vendredi 17 octobre 2014

Textes lus lors de notre 45ème veillée - 17 octobre 2014

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« L'arc se rompt s'il est trop tendu,
mais l'âme se perd si elle se relâche. »
SAINT IGNACE DE LOYOLA
                         
Théophile Gautier, Émaux et Camées, « Ce que disent les hirondelles » (1852)
Jean-Pier Delaume-Myard, « Des enfants endoctrinés... » (8 mars 2014)
Jules Laforgue, « À la mémoire d'une chatte naine que j'avais » (1877)
Edith Stein, La femme (années 1930)
Théodore de Banville, Les Rondels, « La Lune » (1874)

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Ce que disent les hirondelles (extraits)

Déjà plus d’une feuille sèche
Parsème les gazons jaunis
;
Soir et matin, la brise est fraîche
:
Hélas
! les beaux jours sont finis!

On voit s’ouvrir les fleurs que garde
Le jardin, pour dernier trésor
:
Le dahlia met sa cocarde,
Et le souci sa toque d’or.

La pluie au bassin fait des bulles
;
Les hirondelles sur le toit
Tiennent des conciliabules
:
Voici l’hiver, voici le froid
!...
Je comprends tout ce qu'elles disent,
Car le poète est un oiseau ;
Mais, captif ses élans se brisent
Contre un invisible réseau !

Des ailes ! des ailes ! des ailes !
Comme dans le chant de Ruckert,
Pour voler, là-bas avec elles
Au soleil d'or, au printemps vert !

Théophile GAUTIER
ÉMAUX ET CAMÉES (1852)

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Des enfants endoctrinés par des théories féministes ne seront en rien des personnes libres…
Extraits du discours de Jean-Pier Delaume-Myard, Porte-Parole de La Manif Pour Tous, lors du Grenelle de la Famille, le 8 mars 2014.
« Cher(e)s ami(e)s, depuis le début de mon engagement, je n’ai eu de cesse de répéter que je suis homosexuel et pas gay. Si je précise de nouveau cela, à l’occasion du bilan de notre grenelle de la Famille, c’est que cette distinction n’est en rien une subtilité linguistique de ma part. Elle revêt une réalité qui est la cause de ce qui s’est passé hier aux États-Unis, ce qui se passe aujourd’hui en France, et ce qui se passera demain dans toute l’Europe, contre la Famille. Le lobby gay est déterminé à détruire, et peu importe les moyens, les institutions du mariage et de la famille ; aidé en cela par certains lobbies féministes, comme les femen, mais pas seulement.
Après la loi Taubira pour le mariage entre personnes de même sexe, voici que maintenant risque d’arriver les conséquences directes de celle-ci, la PMA et la GPA.
Le désir d'enfant, et je le sais, est une réalité sincère et douloureuse, mais nous homosexuels, nous n’avons pas à demander, pour autant, à la société de bricoler quelque chose pour transformer cette réalité-là
(...)
L’enfant n’a pas à être traité comme un cobaye. Il n’a pas à s'adapter à une dictature « homo-parentale ».
Le gouvernement, à force de vouloir faire des lois et des concessions pour le lobby gay, fait de l’apartheid non seulement vis-à-vis des autres citoyens, mais plus encore vis-à-vis des homosexuels eux-mêmes. Et je dis bien de l’apartheid, c’est-à-dire une politique ultra-minoritaire et communautariste à l’encontre d’une majorité de Français.
Pour faire croire qu’un homme avec un homme ou une femme avec une femme pouvait avoir un enfant, on nous impose l’idéologie du genre. On nous dit « Mensonge ! » lorsqu’on l’évoque.
Nous avons beau brandir « Papa porte une robe », « Tango a deux papas » ou bien encore « Jean a deux mamans », on nous dit que nous sommes d’affreux réactionnaires.
N’ayons pas peur de dire haut et fort que des enfants endoctrinés par des théories féministes ne seront en rien demain des personnes libres, mais des esclaves bien plus que le machisme qu’elles sont censées combattre.
Une Nation construite ainsi ne pourra adhérer qu’aux idées les plus ridicules et les plus aberrantes, et cela avec la même servilité.
J’aimerais faire une comparaison hasardeuse, mais en réalité je ne le pense pas.
Le 4 décembre 2013, la majorité a adopté une loi pénalisant les clients de prostitués.
Si la GPA passe au détour de la PMA, est-ce que le fait de se servir du corps d’une femme contre rémunération ne sera-t-il pas considéré comme un acte du coup répréhensible par la loi ?
Ce n’est pas seulement moi qui m’interroge ainsi, mais la ministre des droits de la femme elle-même quand elle a dit devant l’Assemblée nationale, je cite :
« La détresse de l’un ne se soigne pas par l’exploitation de la détresse de l’autre. Elle n’est jamais une justification… Depuis quand notre pays admettrait-il que la liberté aille au-delà de ce qui ne nuit pas à autrui ? Depuis quand privilégierions une souffrance par rapport à une autre ? Depuis quand le corps humain devrait-il être assimilé à un médicament ? Depuis quand se soignerait-on aux dépens d’une autre personne ? »
Pour une fois, vous avez raison, Madame la Ministre.
(...) Lorsque je vois que ce sont des femmes elles-mêmes qui veulent exploiter la misère d’autres femmes, je me dis : Dans quel monde vit-on ? Femmes réveillez-vous ! Indignez-vous, comme aurait dit Stéphane Hessel. »
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À la mémoire d'une chatte naine que j'avais

Ô Mon beau chat frileux, quand l’automne morose
Faisait glapir plus fort les mômes dans les cours,
Combien passâmes-nous de ces spleeniques jours
À rêver face à face en ma chambre bien close.

