vendredi 13 septembre 2013

Textes lus lors de notre 19ème veillée - 13 septembre 2013

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Gaultier Bès, « Vous avez mis les peuples au collège »
Pierre de Ronsard, Discours sur les misères de ce temps – À la Reine
François-René de Chateaubriand, Génie du christianisme
Robert Lamoureux, Éloge de la fatigue

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« Vous avez mis les peuples au collège »

Article paru dans L'Alouette, La petite gazette des jeunes libres-plumes de France, le 6 septembre 2013

« Vous avez mis les peuples au collège. Eh bien, on s’embête ferme dans vos collèges ! On prend des vacances de temps en temps. Les révolutions sont nos vacances. » Bernanos, Nous autres Français, 1939

            Vous avez mis les peuples au collège et voici qu’ils font le mur. Vous aurez beau le replâtrer, ce mur, vous n’en saurez cacher longtemps la pourriture. Car il s’écroule déjà sous son propre poids, fondé qu’il est sur un sable fuyant. Vous avez mis les peuples au collège et voici que leur chahut s’organise. Mais pas comme d’habitude, barricade et guillotine. Ils commencent à comprendre que vous sauriez recycler jusqu’à leur rébellion, détourner contre eux-mêmes leur mépris et leur haine. Que vous sauriez fort bien leur vendre la corde pour qu’ils se pendent entre eux. Alors, ils font autrement, ils inventent, ils innovent, ils subvertissent votre subversion. La soupe que vous leur servez, ils ne la digèrent plus. Ils la trouvent indigeste. Ils ne vous la renversent pas sur la tête, ils ne mettent pas les pieds dans le plat. Ils vous disent simplement non merci. Vous repartirez bientôt avec vos marmites pleines.

            Vous avez mis les peuples au collège et vous leur avez dit : « Indignez-vous ». Ils vous ont pris au mot, mais sans hypocrisie. Ils ont senti la magouille. Ils n’ont pas bien repassé vos leçons. Ils ont renoncé à l’indignation sélective. Ils ont compris que s’indigner de concert avec vous, ce serait bachoter vos mensonges. Ils ont mesuré combien vos mots étaient pipés et vos schémas grossiers. Ils ne séparent plus artificiellement culture et politique, écologie et dignité humaine, famille et biotope, mainmise financière sur le travail et mainmise technique sur le vivant, dérégulation économique et déconstruction sociétale, PMA et OGM. Ils ne confondent plus décence commune et ordre moral, responsabilité civique et intérêt partisan, service public et idéologie étatique.

            Vous prétendiez faire de la jeunesse votre priorité, mais à peine quitte-t-elle la cour fermée de ses écrans que vos surveillants sonnent l’alarme et que vous débarquez avec vos maîtres-fouines. Témoin le 31 août dernier. Les Veilleurs – dont j’étais – achevaient tranquillement leur première marche estivale par une dernière étape à Paris, après avoir parcouru près de 400 km de Rochefort à Nantes. Depuis un mois, l’itinéraire était annoncé, simple et droit comme l’honneur : de la Défense à la Concorde. Alors qu’une trentaine de Veilleurs marchaient quelque part entre Saint-Nazaire et Couëron, l’intimidation commençait au téléphone, absurde et maladroite. Beaucoup de bruit pour rien : des appels tardifs, des communiqués ambigus, des arrêtés grandiloquents, des centaines de policiers inutilement mobilisés – et pour beaucoup dégoûtés du triste jeu auquel on les fait jouer. Les photos du 31 parlent d’elles-mêmes : oui, c’était bien pour nous que ces dizaines de fourgons remplissaient le bas des Champs et la Concorde, pour nous qui venions paisiblement veiller sur la Mémoire & l’espérance.

            Tout cela ne serait que ridicule si ce n’était pas révélateur d’un malaise démocratique profond. Ce malaise auquel les Veilleurs veulent remédier, c’est d’abord celui de la déresponsabilisation. Le « pouvoir immense et tutélaire » que décrivait prophétiquement Tocqueville semble bien en place. « Absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux », il cherche à nous « fixer irrévocablement dans l’enfance », « dérob[ant] peu à peu à chaque citoyen jusqu’à l’usage de lui-même ». Les « tuteurs » ont remplacé les « tyrans » pour mater cette « foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes ». « C’est ainsi que tous les jours [le despote nouveau] rend moins utile et plus rare l’emploi du libre arbitre » : « Il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation a n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger » (Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, II, 4, 6, 1835). Voici pourquoi le cirque médiatique désinforme et divertit. Et voici pourquoi le cirque électoral donne l’illusion du libre choix, donnant à voir au Quichotte ahuri les moulins à vent se battre entre eux. Et pourquoi le cirque mercantile fait de chaque appétit un idéal, le cirque technique de chaque fantasme un rêve à monnayer. Reste le caprice universel – qu’on appelle reconnaissance sociale - dont l’État dose savamment la satisfaction pour ses chers petits. Las, pour le citoyen saturé, chacun de ces tristes cirques devient vite cercle vicieux et clôture infernale. Sombre école que ce chapiteau-là !

