jeudi 27 février 2014

Textes lus lors de notre 31ème veillée - 27 février 2014

Si vous le souhaitez, vous pouvez lire notre page en écoutant de la musique
(fichier téléchargeable)

La décadence d'une société commence quand l'homme se demande :
« Que va-t-il arriver ? » au lieu de se demander : « Que puis-je faire ? »
DENIS DE ROUGEMONT
                         

À l'occasion de l'examen, en mars prochain, d'une guérison « inexplicable » attribuée du bienheureux Jerzy Popieluszko, martyr de la foi, nos deux premières veillées de l'année 2014 seront consacrées à l'aumônier du syndicat Solidarnosc, assassiné à 37 ans, le 19 octobre 1984, et au thème de la Vérité.

Jerzy Popieluszko, Sermons pour la patrie, « Pour demeurer libre dans l'âme, il faut vivre dans la vérité » (octobre 1982)
Karol Wojtyla, Quand je pense : Patrie (extraits) (1979)
Jerzy Popieluszko, Sermons pour la patrie, « L'Amour et la Vérité, on peut les crucifier, mais il est impossible de les tuer » (janvier-juin 1983)
« Hymne aux veilleurs » (2013)

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« Pour demeurer libre dans l’âme, il faut vivre dans la vérité »

Extraits d'une homélie prononcée en octobre 1982 par le P. Jerzy Popieluszko.

            Pour demeurer libre dans l’âme, il faut vivre dans la vérité. Vivre dans la vérité, c’est donner la vérité des témoignages, c’est la revendiquer et la reconnaître dans toute situation. La vérité est immuable. On ne peut détruire la vérité par des décisions ou des décrets. L’esclavage pour nous consiste justement en ceci : que nous nous soumettions au règne du mensonge chaque jour. Nous ne protestons pas, nous nous taisons, ou bien nous faisons semblant d’y croire. Alors, nous vivons dans le mensonge. Le témoignage courageux de la vérité est un chemin qui mène directement à la liberté. L’homme qui témoigne de la vérité est un homme libre même dans des conditions extérieures d’esclavage, même dans un camp, dans une prison. Le problème essentiel pour la libération de l’homme et de la Nation est de surmonter la peur. Car la peur naît de la menace. Nous surmontons la peur, lorsque nous acceptons la souffrance ou la perte de quelque chose au nom de valeurs supérieures. Si la vérité devient pour nous une valeur pour laquelle nous acceptons de souffrir, de prendre des risques, alors nous surmontons la peur qui est la cause directe de notre esclavage.
            « La peur est le plus grand manquement de l’apôtre… Elle serre le cœur et rétrécit la gorge. Celui qui se tait face aux ennemis de la bonne cause, les enhardit… Forcer au silence par la peur, telle est la première tâche dans la stratégie impie… Le silence a son sens apostolique uniquement quand je ne détourne pas mon visage devant ceux qui me frappent… » (Cardinal Stephan Wyszynski)
            Je voudrais répondre à tous ceux qui souffrent en terre polonaise et je désire m’adresser d’ici aux autorités de la République populaire de Pologne, pour que ces larmes cessent. La société polonaise, ma nation, ne mérite pas d’être poussée aux larmes du désespoir et de l’abattement. Oui, une nation qui a tellement souffert dans son passé récent, ne mérite pas que beaucoup, parmi les meilleurs de ses fils et filles, séjournent dans les camps et les prisons ; elle ne mérite pas que sa jeunesse soit malmenée et battue, que le crime de Caïn soit commis. Elle ne mérite pas qu’on la prive, contre sa volonté, du syndicat Solidarité.

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Quand je pense : Patrie

« La liberté faut-il toujours la conquérir, ne peut-on simplement la posséder ?
Elle nous vient comme un don, mais se maintient par la lutte.
[…] La liberté, tu la paies de toute ta personne. C’est pourquoi tu appelleras liberté
celle qui, alors que tu la paies, te permet d’être toujours de nouveau en possession de toi-même.
[…]
Quand je pense : Patrie, je cherche la voie qui coupe les flancs de la montagne comme un courant de haute tension sur les hauteurs.
Ainsi la patrie court, abrupte, en chacun de nous, ne permettant nul arrêt. La voie parcourt les mêmes versants, elle retourne vers les mêmes lieux, elle devient ce très grand silence, qui visite soir après soir les poumons las de ma terre…
[…]
L’histoire étend sur la lutte des consciences une couche d’événements.
Dans cette couche, vibrent victoires et défaites.
L’histoire ne les recouvre pas, elle les fait même ressortir
[…]
Faible est le peuple s’il accepte sa défaite,
quand il oublie qu’il reçut la mission de veiller
jusqu’à ce que vienne son heure.
Car, sur l’immense cadran de l’histoire, les heures viennent toujours.
Voici la liturgie de l’histoire. La veille est parole du Seigneur et parole du Peuple,
que nous accueillons toujours à nouveau.
Les heures deviennent psaume de conversion à n’en pas finir :
nous sommes en marche pour prendre part à l’Eucharistie des mondes.

