vendredi 12 juin 2015

Textes lus lors de notre 47ème veillée - 12 juin 2015

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« Il ne faut jamais capituler. »
CHARLES PÉGUY
                         
« Hymne aux veilleurs » (2013)
Frédéric Guillaud, « Le nouvel ordre mondial » (avril 2015)
Marie Jenna, « L'enfant et l'oiseau » (1896, posth.)
Charles-Henri d'Andigné, « La famille, îlot de résistance » (23 mars 2015)

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Hymne aux veilleurs

Il y eut un souffle puis un feu vacillant,
Il y eut un cri noir puis une nuit sans étoiles,
Il y eut un pouvoir puis des cœurs que l’on voile,
Et l’injustice revint vieille de mille ans.

Dans cette tempête l’homme impuissant se tait,
Se laissant bercer, las, dans les flots mensongers.
Et la flamme, fragile au milieu des dangers,
Disparaît sans un bruit dans les âmes fouettées.

Combien de temps encor serons nous ignorés ?
Combien faut-il de braises pour être brasier ?
Que fait la justice pour les corps suppliciés ?
Et toi, où t’endors-tu, Vérité adorée ?

C’est alors qu’il survient, debout, raide et sublime,
Le regard vers les cieux, cherchant l’ultime braise,
Ce Prométhée nouveau du haut de sa falaise
Devient humble veilleur, éclairant les abîmes.

Et c’est ainsi, France, que tes villes renaissent
Derrière le guide qui jamais ne s’enfuit,
Et c’est ainsi, Monde, que ta haine s’enfouit
Grâce au veilleur d’amour qui jamais ne délaisse.

Un fleuve lumineux s’est remis à couler,
Et sur ses rives d’or les hommes se relèvent,
Veilleurs, Veilleuses, un grand vent vient et se lève,
Il porte avec lui le parfum des révoltés.

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« Le nouvel ordre mondial »
Tribune parue dans Valeurs actuelles du 16 avril 2015.
Frédéric Guillaud est essayiste. Dernier ouvrage paru : Dieu existe (Cerf, 2013).

On connaissait les agences matrimoniales. Il faut compter désormais avec les agences antimatrimoniales qui font — par voie d’affiches — la promotion commerciale de l’adultère. Si vous protestez contre cette incitation publique à la destruction des familles, on vous répondra que, l’adultère n’étant plus un délit pénal depuis 1975, votre contestation n’a aucune valeur, puisqu’elle ne relève pas du droit mais de la morale. “Morale”… le mot est lâché. Et il vaut condamnation. Il va en effet de soi, selon l’idéologie dominante, que la morale n’a pas droit de cité. C’est ce que les philosophes nomment pompeusement la “neutralité axiologique” du régime moderne. Ou encore sa “laïcité morale”.
     Être laïque, à les en croire, ce n’est plus seulement mettre entre parenthèses toute conviction religieuse, c’est suspendre aussi toute prise de position sur le bien et le mal. Dans ce contexte, tout contrevenant est traité comme un paternaliste, un réactionnaire, un partisan de l’“ordre moral”, autrement dit comme un danger public. Mais les choses ne sont pas si simples. Car, dans le même temps, les mille bouches de la parole publique ne cessent de nous faire la leçon, de nous tancer, de nous menacer, sur le ton qu’avaient jadis les chaisières et les pères-la-pudeur. Les listes s’allongent de ce qu’il ne faut pas faire, pas dire, pas même laisser entendre.

