jeudi 3 juillet 2014

Textes lus lors de notre 38ème veillée - 3 juillet 2014

Si vous le souhaitez, vous pouvez lire notre page en écoutant de la musique
(fichier téléchargeable)

Les gouvernements ont pour vocation de servir l'hommes.
ALEXANDRE SOLJENITSYNE
                         
Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, « De la nouvelle idole » (1883)
Khalil Gibran, Le Prophète, « Enfants » (1923)
Jules Ferry, Lettre aux instituteurs (17 novembre 1883)
Nérée Beauchemin, Les Floraisons matutinales, « Épithalame » (1897)

======================================================================================
Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, « De la nouvelle idole »

Il y a quelque part encore des peuples et des troupeaux, mais ce n'est pas chez nous, mes frères : chez nous il y a des États.
L'État ? Qu'est-ce cela ? Allons ! ouvrez les oreilles, je vais vous parler de la mort des peuples.
L'État, c'est le plus froid de tous les monstres froids. Il ment froidement, et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : « Moi, l'État, je suis le Peuple. » C'est un mensonge ! Ils étaient des créateurs ceux qui créèrent les peuples et qui suspendirent au-dessus des peuples une foi et un amour : ainsi ils servaient la vie.
Ce sont des destructeurs ceux qui tendent des pièges au grand nombre et qui appellent cela un État : ils suspendent au-dessus d'eux un glaive et cent appétits.
Partout où il y a encore du peuple, il ne comprend pas l'État et il le déteste comme le mauvais œil et une dérogation aux coutumes et aux lois. Je vous donne ce signe : chaque peuple a son langage du bien et du mal : son voisin ne le comprend pas. Il s'est inventé ce langage pour ses coutumes et ses lois.
Mais l'État ment dans toutes ses langues du bien et du mal ; et, dans tout ce qu'il dit, il ment - et tout ce qu'il a, il l'a volé. Tout en lui est faux ; il mord avec des dents volées, le hargneux. Même ses entrailles sont falsifiées.
Une confusion des langues du bien et du mal - je vous donne ce signe, comme le signe de l'État. En vérité, c'est la volonté de la mort qu'indique ce signe, il appelle les prédicateurs de la mort ! Beaucoup trop d'hommes viennent au monde : l'État a été inventé pour ceux qui sont superflus !
Voyez donc comme il les attire, les superflus ! Comme il les enlace, comme il les mâche et les remâche !
« Il n'y a rien de plus grand que moi sur la terre je suis le doigt ordonnateur de Dieu » - ainsi hurle le monstre. Et ce ne sont pas seulement ceux qui ont de longues oreilles et la vue basse qui tombent à genoux !
Hélas, en vous aussi, ô grandes âmes, il murmure ses sombres mensonges ! Hélas, il devine les cœurs riches qui aiment à se répandre !
Certes, il vous devine, vous aussi, vainqueurs du Dieu ancien ! Le combat vous a fatigués et maintenant votre fatigue se met au service de la nouvelle idole !
Elle voudrait placer autour d'elle des héros et des hommes honorables, la nouvelle idole! Il aime à se chauffer au soleil de la bonne conscience, le froid monstre !
Elle veut tout vous donner, si vous l'adorez, la nouvelle idole : ainsi elle s'achète l'éclat de votre vertu et le fier regard de vos yeux. Vous devez lui servir d'appât pour les superflus ! Oui, c'est l'invention d'un tour infernal, d'un coursier de la mort, cliquetant dans la parure des honneurs divins !
Oui, c'est l'invention d'une mort pour le grand nombre, une mort qui se vante d'être la vie, une servitude selon le cœur de tous les prédicateurs de la mort !
L'État est partout où tous absorbent des poisons, bons et mauvais : l'État, le lieu où tous se perdent eux-mêmes, les bons et les mauvais : l'État, le lieu où le lent suicide de tous s'appelle - « la vie ».
Voyez donc ces superflus ! Ils volent les œuvres des inventeurs et les trésors des sages : ils appellent leur vol civilisation - et tout leur devient maladie et revers !
Voyez donc ces superflus ! Ils sont toujours malades, ils rendent leur bile et appellent cela des journaux. Ils se dévorent et ne peuvent pas même se digérer.
Voyez donc ces superflus! Ils acquièrent des richesses et en deviennent plus pauvres. Ils veulent la puissance et avant tout le levier de la puissance, beaucoup d'argent, - ces impuissants !
Voyez-les grimper, ces singes agiles ! Ils grimpent les uns sur les autres et se poussent ainsi dans la boue et dans l'abîme.
Ils veulent tous s'approcher du trône : C'est leur folie, - comme si le bonheur était sur le trône ! Souvent la boue est sur le trône - et souvent aussi le trône est dans la boue.
Ils m'apparaissent tous comme des fous, des singes grimpeurs et impétueux. Leur idole sent mauvais, ce froid monstre : ils sentent tous mauvais, ces idolâtres.
Mes frères, voulez-vous donc étouffer dans l'exhalaison de leurs gueules et de leurs appétits ! Cassez plutôt les vitres et sautez dehors. Évitez donc la mauvaise odeur ! Éloignez-vous de l'idolâtrie des superflus. Évitez donc la mauvaise odeur ! Éloignez-vous de la fumée de ces sacrifices humains !
Maintenant encore les grandes âmes trouveront devant elles l'existence libre. Il reste bien des endroits pour ceux qui sont solitaires ou à deux, des endroits où souffle l'odeur des mers silencieuses. Une vie libre reste ouverte aux grandes âmes. En vérité, celui qui possède peu est d'autant moins possédé : bénie soit la petite pauvreté !
Là où finit l'État, là seulement commence l'homme qui n'est pas superflu : là commence le chant de la nécessité, la mélodie unique, à nulle autre pareille.
Là où finit l'État, - regardez donc mes frères ! - ne voyez-vous pas l'arc-en-ciel et le pont du Surhumain ?
Ainsi parlait Zarathoustra.