Terre, nous descendons vers toi, pour te dilater en tout homme – terre de nos défaites et de nos victoires, qui monte dans tous les cœurs en un mystère pascal.
Ô Terre, qui ne cesses d’être une parcelle de notre temps.
Ayant appris la nouvelle espérance, nous allons traversant ce temps en quête d’une terre nouvelle. Et toi, nous t’élèverons, terre antique,
comme fruit de l’amour des générations,
amour qui a vaincu la haine. »

Karol Wojtyla, Quand je pense : Patrie (1979)

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« L’Amour et la Vérité, on peut les crucifier,
mais il est impossible de les tuer »

Extraits d'homélies prononcées entre janvier et juin 1983 par le P. Jerzy Popieluszko.

            « Une nation possédant une tradition chrétienne millénaire, aspirera toujours à la pleine liberté. Car il est impossible de combattre cette aspiration par la contrainte, puisque la contrainte est la force de celui qui ne possède pas la vérité. Il est possible de plier l’homme par la contrainte, mais non pas de le rendre esclave. Un Polonais qui aime Dieu et la Patrie se relèvera de toute humiliation, car il ne s’agenouille que devant Dieu. »
            « Des femmes emprisonnées à Fordon écrivent : « Nous voulons la liberté, mais pas à tout prix. Pas au prix du renoncement à notre idéal, pas aux prix de la trahison envers nous-mêmes et ceux qui nous font confiance… »
            « L’Amour et la Vérité, on peut les crucifier, mais il est impossible de les tuer. Là-bas, sur la Croix, la Vérité et l’Amour ont triomphé du mal, de la haine, de la mort. La Nation veut que la concorde ne soit pas une capitulation, un renoncement aux idéaux, aux aspirations. »
« Prions pour ceux qui se vendent au service du mensonge, de l’injustice, de la contrainte : qu’ils comprennent leur humiliation ! »
            « Là où il y a l’injustice, là où il y a la contrainte, le mensonge, la haine, le non-respect de la dignité humaine, là font défaut l’amour, le cœur, le désintéressement, le renoncement. Or sans ces valeurs, ne l’oublions pas, il est difficile de donner au travail son vrai sens, il est difficile de sortir le pays d’une crise. Mais l’amour doit aller de pair avec le courage. »
(Et de se citer le Cardinal Wyszinsky) : « Malheur à la société dont les citoyens ne se conduisent pas avec courage ! Ils cessent alors d’être citoyens pour devenir de simples esclaves ! C’est le courage qui transforme les gens en citoyens, car l’homme courageux est conscient de ses droits dans la société et des devoirs qui lui incombent. Si le citoyen renonce au courage, il se nuit à lui-même, il nuit à sa personnalité humaine, à sa famille, à son groupe professionnel, à sa Nation, à l’État et à l’Église, même s’il est manipulé par peur et frayeur, pour le pain et d’autres avantages. Malheur aux gouvernants qui veulent conquérir le citoyen au prix de la peur et de la frayeur de l’esclave. Alors ce ne sont plus des hommes qu’ils gouvernent, mais, excusez le mot, des choses. »
            « Longtemps résonneront dans nos oreilles les paroles du Saint Père à Cracovie : «  Vous devez être forts de la force de la foi. Vous devez être forts de la force de l’espoir, vous devez être forts de la force de l’amour, de l’amour qui supporte tout… La Nation en tant que communauté humaine est appelée à la victoire, à la victoire par la force de la foi, de l’espoir, de l’amour, par la force de la vérité, de la liberté, de la justice. »

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Hymne aux veilleurs

Il y eut un souffle puis un feu vacillant,
Il y eut un cri noir puis une nuit sans étoiles,
Il y eut un pouvoir puis des cœurs que l’on voile,
Et l’injustice revint vieille de mille ans.

Dans cette tempête l’homme impuissant se tait,
Se laissant bercer, las, dans les flots mensongers.
Et la flamme fragile au milieu des dangers,
Disparaît sans un bruit dans les âmes fouettées.

Combien de temps encor serons nous ignorés ?
Combien faut-il de braises pour être brasier ?
Que fait la justice pour les corps suppliciés ?
Et toi, où t’endors-tu, Vérité adorée ?

C’est alors qu’il survient, debout, raide et sublime,
Le regard vers les cieux, cherchant l’ultime braise,
Ce Prométhée nouveau du haut de sa falaise
Devient humble veilleur, éclairant les abîmes.

Et c’est ainsi, France, que tes villes renaissent
Derrière le guide qui jamais ne s’enfuit,
Et c’est ainsi, Monde, que ta haine s’enfouit
Grâce au veilleur d’amour qui jamais ne délaisse.

Un fleuve lumineux s’est remis à couler,
Et sur ses rives d’or les hommes se relèvent,
Veilleurs, Veilleuses, un grand vent vient et se lève,
Il porte avec lui le parfum des révoltés.