La vérité est qu’il existe un nouvel ordre moral, qui consiste en l’inversion systématique de l’ordre moral dont on évoque si souvent l’improbable retour. Soyons directs : depuis deux cents ans, les dix commandements ont été méthodiquement démantelés. Au nom de quoi ? Au nom des nouvelles tables de la loi, qui ne comprennent qu’un article : vous êtes comme des dieux. C’est la phrase du serpent dans la Genèse. L’ordre nouveau part en effet du principe que l’homme n’a pas de nature, pas de fins spécifiques, qu’il est une pure liberté autocréatrice. La seule valeur morale, dans un tel système, est donc le respect pour les caprices du désir. Et le seul crime, le refus de s’incliner devant ce relativisme radical. Quant à la politique, elle se trouve réduite à l’arrangement de procédures juridiques de plus en plus tarabiscotées pour faire tenir ensemble ce chaos de pulsions contradictoires.
     Évidemment, le problème de ces nouvelles tables de la loi, c’est qu’elles conduisent au malheur. Pourquoi ? Parce qu’elles sont fondées sur un gros mensonge. L’homme n’est pas Dieu. L’homme n’est pas autocréateur. L’homme a une nature, qui définit les conditions de son épanouissement véritable. Au contact de nos pulsions désordonnées, ces conditions prennent la figure de normes contraignantes, mais elles ne sont rien d’autre que la clé du bonheur. De même qu’il est désagréable d’arrêter de fumer, il est difficile de cesser une mauvaise conduite, mais on finit toujours par s’en féliciter.

Une société ne peut pas impunément faire comme si la nature humaine n’existait pas. Car la nature demeure, et se venge. Tout le monde sait, par exemple, que le divorce est un fléau social, moral et psychologique. En particulier pour les enfants. Sur ce point comme sur tant d’autres, la science et l’expérience confirment la sagesse des nations. Il est donc insensé pour un corps social de faire ouvertement la promotion de comportements qui, statistiquement, risquent de conduire au divorce. Pour le penser, il n’est pas nécessaire d’être un saint sur ce chapitre ni de vouloir lapider l’adultère. Qui jetterait la première pierre ? Il suffit de savoir que la chair est faible et de réfléchir au bien commun.
            C’est pourquoi, sans jouer les bégueules ni vouloir percer le secret des alcôves, on a bien raison de contester la promotion publique et commerciale de l’adultère. Le cœur a ses passions, ses aventures, ses intermittences. À tout péché miséricorde — et le secret par-dessus. Mais la société a des droits. Il faut les défendre.

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Marie Jenna, « L’enfant et l’oiseau »

Marie Jenna est le nom de plume de la poétesse mystique Céline-Marie Renard (1834-1887), native de Bourbonne-les-Bains.

Petit oiseau, je t’écoute,
Ils sont jolis, tes refrains !
Viens te poser sur ma route.
Quoi ! je t’aime... et tu me crains !

Mais vois ! je n’ai point de cage...
Joyeux, je te donnerais
Un baiser sur ton plumage
Et puis... tu t’envolerais !

Viens donc pour que je sourie.
Le pauvre n’a d’autre jeu
Que les fleurs de la prairie
Et les oiseaux du bon Dieu.

Ne veux-tu pas qu’on t’embrasse ?
Moi, je me sens si joyeux
Lorsqu’une dame qui passe
Met ses doigts sur mes cheveux !

Ô mauvais cœurs qui sont cause,
Tant leurs desseins sont méchants !
Qu’aucun oiseau ne se pose
Auprès des petits enfants !

Un quart d’heure, un instant même,
Si dans ma main je t’avais,
Tu sentirais que je t’aime,
Et demain tu reviendrais.

S’élancer dans la lumière,
Au champ cueillir son repas,
Vivre sans toucher la terre,
Oh ! quel bonheur n’est-ce pas ?

Pour moi, si j’avais une aile,
Je saurais bien où voler.
Ma mère est aux cieux... près d’elle
Je voudrais tant m’en aller !

Tu gazouilles dès l’aurore.
Tu ne pleures jamais, toi !
Si ta mère vit encore,
Tu n’as pas besoin de moi.

Ah ! que je vais, petit frère,
Adorer d’un cœur pieux
Le Seigneur qui sait te faire
Si leste et si gracieux.

Mais sans m’entendre, il me quitte,
Et s’en va bien loin d’ici ;
Ô mon Dieu, que j’irais vite
À qui m’aimerait ainsi !

 
Recueilli dans Lecture à haute voix, par M. V. Delahaye, Beauchemin, 1896.