Lissant ton poil soyeux de ta langue âpre et rose
Trop grave pour les jeux d’autrefois et les tours,
Lentement tu venais de ton pas de velours
Devant moi t’allonger en quelque noble pose.

Et je songeais, perdu dans tes prunelles d’or
— Il ne soupçonne rien, non, du globe stupide
Qui l’emporte avec moi tout au travers du Vide,

Rien des Astres lointains, des Dieux ni de la Mort ?
Pourtant !... quels yeux profonds !... parfois... il m’intimide
Saurait-il donc le mot ? — Non, c’est le Sphinx encor.

Jules LAFORGUE

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Édith Stein & la femme
ÉDITH Stein, La femme. Cours et conférences.
Les conférences et le cours magistral d'Edith Stein sur le thème de la femme datent des années trente.
« Seul celui qu’une ardente passion pour le combat a aveuglé peut nier ce fait patent que le corps et l’âme de la femme sont formés en vue d’une fin particulière. Et la parole limpide et irréfutable de l’Ecriture exprime ce que l’expérience quotidienne enseigne depuis l’origine du monde, à savoir que la femme est destinée à être la compagne de l’homme et la mère des êtres humains. Son corps est doté des propriétés requises à cette fin, mais sa spécificité psychique est également à l’avenant. Qu’il existe cette spécificité psychique, c’est derechef un fait empirique évident ; mais cela découle aussi du principe anima forma corporis (l’âme est la forme du corps), posé par saint Thomas. Là où les corps sont de nature si radicalement différente, il doit forcément aussi exister – malgré tous les traits communs à la nature humaine – un type d’âme différent. »
« Je suis convaincue de ce que l’espèce humaine se déploie en tant qu’espèce binaire, l’"homme" et la "femme", que la nature de l’être humain, auquel aucun trait caractéristique ne saurait manquer ici comme là, se manifeste sous une forme binaire, et que toute sa constitution essentielle révèle son empreinte spécifique. Ainsi, ce n’est pas seulement le corps qui est constitué différemment, ce ne sont pas seulement les diverses fonctions physiologiques individuelles qui diffèrent, mais c’est toute la vie somatique qui est autre : autres, les rapports entre l’âme et le corps, autres, à l’intérieur du psychisme, les rapports entre l’esprit et les sens comme les rapports des facultés spirituelles entre elles. A l’espèce féminine correspondent l’unité et l’homogénéité de toute la personne somato-psychique, l’épanouissement harmonieux des facultés, tandis qu’à l’espèce masculine correspond le développement plus intense de quelques facultés en vue de leurs réalisations maximales. »
La femme éducatrice :
« L’amour authentiquement maternel, dans lequel l’enfant s’épanouit comme les plantes à la douce chaleur du soleil, sait que l’enfant n’est pas là pour la mère : ainsi, il n’est pas là comme un jouet pour meubler son temps vide, il n’est pas là pour assouvir sa soif de tendresse, il n’est pas là pour satisfaire sa vanité ou son ambition. L’enfant est une créature de Dieu, qui doit développer sa nature de la façon la plus pure et la plus épanouie qui soit, et qui doit la faire se mettre ensuite en action à sa place dans le grand organisme formé par l’humanité. C’est à la mère qu’il incombe de se mettre au service de son épanouissement, de se mettre en silence à l’écoute de sa nature, de la laisser se développer tranquillement là où il n’est pas nécessaire d’intervenir, et d’intervenir là où il est nécessaire de conduire et de réfréner. »
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Théodore de BANVILLE (1823-1891).
Recueil : Les Rondels (1874).

La Lune

Avec ses caprices, la Lune
Est comme une frivole amante ;
Elle sourit et se lamente,
Et vous fuit et vous importune.

La nuit, suivez-la sur la dune,
Elle vous raille et vous tourmente ;
Avec ses caprices, la Lune
Est comme une frivole amante.

Et souvent elle se met une
Nuée en manière de mante ;
Elle est absurde, elle est charmante ;
Il faut adorer sans rancune,
Avec ses caprices, la Lune.

vendredi 3 octobre 2014

Textes lus lors de notre 44ème veillée - 3 octobre 2014

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« Les victoires politiques se préparent
par des conquêtes culturelles. »
ANTONIO GRAMSCI
                         
François-Xavier Bellamy, « Au commencement est la culture » (août 2014)
Joachim Du Bellay, Regrets, IX, « France, mère des arts, des armes et des lois » (1558)
George Orwell, 1984, « La novlangue » (1949)
Théodore de Banville, Les Cariatides, « L'Automne » (1842)

