vendredi 30 août 2013

Textes lus lors de notre 17ème veillée - 30 août 2013

Si vous le souhaitez, vous pouvez lire notre page en écoutant de la musique
(fichier téléchargeable)

Henri VII, Comte de Paris et Duc de France, Paroles de Princes (17 juillet 2013), « L'honneur, cette ancienne notion venue du fond des âges » (extraits)
Victor Hugo, Les Châtiments, « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent »
Lettre d'une jeune bachelière à François Hollande

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« L'honneur, cette ancienne notion venue du fond des âges »

(...) L'honneur, cette ancienne notion venue du fonds des âges, de la chevalerie, composée de la dignité de l'être, de sa responsabilité et du service rendu à son prochain, ce que l'on nommait aussi l'amour du prochain ou encore la parole donnée, tout cela n'est plus appris, puisque le civisme n'est plus enseigné à l'école comme cela fut par des instituteurs semblables à ceux si bien dépeints dans les films de Pagnol. C'est ainsi que nous assistons de nos jours à une terrible entreprise de démolition de notre civilisation, de ses valeurs, de notre honneur personnel et collectif... On pourrait alors réciter la litanie suivante :

L'HONNEUR PERDU des "forces de l'ordre" à qui l'on commande d'arrêter des citoyens qui manifestent pacifiquement leur désapprobation du démantèlement de la famille, alors que l'on laisse plus volontiers courir les violeurs récidivistes, les casseurs et les meurtriers. Ainsi Nicolas ou un Curé sont mis derrière les barreaux pour leurs opinions que leur dicte leur conscience, comme le furent pour ces mêmes motifs tant d'hommes et de femmes sous les régimes dictatoriaux et totalitaires. (...)

L'HONNEUR PERDU d'une certaine justice sectaire, aux ordres du parti unique, et qui se permet d'épingler sur le mur de la honte ceux qui ne sont pas de leur opinion (...).

L'HONNEUR PERDU de certaines corporations qui préfèrent hurler avec les loups, plutôt que d'étaler la vérité sur la petite lucarne, ou la coucher sur le papier, afin de conserver leurs privilèges ou ne pas terminer leur carrière dans un placard.

L'HONNEUR PERDU d'une certaine classe politique qui a oublié le mot et sa signification et pour laquelle le mensonge et la tromperie sont devenus la seule façon de gouverner, dans le seul but d'y trouver leur profit qui leur importe plus que la France et la souffrance des Français. (...)

Pourtant l'honneur, en cherchant bien, vit encore en France et plus qu'on ne veut le croire.

L'HONNEUR des familles et des veilleurs se manifeste pacifiquement, partout en France, en dépit des gaz, des matraques, des barreaux de prison. Ils ne lâchent rien, poursuivant silencieusement, pacifiquement, joyeusement le combat pour l'honneur, le leur et celui de la France éternelle, contre la mort annoncée de notre civilisation et de notre conscience.

L'HONNEUR de nombre de Maires de France, qui ne veulent pas de cette mascarade de mariage pour tous, alors qu'ils ne sont nullement opposés à une union civile, ni ne sont homophobes. Mais ils ont une conscience et le sens de leurs responsabilités.

L'HONNEUR des ouvriers, des artisans, des agriculteurs, des pêcheurs, des petits commerçants qui aiment leur travail, un travail bien fait et pour lequel il ne leur reste que les yeux pour pleurer. Pour pleurer le démantèlement de notre tissus industriel, commercial et social.

L'HONNEUR de notre Armée, comme celui de la Légion Étrangère où j'ai servi durant cinq ans. Plus de 140 nationalités y sont accueillies. Je me souviens de ces recrues que je recevais à Corté ou à Bonifacio. En quelques mois nous leurs enseignions à parler correctement le Français et à le lire. Ils respectaient le Drapeau et savaient chanter la Marseillaise. Ils étaient intégrés à cette nouvelle patrie. La solidarité, une amitié virile, le respect d'autrui et l'honneur, toutes ces vertus étaient acquises et vécues. (...) Tant qu'il existera une étincelle d'honneur, la France pourra se redresser. (...)