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La famille, îlot de résistance (FC n° 1941 du 28 mars 2015)
Individualisme forcené, égalitarisme, transhumanisme : le meilleur des mondes est en route… sauf si les familles se mettent en travers de tous ces « ismes ».
            « Nous allons inexorablement vers une humanité unisexe, sinon qu’une moitié aura des ovocytes et l’autre des spermatozoïdes, qu’ils mettront en commun pour faire naître des enfants, seuls ou à plusieurs, sans relation physique, et sans même que nul ne les porte. Sans même que nul ne les conçoive si on se laisse aller au vertige du clonage. » Le songe d’Attali, puisque ces lignes sont de lui (1), va-t-il devenir réalité ? Cette interrogation est au cœur du livre d’Éric Letty et Guillaume de Prémare (2). Le journaliste et l’ancien président de La Manif pour tous (2012-2013) ont uni leur plume et leur talent pour analyser le « meilleur des mondes », pour reprendre l’expression d’Aldous Huxley, que certains pensent inéluctable.
Ce meilleur des mondes est une utopie qui se veut souriante, tolérante, qui annonce bonheur, sécurité, et même immortalité. Elle exalte l’individu, qui se forge lui-même car il n’est rattaché à rien, ni tradition, ni famille, ni nation. L’homme du nouveau monde est libre de toute attache, de tout lien, de tout devoir, de tout engagement. On voit apparaître ces thèmes dans la littérature onusienne, par exemple le projet de Charte de la Terre.
            Les auteurs citent Mgr Schooyans : « Nous sommes en train de vivre une révolution anthropologique : l’homme n’est plus une personne, un être ouvert à autrui et à la transcendance ; il est un individu, voué à se choisir des vérités, à se choisir une éthique ; il est une unité de force, d’intérêt et de jouissance ». Ce point est fondamental, car si l’homme est réduit à ses propres forces et qu’il n’est plus protégé par rien, il est le jouet de forces qui le dépassent : l’État ou le consumérisme de masse. Il n’a plus rien à opposer aux pressions de son entourage et aux folies idéologiques du moment.
La nouvelle utopie exalte aussi l’égalité, sous la forme d’une négation acharnée des différences. Notamment dans la théorie du genre, dernier avatar de la lutte des sexes décrite par Engels au XIXe siècle. Celle-ci est en effet un simple décalque de la lutte des classes : « Dans la famille, écrivait le compagnon de Marx, l’homme est le bourgeois ; la femme joue le rôle du Prolétariat ». On retrouvera cette antienne dans la littérature féministe : l’homme exploite la femme comme le patron exploite l’ouvrier. La réponse des théoriciens du genre sera de rendre l’homme et la femme interchangeables. Ainsi on évitera toute « exploitation ». Et comme si tout cela ne suffisait pas, il y a les délires transhumanistes, autrement dit le rêve d’augmenter les capacités intellectuelles et physiques de l’homme, via les technologies informatiques ou cellulaires, et pourquoi pas, de vaincre la mort !
Toutes ces évolutions, certes, menacent l’homme dans son essence. Mais elles peuvent aussi, estiment les auteurs, être une opportunité : « Il semble de nouveau possible d’affirmer la valeur positive des repères, de l’identité et des normes structurantes ».
Ces repères, tout le monde en est demandeur. C’est là qu’intervient la famille, qui pourra, si elle est fidèle à elle-même, être un des meilleurs môles de résistance au rouleau compresseur postmoderne. C’est en effet en son sein que se nouent trois types de liens essentiels : conjugal, filial et fraternel ; c’est là que se transmettent la foi et les valeurs chrétiennes ; c’est là où « s’articulent la différence des sexes et la différence des générations ». Bref, c’est dans les familles, et nulle part ailleurs, que l’on fabrique l’homme de demain. Le meilleur des mondes n’est pas une fatalité…
Charles-Henri d'Andigné (23 mars 2015)
(1) J. Attali, Vers l'humanité unisexe (article paru le 29 janvier 2013).
(2) Eric Letty et Guillaume de Prémare, Résistance au meilleur des mondes, Éd. Pierre-Guillaume de Roux, 213 pages.