultiver.
Veilleurs nous le sommes quand envers et contre tout nous redisons notre tendresse à l’enfant qui devenant adulte nous surprend et nous bouscule.
Veilleurs nous le sommes enfin auprès de nos parents âgés, effrayés parfois de l’accélération de la course du monde, fragilisés par la maladie, la vieillesse ou la solitude.
Veilleurs nous le sommes chacun, dans ce regard bienveillant – bienveillant : de « veiller au bien » - et attentif envers ceux qui nous sont proches par la famille, la vie professionnelle, le quartier.
Veilleurs depuis longtemps dans une vie ordinaire, j’ai été très heureuse de me joindre à vous vendredi et dimanche, de goûter l’espérance partagée, d’entendre la résistance nourrie d’art et de littérature, et la résistance intérieure manifestée sans bruit.
N’ayez pas peur de rester un instant en silence. Ce silence est très fort dans le brouhaha de la manifestation, le brouhaha des médias, et celui de notre colère.
Accueillez la paix intérieure dans ce silence des veilleurs.
Merci.
  

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Charles Baudelaire – « Recueillement »

Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma Douleur, donne-moi la main ; viens par ici,

Loin d'eux. Vois se pencher les défuntes Années,
Sur les balcons du ciel, en robes surannées ;
Surgir du fond des eaux le Regret souriant ;

Le Soleil moribond s'endormir sous une arche,
Et, comme un long linceul traînant à l'Orient,
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.


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