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Au commencement est la culture
Chronique parue dans Famille Chrétienne du 9 août 2014, par François-Xavier Bellamy, philosophe et adjoint au maire de Versailles.
Ce n’est pas de la politique que viennent les révolutions, mais de la culture, c’est-à-dire de tout ce qui constitue le regard que nous portons collectivement sur le réel. N’est-ce pas ce que confirment nos expériences les plus récentes ? Pour que soit votée la loi Taubira, par exemple, il a fallu qu’une grande partie de nos contemporains en vienne à regarder le mariage comme un droit, par exemple ; ou à ne plus voir de différence significative entre un père et une mère. Car cette différence n’est pas tout à fait « élémentaire »…
L’erreur de la postmodernité est d’affirmer qu’il n’y a pas de vérité et, partant, de ne plus rien croire ; mais l’illusion contraire de ceux qui partagent des convictions fortes, c’est de penser qu’il y a des évidences – c’est-à-dire, littéralement, des réalités qui se font voir d’elles-mêmes. La réalité n’est pas une construction artificielle ; mais elle ne nous saute pas pour autant aux yeux : il faut pour la voir une culture qui nous ait appris à la contempler.
Une lente maturation
Que tous les hommes partagent une même nature et une égale dignité, voilà qui nous semble sans doute élémentaire. Mais cette incontestable vérité est si peu évidente qu’il aura fallu des siècles de maturation intellectuelle et spirituelle pour que les sociétés finissent par la découvrir. Aristote, pourtant si grand observateur, voyait entre hommes libres et esclaves des différences de nature ; la culture qui l’avait formé ne lui laissait même pas la possibilité d’en douter. Il fallait le stoïcisme, la révélation chrétienne, le travail des philosophes et des théologiens du Moyen Âge peu à peu absorbé par l’art et par les mœurs, pour aboutir finalement à l’abolition de l’esclavage.
Sans doute les politiques qui portèrent cette révolution pensaient-ils faire l’histoire ; ce qu’ils ne savaient pas, c’est qu’ils se contentaient de tenir la plume pour prendre acte de ce qui s’était joué avant eux. Car les vrais changements se gagnent, ou se perdent, dans le vaste, long et silencieux travail de la culture.
Le rôle de l’Église
Comme il est étonnant que nous l’ayons oublié ! Tout notre héritage nous le rappelle pourtant. Partout où l’Église est passée, elle a commencé par construire des écoles ; elle a inventé l’université, converti les fêtes, transmis pour les millénaires à venir le patrimoine artistique de l’humanité. Combien de missionnaires ont sauvé des langues locales en tentant de les habiter de l’universalité de l’Évangile ? Les chrétiens ont fait l’expérience que toute conversion commence par une parole – « Au commencement est le Verbe » –, et non l’action ; la culture, et non la politique. Comment l’avons-nous oublié ?
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Joachim Du Bellay (1522-1560).
Recueil : Les Regrets (1558).

France, mère des arts, des armes et des lois
France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.

Si tu m'as pour enfant avoué quelquefois,
Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?
France, France, réponds à ma triste querelle.
Mais nul, sinon Écho, ne répond à ma voix.

Entre les loups cruels j'erre parmi la plaine,
Je sens venir l'hiver, de qui la froide haleine
D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau.

Las, tes autres agneaux n'ont faute de pâture,
Ils ne craignent le loup, le vent ni la froidure :
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.

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George Orwell, 1984, « La novlangue »

«  Ne voyez-vous pas que le véritable but du novlangue est de restreindre les limites de la pensée ? A la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. Tous les concepts nécessaires seront exprimés chacun exactement par un seul mot dont le sens sera rigoureusement délimité. Toutes les significations subsidiaires seront supprimées et oubliées. Déjà, dans la onzième édition, nous ne sommes pas loin de ce résultat. Mais le processus continuera encore longtemps après que vous et moi nous serons morts. Chaque année, de moins en moins de mots, et le champ de la conscience de plus en plus restreint. Il n’y a plus, dès maintenant, c’est certain, d’excuse ou de raison au crime par la pensée. C’est simplement une question de discipline personnelle, de maîtrise de soi-même. Mais même cette discipline sera inutile en fin de compte. La Révolution sera complète quand le langage sera parfait. Le novlangue est l’angsoc et l’angsoc est le novlangue, ajouta-t-il avec une sorte de satisfaction mystique. Vous est-il jamais arrivé de penser, Winston, qu’en 2050, au plus tard, il n’y aura pas un seul être humain vivant capable de comprendre une conversation comme celle que nous tenons maintenant ? (…) Les prolétaires ne sont pas des êtres humains, dit-il négligemment. Vers 2050, plus tôt probablement, toute connaissance de l’ancienne langue aura disparu. Toute la littérature du passé aura été détruite. Chaucer, Shakespeare, Milton, Byron n’existeront plus qu’en versions novlangue. Ils ne seront pas changés simplement en quelque chose de différent, ils seront changés en quelque chose qui sera le contraire de ce qu’ils étaient jusque-là. Même la littérature du Parti changera. Même les slogans changeront. Comment pourrait-il y avoir une devise comme « La Liberté, c’est l’esclavage » alors que le concept même de la liberté aura été aboli ? Le climat total de la pensée sera autre. En fait, il n’y aura pas de pensée telle que nous la comprenons maintenant. Orthodoxie signifie non-pensant, qui n’a pas besoin de pensée. L’orthodoxie, c’est l’inconscience. »

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Théodore de Banville (1823-1891).
Recueil : Les Cariatides (1842).

L'Automne

Sois le bienvenu, rouge Automne,
Accours dans ton riche appareil,
Embrase le coteau vermeil
Que la vigne pare et festonne.

Père, tu rempliras la tonne
Qui nous verse le doux sommeil ;
Sois le bienvenu, rouge Automne,
Accours dans ton riche appareil.

Déjà la Nymphe qui s'étonne,
Blanche de la nuque à l'orteil,
Rit aux chants ivres de soleil
Que le gai vendangeur entonne.
Sois le bienvenu, rouge Automne.


vendredi 19 septembre 2014

Textes lus lors de notre 43ème veillée - 19 septembre 2014

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« Le plus difficile n'est pas de faire son devoir,
c'est de savoir où il se place. »
JEAN DE LA VARENDE
                         
Chantal Delsol, « Nos limites, notre humanité » (août 2014)
Ludovine de la Rochère, « Face à cette folie déconnectée du réel » (juillet 2014)
Martin Steffens, « Pourquoi se battre ? » (septembre 2014)
Charles Péguy, « Notre cœur vil » (décembre 1911)

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Nos limites, notre humanité
Par Chantal Delsol, philosophe et membre de l’Institut. Tribune parue dans Valeurs actuelles du 7 août 2014.
La question écologique et les réformes dites de société nous imposent de penser les limites à l’action humaine. Jamais cette interrogation n’a été aussi cruciale. Un bel ouvrage de Gaultier Bès, Marianne Durano et Axel Rokvam vient de sortir qui s’intitule Nos limites, pour une écologie intégrale (Le Centurion). Les ressources désormais sans fin de la technique permettent à l’humanité de détruire la nature censée nous survivre, qui devrait demeurer le monde des générations futures. Mais elles permettent aussi d’engendrer des monstres, ce que sont à leur excès lesdites réformes sociétales. Qu’est-ce qu’un monstre ? Le moment contemporain veut nous faire croire que cela n’existe pas, que c’est une notion périmée datant des religions, qu’en réalité tout est possible et qu’en conséquence tout est normal puisque rien ne l’est. Nous ne pourrions plus être dénaturés, puisqu’il n’y a pas de nature. Il n’y aurait pas de limites à nos désirs, puisque la technique nous permet tout et puisque les religions ne nous interdisent plus rien…
C’est le contraire. Plus nous avons de moyens pour produire des humains au lieu de les procréer, pour brouiller les générations et les filiations, pour engendrer de l’aberrant et du bizarre, plus nous avons besoin de penser les limites. Les deux totalitarismes du XXe siècle proviennent de la terrible certitude que “tout est possible”. Notre sagesse doit venir au secours des abus de notre pouvoir. Faute de quoi, l’horreur nous attend.
Ne croyons pas une seconde que seules les religions sauvegardent les limites. Quelle que soit l’admiration qu’on a pour Dostoïevski, il n’est rien de plus faux que son célèbre « Si Dieu n’existe pas, tout est permis ». Les limites humaines sont d’abord sauvegardées par le sens commun qui fait la coutume, et les religions s’installent dans ces habitacles coutumiers qu’elles institutionnalisent. Les Grecs anciens à partir des lois coutumières pensaient la loi naturelle, à tel point que l’une et l’autre se distinguent peu dans l’histoire d’Antigone. Sénèque écrit dans son Phèdre : « Même chez les sauvages cela ne se fait pas, cela ne s’est jamais vu / Regarde / Les Gètes vagabondent sans feu ni lieu / Les peuples du Taurus égorgent les voyageurs / Les Scythes errent sans foi ni loi / Mais tous interdisent l’inceste. »
La liberté ouvre toutes les portes. Les Grecs, qui ont inventé la liberté, inventèrent aussi le nihilisme. Diogène le Cynique, récusant les interdits sociaux, récuse aussi les limites les plus profondes en prônant l’inceste — et c’est ainsi qu’il est dit le chien (le Cynique), retourné à l’état naturel, en réalité hors humain. Pour les Grecs, les limites ne proviennent pas des interdits divins, ou plutôt ceux-ci ne font qu’assumer la nature. Si l’on sort de l’équilibre où peuvent vivre les humains, alors le monde peut trembler. Il suffit de relire l’histoire de Médée, dont Sénèque dit qu’elle profane l’ordre du monde. Les actes de Médée sont reliés par le dramaturge aux désordres perpétrés par les hommes dans la nature. Au moment où les Atrides se livrent à toutes sortes d’infamies, en même temps ils rompent et transgressent les barrières de l’espace, dévorent les limites géographiques et terrestres soumises à leur caprice. Se rejoignent le chaos sur la terre et le chaos dans la société des hommes.
La raison de tout cela ? L’orgueil humain et sa démesure. La folle volonté de tout maîtriser, bientôt commuée en folie destructrice. Et comme le dit Fabrice Hadjadj dans une belle analyse qu’il fait de Sénèque : « Si tu ne parviens plus à faire face à la tempête, deviens toi-même tempête. » L’orgueil de la démesure engendre le crime. Nos lois “sociétales” sont en train de glisser sur cette pente fatale.
Nos contemporains s’imaginent qu’en tournant le dos aux religions ils se sont rendus maîtres du destin et capables de dépasser la finitude humaine. Soyons laïcs, et tout redeviendra possible… Nous pourrons louer des ventres de femmes, produire des enfants aux filiations défoncées, faire croire à l’opinion émerveillée qu’un couple d’hommes attend un enfant… Ce ne sont ni les pouvoirs ni les religions qui décrètent nos limites. C’est la conscience inquiète de chaque époque. Si par orgueil nous cessons de nous poser la question des limites, nous quittons notre humanité.
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Famille : « Face à cette folie déconnectée du réel... », par Ludovine de La Rochère, Présidente de La Manif Pour Tous (tribune parue dans Valeurs actuelles du 31 juillet 2014).
Une étude australienne récente, menée auprès d’enfants élevés par des couples homosexuels, conclut que ces enfants, nés pour la plupart de PMA ou de GPA, vont mieux que les enfants en général. Mark Regnerus, chercheur au Centre de recherche sur la population de l’université du Texas, a démontré que cette étude est biaisée, notamment parce que les participants ont été recrutés par le réseau LGBT et non auprès de la population générale et parce qu’informés de la finalité de l’enquête, ils ont vraisemblablement répondu selon l’image qu’ils voulaient donner de l’homoparentalité. Malgré cela, ces résultats ont été largement relayés par les médias, avec toute l’aura de l’objectivité supposée de la science, celle-ci étant à l’évidence utilisée comme un levier pro-LGBT.
Quels sont les autres leviers ? Il s’agit des notions toutes simples que sont l’homophobie, l’inégalité et la discrimination.
L’homophobie est ainsi devenue le mal le plus dénoncé en France, avant même la pauvreté ou le chômage, qui touchent pourtant un nombre immense de Français. Et l’amalgame est sans cesse fait entre homophobie — le manque de respect à l’égard d’une personne au motif de son orientation sexuelle — et opposition aux revendications du lobby LGBT, pourtant non représentatif de l’ensemble des homosexuels (dont la plupart n’ont rien demandé et dont certains militent avec La Manif pour tous). Être défavorable au mariage et à l’adoption Taubira et à leurs suites évidentes — la libéralisation de la PMA et la légalisation de la GPA — est amalgamé avec l’homophobie. On fait comme si les opposants au mariage gay étaient responsables du fait que deux hommes ou deux femmes ne puissent concevoir des enfants ensemble, alors que c’est une donnée de l’humanité…
En invoquant l’inégalité et la discrimination, on oublie que ce n’est pas l’orientation sexuelle qui conditionne les droits de chaque citoyen. Les personnes homosexuelles ont les mêmes droits (et heureusement !) que tout un chacun. En revanche, le couple homosexuel, ontologiquement différent du couple hétérosexuel vis-à-vis de l’engendrement, est dans une situation non comparable pour ce qui est de fonder une famille : la revendication de l’égalité n’a donc pas de sens dans ce domaine.
Ces leviers continuent pourtant de fonctionner à plein régime : après le vote de la loi Taubira, la PMA et la GPA sont d’ores et déjà exigées comme allant de pair avec le mariage (qui vise en effet à fonder une famille, et c’est bien la raison pour laquelle le mariage Taubira est une aberration sur laquelle il faudra bien revenir), et pour les mêmes motifs d’égalité et de non-discrimination.
Avec une nuance, cependant : nombre de féministes, y compris lesbiennes, sont favorables à la libéralisation de la PMA, mais opposées à la GPA parce qu’elle exploite la femme. Elles prétendent, avec une touchante naïveté, que l’éternel argument de l’“égalité” ne légitimera pas l’ouverture de la GPA aux couples masculins une fois que la PMA aura été ouverte aux couples féminins…
Autre incohérence : à l’instar de Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, de nombreux opposants à la GPA sont favorables à la circulaire Taubira qui facilite l’accueil en France d’enfants nés de mères porteuses à l’étranger. Et les mêmes sont opposés à l’idée de faire appel des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme qui condamnent la France pour son refus de transcrire à l’état civil français les naissances d’enfants nés d’une GPA aux États-Unis.
Ces pseudo-opposants à cet esclavage moderne qu’est la GPA, qui arguent de l’intérêt des enfants concernés, omettent deux éléments essentiels : d’abord, ils ne sont pas des “enfants fantômes”, comme on voudrait nous le faire croire. Ou alors toutes les personnes nées à l’étranger qui vivent en France sont des fantômes ! De fait, ces enfants sont inscrits à l’état civil et ont la nationalité de leur pays de naissance. Cela ne pose, en réalité, que des problèmes d’ordre pratique aux adultes, lesquels ont osé les commander, les acheter et les séparer de leur mère pour les ramener en France. D’autre part, en acceptant de transcrire leurs actes de naissance dans les registres français, la justice légitime une filiation truquée et favorise le développement de la GPA. Elle agit donc contre l’intérêt supérieur de l’enfant d’une manière générale, d’autant plus qu’on dira ensuite qu’il faut encadrer cette pratique en développement, donc légiférer.
Ainsi, même si notre mobilisation a considérablement freiné les projets du gouvernement, celui-ci n’y a pas encore renoncé : il procède par des voies détournées. Et il fait de même avec les ABCD dit “de l’égalité”, dont il a retiré le label mais dont il généralise le contenu — qui confond égalité et indifférenciation — à tous les établissements, niveaux et programmes scolaires.
Face à la folie de cette présidence déconnectée du réel de l’humanité, nous n’avons d’autre choix que de faire une nouvelle fois entendre la voix des familles. J’appelle donc tous les Français à réserver leur week-end des 4 et 5 octobre : nous serons dans la rue pour défendre l’humanité homme-femme, la filiation père-mère-enfant, et la famille !
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Pourquoi se battre ?
Par Martin Steffens, philosophe, auteur de La vie en bleu (éd. Marabout, 2014) - Tribune parue dans Famille Chrétienne n° 1912 du 6 septembre 2014.
Nous vivons une heureuse concordance des temps : d’une part, les commémorations autour des deux guerres mondiales nous rappellent que la jeunesse d’une civilisation s’est un jour mobilisée dans l’espoir de stopper la barbarie ; d’autre part, on assiste au Proche-Orient à la montée d’un islam totalitaire.
Le passé, du coup, interroge le présent : si la barbarie déferlait jusqu’à nous, serions-nous capables, comme ces trois cent mille hommes et femmes sur les côtes de Provence, un 15 août 1944, de lui opposer une énergique fin de non-recevoir ? Aurions-nous ce courage ?
Ni manque de force ni manque de courage
En réalité, il ne s’agit pas que d’une question de courage. Quand l’enfant manque de se noyer, la mère ou le père se précipitent à l’eau sans se demander s’ils sont assez courageux pour le faire : la cause est trop évidente pour céder à la peur. Ce dont nous manquons, ce n’est pas de force ni de courage : c’est de savoir à quoi les vouer.
Nous avons oublié les principes, simples et concrets, dont nous tirons le meilleur de notre vie et pour lesquels, par conséquent, nous serions prêts à mourir. En 1944, des milliers de jeunes gens se sont mobilisés (je souligne) pour sauver l’Europe de son propre suicide : quels seraient aujourd’hui les mobiles d’un tel engagement ?
Pour le philosophe écossais Alasdair MacIntyre, il est aussi absurde de mourir pour l’État-nation moderne, arbitre neutre des conflits d’intérêts privés, que « pour la Compagnie des téléphones ».
Quelle vérité serions-nous prêts à défendre ?
Pourquoi se battre, en effet ? Mourrait-on pour que nos satellites, merveilles d’intelligence, continuent de déverser sur le monde les fantasmes d’une civilisation jouisseuse et fatiguée ? Se sacrifierait-on pour que les professionnels du fun et de la dérision battent chaque jour de nouveaux records d’Audimat ? Donnerait-on son sang afin que les sites de rencontres extraconjugales puissent toujours afficher dans les couloirs du métro qu’être fidèle à son mari, c’est se tromper soi-même ?
La concordance des temps entre une guerre gagnée contre la barbarie et celle qui s’approche dangereusement a le mérite de poser franchement la question : quel est, selon nous, le cœur battant de notre civilisation ? Quelle est cette vérité que nous, Européens, serions prêts à défendre, parce qu’elle donne à notre mode de vie un prix inestimable ?
Le devoir de mémoire envers les combattants d’hier est désormais un devoir d’invention : repérer le fil directeur de notre histoire pour en écrire, dès aujourd’hui, les chapitres les plus forts.
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Notre cœur vil (1911)