            Tant que le citoyen s’étourdit des paillettes et des gadgets qu’on lui jette abondamment, tant qu’il tourne en rond ravi de la fête, et s’arrête docile quand retentit la sonnerie, vous ne risquez rien. Mais prenez garde, les engrenages de votre mécanique commencent à rouiller. Les pannes s’accumulent. Et si vous poussez trop la machine pour rattraper le retard, gare à ce qu’elle ne s’emballe ! Déjà, beaucoup ont quitté le manège, écœurés. Mieux vaut ralentir un peu. Les Veilleurs, le 31 août et depuis leur naissance en avril, ne se sont laissé ni rouler ni enclore. Ils n’ont sauté dans aucun des cerceaux qu’on leur a tendus. C’est ainsi qu’ils ont trouvé un bon antidote à l’infantilisation programmée des consciences : ils ne demandent plus l’avis de personne pour exister. Pas besoin de leur permettre d’être, ils sont sans vous. Car on ne saurait interdire ce qui n’a pas besoin d’être autorisé. Les Veilleurs ont compris qu’ils n’étaient soumis aux pions qu’autant qu’ils acceptaient de l’être et qu’ils seraient complices de l’appauvrissement de la parole publique tant qu’ils consentiraient à ne parler qu’au parloir officiel. Ainsi, pour échapper au piège de l’esbroufe médiatique, ont-ils trouvé un remède radical : ils ont décidé de ne pas faire de bruit. La chute des murailles idéologiques entre lesquelles vous tentez de les parquer en fera sans doute bien assez.

            Dès lors, il ne s’est rien passé d’autre, ce samedi 31 août, que le simple ébranlement de quelques citoyens debout face à l’enflure d’un pouvoir qui se prétend maître et possesseur d’une nature qu’il exècre. Parce que lorsque le citoyen est déresponsabilisé, la République est confisquée. Les Veilleurs ont dit ce qu’ils feraient et fait ce qu’ils avaient dit. Ils n’ont rien troublé d’autre que l’ordre empesé de la préfecture, ils n’ont pas prêté attention aux aboiements des chiens de garde de la servitude volontaire.

            Face à la panique, comme face à la paresse, les Veilleurs prennent la parole, humblement. Rien de ce qui est humain ne leur est étranger, voilà peut-être leur seul vrai programme. Ils ne marchent plus dans vos combines, ni sous la discipline oblique de votre bien-pensance. Vous avez cru maintenir cette jeunesse au collège, et la voilà qui doucement vous pousse au mouroir.

                                                                                                                                 Gaultier Bès

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 PIERRE de RONSARD

Discours sur les misères de ce temps – À la Reine (1562)


Las ! Madame en ce temps que le cruel orage
Menace les Français d’un si piteux naufrage,
Que la grêle et la pluie, et la fureur des cieux
Ont irrité la mer des vents séditieux,
Et que l’astre jumeau ne daigne plus reluire.
Prenez le gouvernail de ce pauvre navire,
Et malgré la tempête, et le cruel effort
De la mer, et des vents, conduisez-le à bon port.
La France à jointes mains vous en prie et reprie
Las ! qui sera bientôt et proie et moquerie
Des princes étrangers, s’il ne vous plaît en bref
Par votre autorité apaiser ce méchef.

Ha ! que diront là-bas sous les tombes poudreuses
De tant de vaillants Rois les âmes généreuses !
Que dira Pharamond ! Clodion, et Clovis !
Nos Pépins ! nos Martels ! nos Charles, nos Loïs !
Qui de leur propre sang à tous périls de guerre,
Ont acquis à leurs fils une si belle terre ?
Que diront tant de ducs, et tant d’hommes guerriers
Qui sont morts d’une plaie au combat les premiers,
Et pour France ont souffert tant de labeurs extrêmes
La voyant aujourd’hui détruite par soi-même ?
Ils se repentiront d’avoir tant travaillé,
Assailli, défendu, guerroyé, bataillé,
Pour un peuple mutin divisé de courage
Qui perd en se jouant un si bel héritage…

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François-René de Chateaubriand, Génie du christianisme (1802)

Ce que nous avons dit jusqu’ici a pu conduire le lecteur à cette réflexion, que l’incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie. Quand on ne crut plus rien à Athènes et à Rome, les talents disparurent avec les dieux, et les muses livrèrent à la barbarie ceux qui n’avaient plus de foi en elles.

Dans un siècle de lumières, on ne saurait croire jusqu’à quel point les bonnes mœurs sont dépendantes du bon goût et le bon goût des bonnes mœurs. Les ouvrages de Racine, devenant toujours plus purs à mesure que l’auteur devient plus religieux, se terminent enfin à Athalie. Remarquez au contraire, comment l’impiété et le génie de Voltaire se décèlent à la fois dans ses écrits par un mélange de choses exquises et de choses odieuses. Le mauvais goût, quand il est incorrigible, est une fausseté de jugement, un biais naturel dans les idées ; or, comme l’esprit agit sur le cœur, il est difficile que les voies du second soient droites quand celles du premier ne le sont pas. Celui qui aime la laideur, dans un temps où mille chefs-d’œuvre peuvent avertir et redresser son goût, n’est pas loin d’aimer le vice ; quiconque est insensible à la beauté pourrait bien méconnaître la vertu.

