vendredi 24 avril 2015

Textes lus lors de notre 46ème veillée - 24 avril 2015

Si vous le souhaitez, vous pouvez lire notre page en écoutant de la musique
(fichier téléchargeable)

« Je vous demande d'être des révolutionnaires.
Oui, je vous demande de vous rebeller contre cette culture du provisoire. »
SA SAINTETÉ LE PAPE FRANÇOIS
                         
Victor Hugo, « Après l'hiver » (26 juin 1878)
Fabrice Hadjadj, « Qu'est-ce qu'une famille ? » (septembre 2014)
Gérard de Nerval, Odelettes, « Avril » (1834)
Xavier Martin, « La dignité de l'homme bafouée par les Lumières » (octobre 2014)
Jean de Baulhoo, Livret de poésie de France, « Le vieux combattant » (2012)

======================================================================================
Après l’hiver

N’attendez pas de moi que je vais vous donner
Des raisons contre Dieu que je vois rayonner ;
La nuit meurt, l’hiver fuit ; maintenant la lumière,
Dans les champs, dans les bois, est partout la première.
Je suis par le printemps vaguement attendri.
Avril est un enfant, frêle, charmant, fleuri ;
Je sens devant l’enfance et devant le zéphyre
Je ne sais quel besoin de pleurer et de rire ;
Mai complète ma joie et s’ajoute à mes pleurs.
Jeanne, George, accourez, puisque voilà des fleurs.
Accourez, la forêt chante, l’azur se dore,
Vous n’avez pas le droit d’être absents de l’aurore.
Je suis un vieux songeur et j’ai besoin de vous,
Venez, je veux aimer, être juste, être doux,
Croire, remercier confusément les choses,
Vivre sans reprocher les épines aux roses,
Être enfin un bonhomme acceptant le bon Dieu.

Ô printemps ! bois sacrés ! ciel profondément bleu !
On sent un souffle d’air vivant qui vous pénètre,
Et l’ouverture au loin d’une blanche fenêtre ;
On mêle sa pensée au clair-obscur des eaux ;
On a le doux bonheur d’être avec les oiseaux
Et de voir, sous l’abri des branches printanières,
Ces messieurs faire avec ces dames des manières.

VICTOR HUGO

***************

Qu'est-ce qu'une famille ?
Extrait d'un entretien avec Fabrice Hadjadj, paru dans Famille Chrétienne n° 1915 du 27 septembre 2014.
            Comment démontrer que le soleil brille, que l'eau mouille, que le monde extérieur existe ? Il en va de même avec la famille. Elle est issue de la dualité et de la fécondité sexuelle : la vie vient de là. Comment prouver qu'elle est bonne pour la vie ? C'est une évidence. On ne démontre pas ce qui est premier, seulement ce qui est second. Et voilà ce qui arrive : ce qui est second finit par cacher ce qui est premier, comme l'édifice cache ses fondations. On peut facilement montrer qu'un enfant a besoin d'éducateurs, mais il est difficile de montrer qu'il a besoin d'un père et d'une mère, car avoir à le montrer, c'est commencer à être aveugle. De même, il est très difficile d'argumenter pour expliquer que l'homme vient d'un homme et d'une femme : ça n'a pas à être expliqué, c'est un donné initial.
            La vanité cependant nous fait préférer nos explications aux évidences, ce que nous avons construit à ce qui nous est donné. Nous nous enorgueillissons de nos lampes de poche, et nous ne rendons plus grâce pour la lumière du soleil.

***************

Avril
Déjà les beaux jours, - la poussière,
Un ciel d’azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ; -
Et rien de vert : - à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !
Ce beau temps me pèse et m’ennuie.
- Ce n’est qu’après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose
Qui, souriante, sort de l’eau.