***************

Khalil Gibran, Le Prophète, « Enfants »

Et une femme qui tenait un bébé contre son sein dit : "Parle-nous des enfants".

Alors il répondit :

"Vos enfants ne sont pas vos enfants.

Ils sont les fils et les filles de la Vie qui a soif de vivre encore et encore.

Ils voient le jour à travers vous mais non pas à partir de vous,

Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne sont pas à vous.

Vous pouvez leur donner votre amour mais non vos pensées.

Car ils pensent par eux-mêmes.

Vous pouvez accueillir leurs corps mais non leurs âmes,

Car leurs âmes habitent la demeure de demain, que vous ne pouvez visiter, même dans vos rêves.

Vous pouvez vous évertuer à leur ressembler, mais ne tentez pas de les rendre semblables à vous.

Car la vie ne va pas en arrière ni ne s'attarde avec hier.

Vous êtes les arcs par lesquels sont projetés vos enfants comme des flèches vivantes.

L'Archer prend pour ligne de mire le chemin de l'infini, et vous tend de toute Sa puissance pour que Ses flèches s'élancent avec vélocité et à perte de vue.

Et lorsque Sa main vous ploie, que ce soit alors pour la plus grande joie ;

Car de même qu'Il aime la flèche qui fend l'air, Il aime l'arc qui ne tremble pas."

***************

Jules Ferry, Lettre aux instituteurs

            J'ai dit que votre rôle en matière d'éducation morale est très limité. Vous n'avez à enseigner à proprement parler rien de nouveau, rien qui ne vous soit familier comme à tous les honnêtes gens. Et quand on vous parle de mission et d'apostolat, vous n'allez pas vous y méprendre : vous n'êtes point l'apôtre d'un nouvel évangile ; le législateur n'a voulu faire de vous ni un philosophe, ni un théologien improvisé. Il ne vous demande rien qu'on ne puisse demander à tout homme de cœur et de sens. Il est impossible que vous voyiez chaque jour tous ces enfants qui se pressent autour de vous, écoutant vos leçons, observant votre conduite, s'inspirant de vos exemples, à l'âge où l'esprit s'éveille, où le cœur s'ouvre, où la mémoire s'enrichit, sans que l'idée vous vienne aussitôt de profiter de cette docilité, de cette confiance, pour leur transmettre, avec les connaissances scolaires proprement dites, les principes mêmes de la morale, j'entends simplement de cette bonne et antique morale que nous avons reçue de nos pères et que nous nous honorons tous de suivre dans les relations de la vie sans nous mettre en peine d'en discuter les bases philosophiques.

            Vous êtes l'auxiliaire et, à certains égards, le suppléant du père de famille ; parlez donc à son enfant comme vous voudriez que l'on parlât au vôtre ; avec force et autorité, toutes les fois qu'il s'agit d'une vérité incontestée, d'un précepte de la morale commune ; avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d'effleurer un sentiment religieux dont vous n'êtes pas juge.

            Si parfois vous étiez embarrassé pour savoir jusqu'où il vous est permis d'aller dans votre enseignement moral, voici une règle pratique à laquelle vous pourrez vous tenir : avant de proposer à vos élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s'il se trouve, à votre connaissance, un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu'il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment, car ce que vous allez communiquer à l'enfant, ce n'est pas votre propre sagesse, c'est la sagesse du genre humain, c'est une de ces idées d'ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l'humanité. Si étroit que vous semble, peut-être, un cercle d'action ainsi tracé, faites-vous un devoir d'honneur de n'en jamais sortir, restez en deçà de cette limite plutôt que de vous exposer à la franchir : vous ne toucherez jamais avec trop de scrupule à cette chose délicate et sacrée, qui est la conscience de l'enfant.
Mais une fois que vous vous êtes ainsi loyalement enfermé dans l'humble et sûre région de la morale usuelle, que vous demande-t-on ? Des discours ? Des dissertations savantes ? De brillants exposés, un docte enseignement ? Non, la famille et la société vous demandent de les aider à bien élever leurs enfants, à en faire des honnêtes gens. C'est dire qu'elles attendent de vous non des paroles, mais des actes, non pas un enseignement de plus à inscrire au programme, mais un service tout pratique que vous pourrez rendre au pays plutôt encore comme homme que comme professeur.

***************

Nérée Beauchemin (1850-1931).
Recueil : Les floraisons matutinales (1897).

Épithalame.

À M. et Mme Alide Lacerte.

Quand on s'aime on se marie :
Il prend fin, l'enchantement
D'une vague rêverie.
Quand on s'aime on se marie :
La vie à deux, c'est charmant.

Longtemps on hésite, on n'ose ;
La voix, les lèvres, les yeux,
Malgré soi disent la chose.
Longtemps on hésite, on n'ose.
Silence délicieux !

On se comprend sans rien dire.
Le plus fin pinceau de l'Art
Ne peut rendre ni décrire
Tout ce qu'exprime un sourire,
Tout ce qu'exprime un regard.

Bref, il faut dire, à l'église,
Le cher secret inouï.
Peur naïve ! gêne exquise !
Pour que nul ne s'en dédise,
Au prêtre il faut dire oui.

Au mot sacré qu'on prononce,
Dans les cœurs, comme un duo,
Vibre une même réponse.
Au clair oui franc qu'on prononce,
Les cœurs tout bas font écho.

Quand on s'aime, on se marie :
La vie à deux, c'est si doux.
Mon cher, aime ta chérie :
Bon cœur jamais ne varie.
Cher tendre couple, aimez-vous.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire