vendredi 19 juillet 2013

Textes lus lors de notre 11ème veillée - 19 juillet 2013

Tout compromis repose sur des concessions mutuelles, mais il ne saurait y avoir de concessions mutuelles lorsqu'il s'agit de principes fondamentaux.
Mahatma GANDHI

Être dans le vent : une ambition de feuille morte.
GUSTAVE THIBON

Ne fais jamais rien contre ta conscience, même si l'État te le demande.
ALBERT EINSTEIN

Hymne aux veilleurs
Émile Zola, La Vérité en marche
André Charlier, « Prenez conscience de ce vide secret qui est au fond de vous »

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Hymne aux veilleurs

Il y eut un souffle puis un feu vacillant,
Il y eut un cri noir puis une nuit sans étoiles,
Il y eut un pouvoir puis des cœurs que l’on voile,
Et l’injustice revint vieille de mille ans.

Dans cette tempête l’homme impuissant se tait,
Se laissant bercer, las, dans les flots mensongers.
Et la flamme fragile au milieu des dangers,
Disparaît sans un bruit dans les âmes fouettées.

Combien de temps encor serons nous ignorés ?
Combien faut-il de braises pour être brasier ?
Que fait la justice pour les corps suppliciés ?
Et toi, où t’endors tu Vérité adorée ?

C’est alors qu’il survient, debout, raide et sublime,
Le regard vers les cieux, cherchant l’ultime braise,
Ce Prométhée nouveau du haut de sa falaise
Devient humble veilleur, éclairant les abîmes.

Et c’est ainsi France que tes villes renaissent
Derrière le guide qui jamais ne s’enfuit,
Et c’est ainsi Monde que ta haine s’enfouit
Grâce au veilleur d’amour qui jamais ne délaisse.

Un fleuve lumineux s’est remis à couler,
Et sur ses rives d’or les hommes se relèvent,
Veilleurs, Veilleuses un grand vent vient et se lève
Il porte avec lui le parfum des révoltés.

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Émile ZOLA (1840-1902)
La Vérité en marche, 1901 (recueil d’articles concernant l’affaire Dreyfus)

Ô jeunesse, jeunesse ! je t'en supplie, songe à la grande besogne qui t’attend. Tu es l’ouvrière future, tu vas jeter les assises de ce siècle prochain, qui, nous en avons la foi profonde, résoudra les problèmes de vérité et d'équité, posés par le siècle finissant. Nous, les vieux, les aînés, nous te laissons le formidable amas de notre enquête, beaucoup de contradictions et d'obscurités peut-être, mais à coup sûr l’effort le plus passionné que jamais siècle ait fait vers la lumière, les documents les plus honnêtes et les plus solides, les fondements mêmes de ce vaste édifice de la science que tu dois continuer à bâtir pour ton honneur et pour ton bonheur. Et nous ne te demandons que d'être encore plus généreuse, plus libre d'esprit, de nous dépasser par ton amour de la vie normalement vécue, par ton effort mis entier dans le travail, cette fécondité des hommes et de la terre qui saura bien faire enfin pousser la débordante moisson de joie, sous l’éclatant soleil. Et nous te céderons fraternellement la place, heureux de disparaître et de nous reposer de notre part de tâche accomplie, dans le bon sommeil de la mort, si nous savons que tu nous continues et que tu réalises nos rêves.

Jeunesse, jeunesse ! souviens-toi des souffrances que tes pères ont endurées, des terribles batailles où ils ont dû vaincre, pour conquérir la liberté dont tu jouis à cette heure. Si tu te sens indépendante, si tu peux aller et venir à ton gré, dire dans la presse ce que tu penses, avoir une opinion et l'exprimer publiquement, c'est que tes pères ont donné de leur intelligence et de leur sang. Tu n'es pas née sous la tyrannie, tu ignores ce que c'est que de se réveiller chaque matin avec la botte d'un maître sur la poitrine, tu ne t’es pas battue pour échapper au sabre du dictateur, aux poids faux du mauvais juge. Remercie tes pères et ne commets pas le crime d’acclamer le mensonge, de faire campagne avec la force brutale, l’intolérance des fanatiques et la voracité des ambitieux. La dictature est au bout.