Gérard de Nerval, Odelettes

***************

Xavier Martin, « La dignité de l'homme bafouée par les Lumières »
Professeur émérite à l’Université d’Angers, Xavier Martin est un spécialiste de l’époque révolutionnaire. Ses travaux apportent un éclairage nouveau sur la vision de l’homme développée par les philosophes des ­Lumières. Il vient de publier Naissance du sous-homme au cœur des Lumières : les races, les femmes, le peuple (DMM).
Extraits d'un entretien paru dans Famille Chrétienne n° 1916 du 4 octobre 2014.
            Les Lumières, dit-on, auraient exalté l’homme, et même à l’excès. Or c’est le contraire. Elles nient qu’il ait une âme. Elles le réduisent à la matière, au corporel, et lui dénient la liberté (une pure « chimère » selon Voltaire, « un mot vide de sens » aux yeux de Diderot). Elles lui attribuent un comportement purement mécanique : « C’est la roue mue par un torrent », dit Helvétius. « Nous sommes de pures machines », aime répéter Voltaire, qui définira l’homme comme « cette machine qui a, je ne sais comment, la faculté d’éternuer par le nez et de penser par la cervelle ». Sous la Révolution, le médecin Cabanis, héritier des Lumières et spécialiste de la science de l’homme, dira que « le cerveau sécrète les idées comme le foie sécrète la bile », etc. Bref, en ce domaine, les idées reçues sont fort inexactes.
            Cette réduction de l'image de l'homme vient dun excès d’enthousiasme scientiste, donc antireligieux. Les sciences de la matière, alors en plein essor, devraient bientôt – croient ces auteurs – tout expliquer par des formules simples. Tout expliquer ? Y compris l’homme, au premier chef, qu’il faut ipso facto réduire à la matière, c’est-à-dire amputer de sa dimension spirituelle, non mathématisable. D’où le radical antichristianisme des « philosophes ».
Leur vision de l’homme est le négatif de celle que propage la Genèse. Ce texte suscite l’horreur des Lumières. Voltaire évoque « toutes les dégoûtantes rêveries dont la grossièreté juive a farci cette fable », considérant que l’Esprit Saint (apparemment mal conseillé) s’y « conforme dans chaque ligne aux idées les plus grossières du peuple le plus grossier ».
            Les conséquences sur l'homme de ce rejet de la Genèse sont toutes décisives. Négation, bien sûr, de la dimension spirituelle de l’homme et de sa ­relation à un Dieu personnel – autrement dit : de ce qui fonde sa dignité. L’idée de l’homme image de Dieu est spécialement insupportable à ces auteurs.
Négation, du même coup, de la congénitale ­fraternité de tous les hommes. Chose stupéfiante : on crédite les Lumières d’avoir professé (sinon inventé !) l’idée d’unité du genre humain, alors qu’elles ont nié sans détour cette idée, comme un enfantillage issu du christianisme.
Négation, encore, de la vocation des deux sexes à une harmonieuse complémentarité. Pour ce courant, homme et femme sont comme étrangers l’un à l’autre. Voltaire parle même de « l’espèce femelle ». Moyennant quoi, les relations entre les sexes ne sont qu’un pur rapport de force.
Négation, enfin, d’une radicale frontière entre l’humanité et l’animalité. « L’homme et l’animal ne sont que des machines de chair », écrit Diderot, qui avance aussi – notable formule, habilement vicieuse – que « tout animal est plus ou moins homme ». (...)
             Le contresens sur les Lumières est on ne peut plus actuel : chacun voit bien qu’il est une pièce majeure de notre univers mental ordinaire, médiatico-académique. Paradoxe lourd : c’est au nom des Lumières, matrice réelle du vrai racisme doctrinal, que l’on dénonce continûment divers « racismes » volontiers imaginaires. C’est tout de même un peu fort !
Ensuite, toutes les audaces « bioéthiques » que nous vivons viennent en droite ligne du scientisme des Lumières. Sous l’incertaine pellicule des « droits de l’homme », la science médicale des XIXe et XXe siècles a relayé et amplifié ledit scientisme réducteur (qui est le noyau de l’idéologie nationale-socialiste), pour demeurer au cœur des « avancées » bioéthiques de notre temps.
Ensuite encore, le féminisme radical, dont nous constatons la vitalité, nous semble bien une réaction trop naturelle à la violente misogynie doctrinale que nous lègue aussi l’esprit des Lumières. (...)
            Pour les Lumières, à strictement parler, il n’est pas d’essences proprement humaine, masculine, féminine, familiale, pas de naturelle harmonie des sexes, il est seulement des « animaux » (individuels) « qu’on appelle hommes » (Diderot, Voltaire aiment dire ainsi). Et de toute façon le législateur, bon héritier de ces derniers, décide à sa guise du bien et du mal, et recompose comme ça lui chante les liens interindividuels.

***************

Le vieux combattant

Un sol de terre battue
Et la mer des bateaux
Des pêcheurs de morue ;

Des coiffes blanches de dentelle
Brodées de mains menues
S'élevant vers le ciel,

Et pour combattre l'oubli,
Dans le granit gravé,
Lavé de vent de pluie,

Les noms des corps percés
Baïonnettes par devant
Dans la boue des tranchées ;

Pour servir la patrie,
Le combat refusé,
Trop jeune pour le maquis ;

Le pays relevé,
Par tant de ses enfants
La terre abandonnée ;

Devant la pandémie
Du peuple défiguré,
Comme un lion il rugit,

Noble et fière sentinelle
De la mémoire perdue,
L'unique gardien fidèle

Vilement combattu,
Porte haut le flambeau
De la France du refus.


Jean de Baulhoo, Livret de poésie de France, 2012