Le 17 juillet 2013

Henri VII, Comte de Paris et Duc de France.

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Victor Hugo, Les Châtiments, « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent »

Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l'âme et le front.
Ceux qui d'un haut destin gravissent l'âpre cime.
Ceux qui marchent pensifs, épris d'un but sublime.
Ayant devant les yeux sans cesse, nuit et jour,
Ou quelque saint labeur ou quelque grand amour.
C'est le prophète saint prosterné devant l'arche,
C'est le travailleur, pâtre, ouvrier, patriarche.
Ceux dont le cœur est bon, ceux dont les jours sont pleins.
Ceux-là vivent, Seigneur ! les autres, je les plains.
Car de son vague ennui le néant les enivre,
Car le plus lourd fardeau, c'est d'exister sans vivre.
Inutiles, épars, ils traînent ici-bas
Le sombre accablement d'être en ne pensant pas.
Ils s'appellent vulgus, plebs, la tourbe, la foule.
Ils sont ce qui murmure, applaudit, siffle, coule,
Bat des mains, foule aux pieds, bâille, dit oui, dit non,
N'a jamais de figure et n'a jamais de nom ;
Troupeau qui va, revient, juge, absout, délibère,
Détruit, prêt à Marat comme prêt à Tibère,
Foule triste, joyeuse, habits dorés, bras nus,
Pêle-mêle, et poussée aux gouffres inconnus.
Ils sont les passants froids sans but, sans nœud, sans âge ;
Le bas du genre humain qui s'écroule en nuage ;
Ceux qu'on ne connaît pas, ceux qu'on ne compte pas,
Ceux qui perdent les mots, les volontés, les pas.
L'ombre obscure autour d'eux se prolonge et recule ;
Ils n'ont du plein midi qu'un lointain crépuscule,
Car, jetant au hasard les cris, les voix, le bruit,
Ils errent près du bord sinistre de la nuit.

Quoi ! ne point aimer ! suivre une morne carrière
Sans un songe en avant, sans un deuil en arrière,
Quoi ! marcher devant soi sans savoir où l'on va,
Rire de Jupiter sans croire à Jéhova,
Regarder sans respect l'astre, la fleur, la femme,
Toujours vouloir le corps, ne jamais chercher l'âme,
Pour de vains résultats faire de vains efforts,
N'attendre rien d'en haut ! ciel ! oublier les morts !
Oh non, je ne suis point de ceux-là ! grands, prospères,
Fiers, puissants, ou cachés dans d'immondes repaires,
Je les fuis, et je crains leurs sentiers détestés ;
Et j'aimerais mieux être, ô fourmis des cités,
Tourbe, foule, hommes faux, cœurs morts, races déchues,
Un arbre dans les bois qu'une âme en vos cohues !

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Lettre d’une jeune bachelière à François Hollande

Monsieur le Président de la République,

Si je prends la plume pour vous écrire aujourd’hui, c’est avant tout pour vous faire part de mes sincères remerciements – je m’explique. Vous connaissez les actions de contestation au mariage gay qui rythment la vie politique française depuis près de neuf mois. Je serai brève, alors que vous essayez de faire taire les opposants par diverses méthodes (diminution des chiffres, ridiculisation, accélération du processus législatif, répression policière) un mouvement va émerger, naître de votre mépris. Ce mouvement est celui des Veilleurs. Vous n’avez pu manquer de le remarquer – leurs bougies, signe d’espérance, veulent vous illuminer jour et nuit.

Créés il y a bientôt trois mois, ils sont présents dans plus de deux cents villes en France et à travers le monde. La presse s’en est peu à peu fait le relais ; le Conseil de l’Europe les a accueilli le 26 juin dernier avant de prononcer une condamnation contre la répression et les violences policières commises dans notre belle patrie sous votre régime. Ces veilleurs se sont assis et ont pensé. Ils ont choisi, outre la non-violence, de réveiller les consciences endormies d’un peuple en lui rappelant sa culture. Partout en France, des personnes se rassemblent et veillent sur le sens de l’Homme, sa dignité et sa liberté, ils veulent redonner goût à la formation intellectuelle et raviver le sens de l’engagement dans la vie de la Cité, au sens grec de polis. Par votre proposition de loi injuste qui confond les désirs et les droits, vous avez concouru à l’éveil d’un peuple, celui que vous gouvernez. Et c’est le premier motif pour lequel je vous gratifie.