Ce poème acrostiche est adressé par lettre du 17 décembre 1911 à Blanche Raphaël, dont est secrètement épris Péguy.

Béni sois-tu, cœur pur,
Pour ta détresse ;
Béni sois-tu, cœur dur ;
Pour ta tendresse.

Loué sois-tu, cœur las,
Pour ta bassesse ;
Loué sois-tu, cœur bas,
Pour ta hautesse.

Avoué tu seras
Au dernier jour,
Quand tu comparaîtras
Au clair séjour.

Noué sois-tu serré
Comme une corde
Sur la très révérée
Miséricorde.

Cloué sois-tu, cœur sec,
Au dur gibet,
Sous la serre et le bec
Et sous l’onglet.

Honni sois-tu, cœur double,
Ô faux ami ;
Honni sois-tu, cœur trouble,
Cher ennemi.

Et pardonné sois-tu,
Notre cœur vil,
Au nom des Trois Vertus ;
Ainsi soit-il.


jeudi 4 septembre 2014

Textes lus lors de notre 42ème veillée - 4 septembre 2014

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« L'avenir ne nous apporte rien, ne nous donne rien ;
c'est nous qui, pour le construire, devons tout lui donner,
lui donner notre vie elle-même »
SIMONE WEIL
                         
Rémi Sentis, « "Morale" ministérielle et égalité des droits » (2014)
Victor Hugo, Les contemplations, « Quand nous habitions tous ensemble » (1844)
Pierre Manent, « Les liens humains » (2013)
Nérée Beauchemin, Patrie intime, « Crépuscule rustique » (1928)