Un écrivain qui refuse de croire en un Dieu auteur de l’univers et juge des hommes dont il a fait l’âme immortelle bannit d’abord l’infini de ses ouvrages. Il renferme sa pensée dans un cercle de boue, dont il ne peut plus sortir. Il ne voit rien de noble dans la nature, tout s’y opère par d’impurs moyens de corruption et de régénération. L’abîme n’est qu’un peu d’eau bitumineuse ; les montagnes sont des protubérances de pierres calcaires ou vitrescibles, et le ciel, où le jour prépare une immense solitude, comme pour servir de camp à l’armée des astres que la nuit y amène en silence, le ciel, disons-nous, n’est plus qu’une étroite voûte momentanément suspendue par la main capricieuse du hasard.

Si l’incrédule se trouve ainsi borné dans les choses de la nature, comment peindra-t-il l’homme avec éloquence ? Les mots pour lui manquent de richesse et les trésors de l’expression lui sont fermés. Contemplez, au fond de ce tombeau, ce cadavre enseveli, cette statue du néant, voilée d’un linceul : c’est l’homme de l’athée ! Fœtus né du corps impur de la femme, au-dessous des animaux pour l’instinct, poudre comme eux et retournant comme eux en poudre, n’ayant point de passion, mais des appétits, n’obéissant point à des lois morales, mais à des ressorts physiques, voyant devant lui, pour toute fin, le sépulcre et des vers : tel est cet être qui se disait animé d’un souffle immortel ! Ne nous parlez plus de mystères de l’âme, du charme secret de la vertu ; grâces de l’enfance, amours de la jeunesse, noble amitié, élévation de pensées, charme des tombeaux et de la patrie, vos enchantements sont détruits !

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Robert Lamoureux, Éloge de la fatigue (1er sept. 2011)

Vous me dites, Monsieur, que j’ai mauvaise mine,
Qu’avec cette vie que je mène, je me ruine,
Que l’on ne gagne rien à trop se prodiguer,
Vous me dites enfin que je suis fatigué.
Oui, je suis fatigué, Monsieur, et je m’en flatte.
J’ai tout de fatigué : la voix, le cœur, la rate,
Je m’endors épuisé, je me réveille las,
Mais, grâce à Dieu, Monsieur, je ne m’en soucie pas.
Ou, quand je m’en soucie, je me ridiculise.
La fatigue souvent n’est que vantardise.
On n’est jamais aussi fatigué qu’on le croit !
Et quand cela serait, n’en a-t-on pas le droit ?

Je ne vous parle pas des sombres lassitudes
Qu’on a lorsque le corps, harassé d’habitude,
N’a plus pour se mouvoir que de pâles raisons…
Lorsqu’on a fait de soi son unique horizon…
Lorsqu’on a rien à perdre, à vaincre, ou à défendre…
Cette fatigue-là est mauvaise à entendre ;
Elle fait le front lourd, lœil morne, le dos rond.
Et vous donne laspect dun vivant moribond

Mais se sentir plier sous le poids formidable
Des vies dont un beau jour on sest fait responsable,
Savoir quon a des joies ou des pleurs dans ses mains,
Savoir quon est loutil quon est le lendemain,
Savoir quon est le chef, savoir quon est la source,
Aider une existence à continuer sa course,
Et pour cela se battre à sen user le cœur
Cette fatigue-là, Monsieur, cest du bonheur.

Et sûr quà chaque pas, à chaque assaut quon livre,
On va aider un être à vivre ou à survivre ;
Et sûr quon est le port et la route et le quai,
Où prendrait-on le droit dêtre trop fatigué ?
Ceux qui font de leur vie une belle aventure,
Marquant chaque victoire en creux, sur la figure,
Et quand le malheur vient y mettre un creux de plus
Parmi tant d’autres creux, il passe inaperçu.

La fatigue, Monsieur, c’est un prix toujours juste,
C’est le prix d’une journée d’efforts et de luttes.
C’est le prix d’un labeur, d’un mur ou d’un exploit,
Non pas le prix qu’on paie, mais celui qu’on reçoit.
C’est le prix d’un travail, d’une journée remplie,
C’est la preuve, Monsieur, qu’on marche avec la vie.


Quand je rentre la nuit et que ma maison dort,
J’écoute mes sommeils, et là, je me sens fort ;
Je me sens tout gonflé et mon humble souffrance,
Et ma fatigue alors est une récompense.

Et vous me conseillez d’aller me reposer !
Mais si j’acceptais là, ce que vous me proposez,
Si j’abandonnais à votre douce intrigue…
Mais je mourrais, Monsieur, tristement… de fatigue.


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