J’arrive à mon but : j’ai passé une quinzaine de soirées aux Veilleurs et, comme beaucoup d’autres, me suis par là-même éveillée. J’ai découvert l’architecture magnifique des places parisiennes, j’ai marché à travers les anciennes ruelles, j’ai écouté des chants, des chorales, des concerti. Merci d’avoir contribué à mon émerveillement et ma culture. Mais, les Veilleurs sont aussi un rassemblement de personnes qui veulent lutter contre la démission de la pensée, épidémie qui frappe notre société, et qui relisent les grands auteurs (Saint-Exupéry, Ionesco), les grands penseurs (Tocqueville, Camus, Dostoïevski). Ils souhaitent par-là réapprendre à penser, redécouvrir l’amour de la sagesse. Chaque soir, nous explorons différents concepts comme celui de droit naturel, d’objection de conscience ; des philosophes prennent la parole et lient des thèmes comme le langage, la justice, l’histoire et la mémoire, la non-violence. En deux mois, j’ai, grâce à vous et au mouvement dont vous avez involontairement participé à la fondation, révisé l’intégralité du programme de philosophie avec un approfondissement spécial en philosophie politique.

Le jour du bac, j’ai choisi le sujet très inspirant qu’est : « Que devons-nous à l’Etat ? ». J’ai parlé d’une réciprocité entre les devoirs du citoyen et ceux de l’Etat, de la notion de devoir effacée au profit de celle de droit ; j’ai évoqué la conscience de l’Homme au-dessus de la loi, fut-elle « loi de la République » et votée démocratiquement. J’ai parlé de la participation indispensable de chaque citoyen à la vie de la Cité car « un homme ne se mêlant pas de politique mérite de passer, non pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile » comme le dit Thucydide. M’inspirant des Veilleurs, j’ai conclu sur les trois stades du bien commun que l’Etat doit assurer pour maintenir la cohésion de la Nation.

J’ai eu 20. Grâce à votre entêtement pour faire passer une loi léonine, grâce à votre lâche soumission à la pression d’une minorité, j’ai eu 20. Et je vous remercie mille fois et de tout cœur. Vous pouvez bien sûr transmettre ces remerciements à Madame Taubira, Monsieur Ayrault, Madame Vallaud-Belkacem, Madame Bertinotti et Monsieur Valls. J’hésite à  ajouter Monsieur Peillon qui a, comme les autres et malgré lui, mis sa pierre à l’édifice des Veilleurs, mais qui fait preuve par ailleurs d’une incompétence et d’un acharnement tels dans la mise en œuvre de « ce-dont-le-nom-n’existe-pas », sous-entendu théorie du genre, que je ne peux le remercier en conscience. Vous aviez eu 13, la normalité avant l’heure, ceci explique cela. Monsieur Peillon avait eu 12, se justifiant par ces 16 ans, certes, mais il me faut rappeler qu’ « aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années ». Preuve que Monsieur Peillon n’a rien de commun avec le Cid.

Je crois vous avoir assez remercié pour la philosophie. Pour le reste, je ne me sens pas le besoin de vous en attribuer le mérite. Ce n’est certainement pas vous qui auriez pu m’aider à décrocher le bac d’histoire-géographie, vous qui confondez japonais et chinois, Egypte et Tunisie. Encore moins celui d’économie alors que vous n’arrivez pas à arrêter la croissance de la courbe du chômage. Quant à celui de mathématiques, ce n’est pas en confondant les 3% de déficit public accordés par la règle d’or avec les 4,8% de 2012 que j’aurais obtenu une bonne note.