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“Morale” ministérielle et égalité des droits
Par Rémi Sentis (tribune parue dans Valeurs actuelles du 17 juillet 2014)
Rémi Sentis est président de la fédération des associations familiales catholiques des Hauts-de-Seine.
C’est le 3 juillet, en catimini, que le projet de programme “d’enseignement moral et civique” (EMC) devant être appliqué à la rentrée 2015 a été dévoilé par Benoît Hamon. Il s’agit d’amener « à penser et à agir par soi-même et avec les autres […] ; à comprendre le bien-fondé des règles régissant les comportements individuels et collectifs, à y obéir […] ; à reconnaître le pluralisme des opinions, des convictions, des croyances et des modes de vie ; à construire du lien social et politique ». L’absence de distinction entre le domaine moral et le domaine civique et légal est totale. Et dans les « connaissances » qui doivent être enseignées, on ne retrouve jamais de référence au bien ou au mal, uniquement au juste et à l’injuste.
Dès le CP, on parle des droits et devoirs « de la personne, de l’élève, du citoyen », la principale illustration concernant « les droits égaux des garçons et des filles dans toutes les situations » ; parmi les « connaissances », on note « la tolérance […] les atteintes à la personne d’autrui (racisme, sexisme, xénophobie, homophobie, harcèlement), […] la charte de la laïcité à l’école, […] la sensibilisation à l’injustice et aux préjugés ». Ainsi, grâce à la lutte contre l’homophobie, on pourra présenter la dualité des sexes comme une simple convention sociale. Et sera disqualifiée toute affirmation selon laquelle l’enfant doit pouvoir bénéficier de l’altérité sexuelle de ses parents.
Pour les plus grands, c’est la continuité ; au collège on mentionne « l’égalité et la non-discrimination, […] la dimension biologique de la diversité humaine, sa dimension culturelle, l’expression littéraire de l’inégalité et de l’injustice ». Derrière cette dimension biologique de la diversité, ne se cache-t-il pas une remise en cause de l’affirmation simple de la dualité des sexes ?
Par ailleurs, il est prévu que les futurs maîtres suivent une formation spécifique. L’EMC « a un contenu spécifique clairement identifié et suppose […] l’appropriation des concepts qui l’organisent (autonomie, norme, égalité des droits, citoyenneté, laïcité…), l’initiation aux grands courants de la philosophie morale et aux théories psychologiques du développement moral ».
Outre une légitime interrogation sur lesdites théories, ici transparaît clairement l’idéologie de l’égalité des droits selon laquelle chaque individu (dont le sexe n’est qu’une caractéristique assignée à la naissance) aurait le droit de remplir n’importe quel rôle vis-à-vis de la société et donc de la filiation. Cette conception de l’égalité conduit à l’indifférenciation (en particulier celle des sexes), elle est étrangère à l’idée chrétienne d’égalité (l’égale dignité de tous les hommes devant Dieu) comme à celle de la Déclaration des droits de 1789, qui, elle, fait référence à l’égalité devant la loi.
La partie morale de l’EMC se réduit à la tolérance et à la non-discrimination, elle est en fait une roue de secours d’un enseignement civique dont les buts sont de démontrer la justesse des lois actuelles et d’interdire de contester la valeur de l’égalité des droits. Le texte avertit d’ailleurs qu’on ne pourra permettre « une réticence, voire une abstention, dans l’affirmation des valeurs transmises. Les enseignants et les personnels d’éducation sont au contraire tenus de promouvoir ces valeurs dans tous les enseignements et dans toutes les dimensions de la vie scolaire ».
Après un simulacre de concertation, les programmes officiels seront validés et en mai prochain les collèges n’auront le choix qu’entre cinq ou six manuels d’EMC faisant de la surenchère dans le “bien-pensant”.
Cette morale ministérielle a clairement peu de rapport avec celle que les parents veulent transmettre à leurs enfants. Ne va-t-on pas opérer un grand écart dont les élèves seront les victimes ? L’enseignement catholique pourra-t-il manifester son désaccord avec l’EMC, dont le contenu est en opposition avec la morale qu’il essaye de faire passer dans ses cours de catéchèse ? En vertu du caractère propre dont il bénéficie, il en a le pouvoir. Cela permettra peut-être par ricochet de soulever la chape bien-pensante qui est en train de s’abattre sur l’enseignement public.
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Victor Hugo (1802-1885).
Recueil : Les contemplations (1856).

Quand nous habitions tous ensemble.

Quand nous habitions tous ensemble
Sur nos collines d'autrefois,
Où l'eau court, où le buisson tremble,
Dans la maison qui touche aux bois,

Elle avait dix ans, et moi trente ;
J'étais pour elle l'univers.
Oh ! comme l'herbe est odorante
Sous les arbres profonds et verts !

Elle faisait mon sort prospère,
Mon travail léger, mon ciel bleu.
Lorsqu'elle me disait : Mon père,
Tout mon cœur s'écriait : Mon Dieu !

À travers mes songes sans nombre,
J'écoutais son parler joyeux,
Et mon front s'éclairait dans l'ombre
À la lumière de ses yeux.

Elle avait l'air d'une princesse
Quand je la tenais par la main.
Elle cherchait des fleurs sans cesse
Et des pauvres dans le chemin.

Elle donnait comme on dérobe,
En se cachant aux yeux de tous.
Oh ! la belle petite robe
Qu'elle avait, vous rappelez-vous ?

Le soir, auprès de ma bougie,
Elle jasait à petit bruit,
Tandis qu'à la vitre rougie
Heurtaient les papillons de nuit.

Les anges se miraient en elle.
Que son bonjour était charmant !
Le ciel mettait dans sa prunelle
Ce regard qui jamais ne ment.

Oh ! je l'avais, si jeune encore,
Vue apparaître en mon destin !
C'était l'enfant de mon aurore,
Et mon étoile du matin !

Quand la lune claire et sereine
Brillait aux cieux, dans ces beaux mois,
Comme nous allions dans la plaine !
Comme nous courions dans les bois !

Puis, vers la lumière isolée
Étoilant le logis obscur,
Nous revenions par la vallée
En tournant le coin du vieux mur ;

Nous revenions, cœurs pleins de flamme,
En parlant des splendeurs du ciel.
Je composais cette jeune âme
Comme l'abeille fait son miel.

Doux ange aux candides pensées,
Elle était gaie en arrivant... -
Toutes ces choses sont passées
Comme l'ombre et comme le vent !

À Villequier, le 4 septembre 1844.

