vendredi 11 octobre 2013

Textes lus lors de notre 23ème veillée - 11 octobre 2013

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Victor Hugo, La légende des siècles, « La conscience » (1859)
Saint Thomas d'Aquin, Somme théologique, « Les lois injustes sont de deux sortes » (XIIIe s.)
Jean de Baulhoo, Livret de poésie de France, « L'Espérance » (2012)

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Victor HUGO, La légende des siècles, « La conscience » (1859)
           
                        Lorsque avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes,
                        Échevelé, livide au milieu des tempêtes,
                        Caïn se fut enfui de devant Jéhova,
                        Comme le soir tombait, l'homme sombre arriva
5                     Au bas d'une montagne en une grande plaine ;
                        Sa femme fatiguée et ses fils hors d'haleine
                        Lui dirent : "Couchons-nous sur la terre et dormons."
                        Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.
                        Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres,
10                   Il vit un œil, tout grand ouvert dans les ténèbres
                        Et qui le regardait dans l'ombre fixement.
                        "Je suis trop près", dit-il avec un tremblement.
                        Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse,
                        Et se remit à fuir sinistre dans l'espace.
15                   Il marcha trente jours, il marcha trente nuits.
                        Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits,
                        Furtif, sans regarder derrière lui, sans trêve,
                        Sans repos, sans sommeil ; il atteignit la grève
                        Des mers dans le pays qui fut depuis Assur.
20                   "Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est sûr.
                        Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes."
                        Et, comme il s'asseyait, il vit dans les cieux mornes
                        L'œil à la même place au fond de l'horizon.
                        Alors il tressaillit en proie au noir frisson.
25                   "Cachez-moi !" cria-t-il ; et, le doigt sur la bouche,
                        Tous ses fils regardaient trembler l'aïeul farouche.
                        Caïn dit à Jabel, père de ceux qui vont
                        Sous des tentes de poil dans le désert profond :
                        "Étends de ce côté la toile de la tente."
30                   Et l'on développa la muraille flottante ;
                        Et, quand on l'eut fixée avec des poids de plomb :
                        "Vous ne voyez plus rien?" dit Tsilla, l'enfant blond,
                        La fille de ses fils, douce comme l'aurore ;
                        Et Caïn répondit :"Je vois cet œil encore !"
35                   Jubal, père de ceux qui passent dans les bourgs
                        Soufflant dans des clairons et frappant des tambours,
                        Cria : "Je saurai bien construire une barrière."
                        Il fit un mur de bronze et mit Caïn derrière.
                        Et Caïn dit : "Cet œil me regarde toujours !"
40                   Hénoch dit : "Il faut faire une enceinte de tours
                        Si terrible que rien ne puisse approcher d'elle.
                        Bâtissons une ville avec sa citadelle.
                        Bâtissons une ville et nous la fermerons."
                        Alors Tubalcaïn, père des forgerons,
45                   Construisit une ville énorme et surhumaine.
                        Pendant qu'il travaillait, ses frères, dans la plaine,
                        Chassaient les fils d'Énos et les enfants de Seth ;
                        Et l'on crevait les yeux à quiconque passait ;
                        Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles.
50                   Le granit remplaça la tente aux murs de toile.
                        On lia chaque bloc avec des nœuds de fer
                        Et la ville semblait une ville d'enfer ;
                        L'ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes ;
                        Ils donnèrent aux murs l'épaisseur des montagnes ;
55                   Sur la porte on grava : "Défense à Dieu d'entrer."
                        Quand ils eurent fini de clore et de murer,
                        On mit l'aïeul au centre en une tour de pierre ;
                        Et lui restait lugubre et hagard. "O mon père !
                        L'œil a-t-il disparu ?" dit en tremblant Tsilla.
60                   Et Caïn répondit : "Non, il est toujours là."
                        Alors il dit : "Je veux habiter sous la terre
                        Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
                        Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien."
                        On fit donc une fosse et Caïn dit : "C'est bien !"
65                   Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
                        Quand il se fut assis sur sa chaise dans l'ombre
                        Et qu'on eut sur son front fermé le souterrain,
                        L'œil était dans la tombe et regardait Caïn.

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Thomas d’Aquin, Somme théologique, « Les lois injustes sont de deux sortes »

            Les lois injustes sont de deux sortes. Il y a d’abord celles qui sont contraires au bien commun. Elles sont injustes, soit en raison de leur fin – par exemple, quand un chef impose à ses subordonnés des lois onéreuses ou à sa gloire plus qu’au bien commun -, soit en raison de leur auteur – par exemple quand un homme promulgue une loi qui excède le pouvoir qu’il détient -, soit encore en raison de leur forme – lorsque les charges destinés au bien commun sont inégalement réparties dans la communauté. De pareilles lois sont des contraintes plus que des lois car, selon le mot de saint Augustin au livre I du Libre arbitre, « on ne peut tenir pour loi une loi qui n'est pas juste ». Par conséquent, de telles lois n’obligent pas en conscience, sauf dans les cas où il importe d’éviter le scandale et le désordre. Il faut alors sacrifier même son droit [...].

            Il y a ensuite les lois qui sont injustes parce que contraires au bien divin, comme les lois des tyrans qui imposent l’idolâtrie et d’autres actes contraires à la loi divine. Il ne faut en aucune manière observer de telles lois, c’est en ce sens qu’il est dit dans les Actes des apôtres : « Il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes. »

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L’ESPERANCE

Que des feuilles mortes jonchant le sol
D’un songe reverdies et envolées,
Que les voici emportées par un vol
De colombes comme brins d’olivier,

Que de les voir belles qui caracolent
D’un nouvel espoir jamais éprouvé,
Que les voilà sans nul besoin de colle
De cent façons aux branches assemblées,

Ainsi pourrait se dire l’espérance,
Constante et inépuisable rivière
Prenant sa source au pays de l’enfance,

Ainsi perdurerait lueur intense,
Constante et  perpétuelle lumière
Prenant au ciel l’éternelle brillance.

Jean de Baulhoo
Livret de poésie de France
La Nouvelle Pléiade, 2012

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