Je me sens bien plus redevable aux Veilleurs et aux nombreux intervenants (philosophe, avocat, historien, artiste) d’abord pour les nombreuses explications philosophiques sur la société et l’Etat, puis pour l’amour de l’histoire et de notre pays qu’ils propagent et enfin pour m’avoir donné l’envie de me former afin de disposer des moyens d’agir. Pour ce, je conseille vivement à tous ceux qui passent les rattrapages d’aller aux Veilleurs dans la ville la plus proche de chez eux et vite ! Et j’étends ce conseil à ceux qui passeront le bac l’année prochaine, allez-y dès maintenant et tout au long de l’année. Bien sûr ceux qui comptent poursuivre leurs études dans la philosophie, les lettres ou l’Histoire ou veulent simplement acquérir le désir de se former sont les bienvenus.

Veuillez agréer en l’expression de mes sentiments,

Vinciane

Une jeune bachelière de seize ans.

Lettre du 08 juillet 2013, envoyée par Vinciane à François Hollande.

vendredi 23 août 2013

Textes lus lors de notre 16ème veillée - 23 août 2013

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 Fauré - Cantique de Jean Racine - Choir of New College, Oxford (1996)

Henri VII, Comte de Paris et Duc de France, Paroles de Princes (16 mai 2013), « Vous les Veilleurs, sachez que vous n'êtes pas seuls » (extraits)
Victor Hugo, Ultima verba
Antoine de Saint-Exupéry, Lettre à un otage, 5
Théodore de Banville, À la Patrie

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« Vous les Veilleurs, sachez que vous n'êtes pas seuls »

Les Veilleurs sont assimilables à une source d'eau pure, d'eau vive. Ils sont à la fois les vecteurs et les victimes de la réalité dont ils souffrent. Nous sommes nombreux à ne pas vouloir que notre civilisation disparaisse, mais qu'elle puisse évoluer, et tout autant désireux que la France se réveille de son cauchemar. C'est pourquoi cette flamme allumée pour veiller ne doit pas s'éteindre, en revanche, il ne faudrait pas qu'on puisse la contraindre à se transmuter en brasier. Ainsi cette flamme, par son aspect non violent, nous rappelle le sourire de l'Ange de Reims face à la force aveugle et brutale de l'injustice, de privation de liberté, celle du chaos, véritable tonneau des Danaïdes.

(...) Certes à notre époque, en France comme en Europe, les forces de destructions de nos valeurs, celles de notre civilisation judéo-chrétienne sont à l'œuvre. La vigilance et la responsabilité de nos actes doivent donc plus que jamais être pesés à l'aune du bon sens, de la justesse et de la pureté de l'âme et du cœur. Car cette nouvelle force destructrice et perverse est plus puissante que le mensonge, que la haine et que la prison qu'elle utilise et engendre... Et c'est déjà commencé !

Il faut s'attendre à ce que l'on attaque nos libertés fondamentales, le libre arbitre de chacun, l'opinion bien pesée de chaque citoyen que l'on voudrait encager dans le carcan d'une pensée unique plus commode à manipuler et à gérer. Que dire de l'intimité de notre conscience mise à mal, de nos croyances auxquelles on semblerait préférer un islam radical, conquérant et destructeur, prêt à nous détruire pour s'installer sur nos cendres ? (...) Que dire encore des nouveaux manuels scolaires enseignant le civisme : aucune ligne écrite sur la Liberté si douloureusement acquise, ou de la fraternité si souvent chantée (...). Rajoutons la théorie du genre qui se mêle de la vie intime de chacun, alors que le rôle d'un gouvernement est de se préoccuper du bien commun.

Contre toutes ces aberrations nous devons nous hâter et rallumer la flamme de notre prise de conscience.

Mais sachez, vous les Veilleurs, que vous n'êtes pas seuls. Des anciens veillent aussi, parlent, écrivent comme ce collectif de juristes "Cambacérès" qui redisent le juste Droit, comme ces agriculteurs qui redéfinissent les comportements utiles pour ne pas détruire la nature (...). Nous devrions relire les écrits de certains grands économistes comme Maurice Allais qui reçut en 1988 le prix Nobel d'économie, il dénonçait déjà la dérégulation financière, la suppression des barrières douanières et les taux de change flottants, toutes nouveautés qui provoqueront le déclin de l'emploi et le risque d'une grande dépression mondiale. Je garde également le souvenir de mon regretté professeur d'économie (et autres sciences) Alfred Sauvy. (...)