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« Les liens humains » par Pierre Manent, de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)
POUR DÉFENDRE LA LOI NATURELLE
« La notion de loi naturelle est aujourd’hui discréditée. Elle est pourtant indispensable pour donner sens au monde humain, et agir raisonnablement dans ce monde. L’idée aujourd’hui triomphante, l’idée flatteuse, exaltante et en même temps presque puérile, est que les êtres humains sont les auteurs exclusifs de la loi qui règle leur action. Celle-ci, dit-on, ne saurait s’appuyer sur aucune réalité indépendante de la volonté humaine, que ce soit Dieu ou la nature. Le progrès irréversible de l’homme moderne, pensons-nous, a consisté à passer de l’hétéronomie à l’autonomie, de la règle gagée sur autre chose que la volonté humaine à la règle résultant exclusivement de la volonté humaine. Or, tout cela qui aux yeux de beaucoup est l’évidence même, se révèle en réalité comme une construction d’une extrême fragilité.
 ON NE PEUT SE PASSER D’UNE RÉFÉRENCE À LA NATURE
La première chose à remarquer est la suivante : ceux mêmes qui écartent, méprisent, ridiculisent la notion de nature comme norme de l’action humaine ne peuvent s’en passer. Il est impossible de commencer à dire quelque chose sur les êtres humains sans dire quelque chose sur leur nature. La philosophie individualiste des droits de l'homme, celle qui règne, et qui rejette avec tant de mépris la notion de loi naturelle, repose elle aussi sur une certaine idée de la nature humaine. Dire que nous sommes des individus titulaires de droits, c'est dire que ces droits nous appartiennent par nature, qu'ils ne résultent donc pas de l'arbitraire humain, et que nul arbitraire humain ne peut nous en priver. Ces droits nous appartiennent dès lors que nous naissons à la vie, et on ne peut nous les enlever qu’en nous enlevant la vie. Les droits de l’homme sont des droits naturels.
LES LIENS HUMAINS NE SONT PAS MOINS NATURELS QUE LES ÊTRES HUMAINS
En revanche, pour l’individualisme, et c’est sur ce point qu’il entend effectivement se séparer de toute idée de nature, les liens humains, eux, à la différence des droits, ne sont pas naturels. Ils sont artificiels, œuvres des hommes, que les hommes peuvent défaire après les avoir formés. Telle est donc la doctrine de l’individualisme moderne : les hommes sont des individus naturels qui nouent entre eux des liens artificiels. La divergence entre la doctrine individualiste et la doctrine catholique, qui toutes deux reposent également sur une certaine idée de la nature humaine, cette divergence réside en ceci que, pour la doctrine catholique, les liens entre les êtres humains ne sont pas moins naturels que les individus eux-mêmes, et que donc, les liens humains aussi ont une nature qui résiste à l’arbitraire humain, à l’arbitraire des lois humaines.
LA LOI EST LA RÈGLE QUI CONDUIT NOTRE NATURE VERS SON BIEN
« C’est impossible ! » s’écrit l’individualisme régnant. « C’est impossible puisque les lois sont évidemment faites par les hommes ! ». Les lois sont faites par les hommes, certes. Mais elles ne sont pas faites dans le vide, elles ne sont pas faites pour rien, elles sont faites pour le bien des hommes. Et le bien des hommes ne peut être conçu sans référence à leur nature, à la nature humaine. Dès lors, qu’est-ce que la loi naturelle ? C’est la règle qui conduit notre nature vers son bien. Règle qui est découverte et éprouvée au cours de l’expérience humaine si du moins on prend la peine d’examiner celle-ci de la manière la plus lucide et la plus consciencieuse.
La vie humaine est inintelligible si l’on n’y discerne pas les biens et les liens dans lesquels notre nature s’éprouve et se déploie. Liens familiaux, sociaux, politiques, religieux. Liens religieux : s’il y a un Dieu, Père des hommes, il faut bien qu’Il nous ait donné, qu’Il ait donné à notre nature les règles, les prises pour nous approcher de Lui. Liens sociaux et politiques : quoi de plus naturel que la sociabilité humaine, que le vivre ensemble amical. L’amitié est un lien et un bien inscrit dans notre nature. Liens familiaux : les êtres humains naissent et meurent et ils s’unissent pour faire des enfants. La naissance, la mort, la différence sexuelle et la différence des générations sont autant d’articulations naturelles du monde humain, naturelles puisque nous n’avons aucun pouvoir sur elles. Nous pouvons regimber, rêver, prétendre… la vie humaine continuera d’être ordonnée et de trouver sens selon la naissance et la mort et selon la différence des sexes et des générations.
LES DROITS NE REMPLACENT PAS LES BIENS
L’égalité des droits est précieuse car elle motive l’effort pour élargir le plus possible l’accès aux biens humains. Mais les droits ne remplacent pas les biens. Pour qu’il y ait des droits, il faut qu’il y ait des biens. Et ces biens, nous ne pouvons pas nous les donner à nous-mêmes, nous devons les recevoir de la nature. Nous pouvons choisir nos amis, mais la capacité d’être ami, nous la recevons de la nature et de l’amitié de son auteur. La tentation aujourd’hui est d’oublier que les biens humains sont reçus avant d’être voulus. La tentation aujourd’hui est de construire une immense machine, lois et techniques, qui distribuerait les biens comme si l’homme pouvait les produire, c’est-à-dire produire sa nature. Vaine entreprise qui ne peut amener qu’un ordre social parodique, mais sous la tyrannie de la loi, la générosité de la nature reste intacte. »
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Nérée Beauchemin (1850-1931).
Recueil : Patrie intime (1928).

Crépuscule rustique.

La profondeur du ciel occidental s'est teinte
D'un jaune paille mûre et feuillage rouillé,
Et, tant que la lueur claire n'est pas éteinte,
Le regard qui se lève est tout émerveillé.

Les nuances d'or clair semblent toutes nouvelles.
Le champ céleste ondule et se creuse en sillons,
Comme un chaume, où reluit le safran des javelles
Qu'une brise éparpille, et roule en gerbillons.

Chargé des meules d'ambre, où luit, par intervalle,
Le reflet des rayons amortis du soleil,
Le nuage, d'espace en espace, dévale,
Traîne, s'enfonce, plonge à l'horizon vermeil.

Mais l'ombre, lentement, traverse la campagne,
Et glisse, à vol léger, au fond des plaines d'or.
Septembre, glorieux, derrière la montagne,
A roulé, pour la nuit, le char de Messidor.