Jeunesse, jeunesse ! sois toujours avec la justice. Si l'idée de justice s'obscurcissait en toi, tu irais à tous les périls. Et je ne te parle pas de la justice de nos Codes, qui n’est que la garantie des liens sociaux. Certes, il faut la respecter, mais il est une notion plus haute, la justice, celle qui pose en principe que tout jugement des hommes est faillible et qui admet l'innocence possible d'un condamné, sans croire insulter les juges. N'est-ce donc pas là une aventure qui doive soulever ton enflammée passion du droit ? Qui se lèvera pour exiger que justice soit faite, si ce n'est toi qui n'es pas dans nos luttes d'intérêts et de personnes, qui n'es encore engagée ni compromise dans aucune affaire louche, qui peux parler haut, en toute pureté et en toute bonne foi ?  [...] Comment ne fais-tu pas ce rêve chevaleresque, s'il est quelque part un martyr succombant sous la haine, de défendre sa cause et de le délivrer ? Qui donc, si ce n'est toi, tentera la sublime aventure, se lancera dans une cause dangereuse et superbe, tiendra tête au peuple, au nom de l'idéale justice ? Et n'es-tu pas honteuse, enfin, que ce soient des aînés, des vieux, qui se passionnent, qui fassent aujourd'hui ta besogne de généreuse folie ?


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"Ne soyez pas une jeunesse molle, soyez une jeunesse enflammée, une jeunesse ardente."

Prenez conscience de ce vide secret qui est au fond de vous

    Vous appartenez à un siècle où l'homme a développé d'une façon extraordinaire son empire sur les choses et en a tiré des jouissances jusque-là inconnues : aussi il se crée sans cesse à lui-même des besoins qu'il n'avait pas auparavant, et ces besoins ne sont pas tous essentiels à l'homme, il s'en faut, car ceux qui sont essentiels, c'est-à-dire ceux qui répondent aux exigences profondes de l'âme et de l'esprit, il a toujours trouvé le moyen de les satisfaire. L'homme moderne est ainsi encombré d'une foule de besoins, qui, de plus en plus, le rendent étranger à la simplicité et à la grandeur de la vie, et vous, parce que vous avez la richesse, vous êtes les plus encombrés des hommes, et les moins simples, car elle vous donne le moyen de satisfaire tous ces besoins nouveaux qui ont envahi toute votre vie, relèguent de plus en plus dans l'ombre ceux qui sont vraiment essentiels et risquent d'être bientôt tout à fait étouffés. [...] Un homme vrai est un homme qui n'a pas de besoins, c'est-à-dire qui est capable de tout tirer de lui-même. La richesse vous permet d'emprunter au dehors, alors vous ne prenez pas la peine de descendre en vous-mêmes et vous risquez d'ignorer à jamais votre propre trésor.

    […] Vous avez besoin de vous sentir à l'aise, et on n'est pas à l'aise avec le réel, parce qu'il nous dépasse prodigieusement, que ce soit le réel de la pensée ou le réel de l'âme. Vous vous arrêtez de même au bord de la vie spirituelle. Je ne dis pas que vous n'avez pas parfois quelque inquiétude, mais vous voudriez là aussi une solution rassurante ; vous avez peur inconsciemment de la réponse que Dieu pourrait vous donner, vous avez peur qu'Il vous demande trop et vous n'êtes pas disposés à donner trop. Alors Dieu ne vous répond pas.

    […] Il faut donc vous détacher, vous détacher spécialement de l'argent et de ce qu'il procure. […] Je me rends compte que j'écris là une chose assez extraordinaire. Pourtant, si vous le voulez, ce n'est pas impossible […]. Ce n'est pas impossible, si vous êtes vraiment, comme je le voudrais, des âmes de désir, si vous donnez l'exemple de mettre les choses à leur plan, si vous vous dépouillez du factice et du superflu qui est la rançon de la richesse. Je vous disais qu'un homme vrai doit tout tirer de lui-même : oui, et notamment la connaissance de sa faiblesse. Vous êtes comblés par la vie. Faites-vous pauvres. Prenez conscience de ce vide secret qui est au fond de vous : si vous osez y jeter votre regard, vous ne serez jamais plus satisfaits, tous vos besoins factices tomberont de vous comme un vêtement, vous serez libres et dégagés, prêts pour les tâches les plus hautes, et peut-être vous apercevrez-vous alors que vous avez la vraie richesse.

André Charlier, Lettres aux Capitaines, 30 avril 1944

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