Détruire une civilisation n'est pas sans danger. Construire une nouvelle civilisation peut se transformer en champ de mines anti-personnelles. Comme le disait Enstein : "Plus la technologie avance, plus les gens risquent de devenir idiots". Tout le monde n'est pas Enstein... On nous demande de plus en plus chaque jour et dans tous les domaines, et on refuse l'excellence, alors on a recours au touche à tout. Ceux qui n'ont pas eu la possibilité de se créer honnêtement ou non une forte carapace, nous ont fait découvrir, par leur suicide, la profondeur du gouffre, résultat d'une modernité qui tend à transformer en robot des êtres vivants. Aujourd'hui et plus que jamais notre humanité a besoin de retrouver cette solidarité chaleureuse qui a permis à la France de grandir et prospérer.

Le 16 mai 2013

Henri VII, Comte de Paris et Duc de France.

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Victor Hugo, Ultima verba (extraits)

... Quand même grandirait l'abjection publique
A ce point d'adorer l'exécrable trompeur ;
Quand même l'Angleterre et même l'Amérique
Diraient à l'exilé : - Va-t'en ! nous avons peur !

Quand même nous serions comme la feuille morte,
Quand, pour plaire à César, on nous renîrait tous ;
Quand le proscrit devrait s'enfuir de porte en porte,
Aux hommes déchiré comme un haillon aux clous ;

Quand le désert, où Dieu contre l'homme proteste,
Bannirait les bannis, chasserait les chassés ;
Quand même, infâme aussi, lâche comme le reste,
Le tombeau jetterait dehors les trépassés ;

Je ne fléchirai pas ! Sans plainte dans la bouche,
Calme, le deuil au cœur, dédaignant le troupeau,
Je vous embrasserai dans mon exil farouche,
Patrie, ô mon autel ! Liberté, mon drapeau !

 … Je serai, sous le sac de cendre qui me couvre,
La voix qui dit : malheur ! la bouche qui dit : non !
Tandis que tes valets te montreront ton Louvre,
Moi, je te montrerai, César, ton cabanon.

Devant les trahisons et les têtes courbées,
Je croiserai les bras, indigné, mais serein.
Sombre fidélité pour les choses tombées,
Sois ma force et ma joie et mon pilier d'airain !

… J'accepte l'âpre exil, n'eût-il ni fin ni terme,
Sans chercher à savoir et sans considérer
Si quelqu'un a plié qu'on aurait cru plus ferme,
Et si plusieurs s'en vont qui devraient demeurer.

Si l'on n'est plus que mille, eh bien, j'en suis ! Si même
Ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla ;
S'il en demeure dix, je serai le dixième ;
Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là !

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Antoine de Saint-Exupéry, Lettre à un otage (1943)

Cette qualité de la joie n’est-elle pas le fruit le plus précieux de la civilisation qui est nôtre ? Une tyrannie totalitaire pourrait nous satisfaire, elle aussi, dans nos besoins matériels. Mais nous ne sommes pas un bétail à l’engrais. La prospérité et le confort ne sauraient suffire à nous combler. Pour nous qui fûmes élevés dans le culte du respect de l’homme, pèsent lourd les simples rencontres qui se changent parfois en fêtes merveilleuses…
Respect de l’homme ! Respect de l’homme !… Là est la pierre de touche ! Quand le Naziste respecte exclusivement qui lui ressemble, il ne respecte rien que soi-même ; il refuse les contradictions créatrices, ruine tout espoir d’ascension, et fonde pour mille ans, en place d’un homme, le robot d’une termitière. L’ordre pour l’ordre châtre l’homme de son pouvoir essentiel, qui est de transformer et le monde et soi-même. La vie crée l’ordre, mais l’ordre ne crée pas la vie.
Il nous semble, à nous, bien au contraire, que notre ascension n’est pas achevée, que la vérité de demain se nourrit de l’erreur d’hier, et que les contradictions à surmonter sont le terreau même de notre croissance. Nous reconnaissons comme nôtres ceux mêmes qui diffèrent de nous. Mais quelle étrange parenté ! elle se fonde sur l’avenir, non sur le passé. Sur le but, non sur l’origine. Nous sommes l’un pour l’autre des pèlerins qui, le long de chemins divers, peinons vers le même rendez-vous.
Mais voici qu’aujourd’hui le respect de l’homme, condition de notre ascension, est en péril. Les craquements du monde moderne nous ont engagés dans les ténèbres. Les problèmes sont incohérents, les solutions contradictoires. La vérité d’hier est morte, celle de demain est encore à bâtir. Aucune synthèse valable n’est entrevue, et chacun d’entre nous ne détient qu’une parcelle de la vérité. Faute d’évidence qui les impose, les religions politiques font appel à la violence. Et voici qu’à nous diviser sur les méthodes, nous risquons de ne plus reconnaître que nous nous hâtons vers le même but.
Le voyageur qui franchit sa montagne dans la direction d’une étoile, s’il se laisse trop absorber par ses problèmes d’escalade, risque d’oublier quelle étoile le guide. S’il n’agit plus que pour agir, il n’ira nulle part. La chaisière de cathédrale, à se préoccuper trop âprement de la location de ses chaises, risque d’oublier qu’elle sert un dieu. Ainsi, à m’enfermer dans quelque passion partisane, je risque d’oublier qu’une politique n’a de sens qu’à condition d’être au service d’une évidence spirituelle. Nous avons goûté, aux heures de miracle, une certaine qualité des relations humaines : là est pour nous la vérité.
Quelle que soit l’urgence de l’action, il nous est interdit d’oublier, faute de quoi cette action demeurera stérile, la vocation qui doit la commander. Nous voulons fonder le respect de l’homme. Pourquoi nous haïrions-nous à l’intérieur d’un même camp ? Aucun d’entre nous ne détient le monopole de la pureté d’intention. Je puis combattre, au nom de ma route, telle route qu’un autre a choisie. Je puis critiquer les démarches de sa raison. Les démarches de la raison sont incertaines. Mais je dois respecter cet homme, sur le plan de l’Esprit, s’il peine vers la même étoile.
Respect de l’Homme ! Respect de l’Homme !… Si le respect de l’homme est fondé dans le cœur des hommes, les hommes finiront bien par fonder en retour le système social, politique ou économique qui consacrera ce respect. Une civilisation se fonde d’abord dans la substance. Elle est d’abord, dans l’homme, désir aveugle d’une certaine chaleur. L’homme ensuite, d’erreur en erreur, trouve le chemin qui conduit au feu.

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Théodore de BANVILLE, À la Patrie

Oui, je t'aimais, ô ma Patrie !
Quand, maîtresse des territoires,
Tu menais de ta main chérie
Le chœur éclatant des Victoires ;

Lorsque souriante et robuste
Et pareille aux Anges eux-mêmes
Tu mêlais sur ta tête auguste
Les lauriers et les diadèmes !

Vivant passé, que rien n'efface !
Les peuples, ô grande ouvrière,
N'osaient te regarder en face
Dans ta cuirasse de guerrière ;

Et toi, retrouvant dans ton rêve
L'âme de Pindare et d'Eschyle,
Tu portais, sans laisser ton glaive,
La lyre des Dieux, comme Achille !

Calme sous l'azur de tes voiles,
Et multipliant les prodiges,
Tu pouvais semer des étoiles
Sur les rênes de tes quadriges :

On louait ta blancheur de cygne
Et ton ciel, dont la transparence
Charme tes forêts et ta vigne ;
Ou disait : « Voyez ! C'est la France ! »

Oui, je t'aimais alors, ô Reine,
Menant dans tes champs magnifiques
Brillants d'une clarté sereine
Tous les triomphes pacifiques ;

Mais à présent, humiliée,
Sainte buveuse d'ambroisie,
Farouche, acculée, oubliée,
Je t'adore ! Avec frénésie

Je baise tes mains valeureuses,
A présent que l'éponge amère
Brûle tes lèvres douloureuses
Et que ton flanc saigne — ma mère !

Novembre 1870