vendredi 26 juillet 2013

Textes lus lors de notre 12ème veillée - 26 juillet 2013

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Eugène Ionesco, « Oser ne pas penser comme les autres », Antidotes (1977)
Hymne aux veilleurs (juillet 2013)

======================================================================================Eugène Ionesco, « Oser ne pas penser comme les autres »

Ne pas penser comme les autres vous met dans une situation bien désagréable. Ne pas penser comme les autres, cela veut dire simplement que l'on pense. Les autres, qui croient penser, adoptent, en fait, sans réfléchir, les slogans qui circulent, ou bien, ils sont la proie de passions dévorantes qu'ils se refusent d'analyser. Pourquoi refusent-ils, ces autres, de démonter les systèmes de clichés, les cristallisations de clichés qui constituent leur philosophie toute faite, comme des vêtements de confection ? En premier lieu, évidemment, parce que les idées reçues servent leurs intérêts ou leurs impulsions, parce que cela donne bonne conscience et justifie leurs agissements. Nous savons tous que l'on peut commettre les crimes les plus abominables au nom d'une cause  "noble et généreuse". Il y  a aussi les cas de ceux, nombreux, qui n'ont pas le courage de ne pas avoir "des idées comme tout le monde, ou des réactions communes". Cela est d'autant plus ennuyeux que c'est, presque toujours, le solitaire qui  a raison. C'est une poignée de quelques hommes, méconnus, isolés au départ, qui change la face du monde. La minorité devient la majorité. Lorsque les "quelques-uns" sont devenus les plus nombreux et les plus écoutés, c'est à ce moment là que la vérité est faussée.

Depuis toujours, j'ai l'habitude de penser contre les autres. Lycéen, puis étudiant, je polémiquais avec mes professeurs et mes camarades. J'essayais de critiquer, je refusais "les grandes pensées" que l'on voulait me fourrer dans la tête ou l'estomac, il y a à cela, sans doute, des raisons psychologiques dont je suis conscient. De toute manière, je suis heureux d'être comme je suis. Ainsi donc, je suis vraiment un solitaire parce que je n'accepte pas d'avoir les idées des autres.

Mais qui sont "les autres" ? Suis-je seul ? Est-ce qu'il y a des solitaires ?

En fait, les autres ce sont les gens de votre milieu. Ce milieu peut même constituer une minorité qui est, pour vous, tout le monde. Si vous vivez dans cette "minorité", cette "minorité" exerce, sur celui qui ne pense pas comme elle, un dramatique terrorisme intellectuel et sentimental, une oppression à peu près insoutenable. Il m'est arrivé, quelquefois, par fatigue, par angoisse, de désirer et d'essayer de "penser" comme les autres. Finalement, mon tempérament m'a empêché de céder à ce genre de tentation. J'aurais été brisé, finalement, si je ne m'étais pas aperçu que, en réalité, je n'étais pas seul. Il me suffisait de changer de milieu, voire de pays, pour y trouver des frères, des solitaires qui sentaient et réagissaient comme moi. Souvent, rompant avec le "tout le monde" de mon milieu restreint, j'ai rencontré de très nombreux "solitaires" appartenant à ce qu'on appelle, à juste raison, la majorité silencieuse. Il est très difficile de savoir où se trouve la minorité, où se trouve la majorité, difficile également de savoir si on est en avant ou en arrière. Combien de personnes, de classes sociales les plus différentes, ne se sont-elles reconnues en moi ?

Nous ne sommes donc pas seuls. Je dis cela pour encourager les solitaires, c'est-à-dire ceux qui se sentent égarés dans leur milieu. Mais alors, si les solitaires sont nombreux, s'il y  a peut-être même une majorité de solitaires, cette majorité a-t-elle toujours raison ? Cette pensée me donne le vertige. Je reste tout de même convaincu que l'on a raison de s'opposer à son milieu.

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Hymne aux veilleurs

Il y eut un souffle puis un feu vacillant,
Il y eut un cri noir puis une nuit sans étoiles,
Il y eut un pouvoir puis des cœurs que l’on voile,
Et l’injustice revint vieille de mille ans.

Dans cette tempête l’homme impuissant se tait,
Se laissant bercer, las, dans les flots mensongers.
Et la flamme fragile au milieu des dangers,
Disparaît sans un bruit dans les âmes fouettées.

Combien de temps encor serons nous ignorés ?
Combien faut-il de braises pour être brasier ?
Que fait la justice pour les corps suppliciés ?
Et toi, où t’endors tu Vérité adorée ?

C’est alors qu’il survient, debout, raide et sublime,
Le regard vers les cieux, cherchant l’ultime braise,
Ce Prométhée nouveau du haut de sa falaise
Devient humble veilleur, éclairant les abîmes.

Et c’est ainsi France que tes villes renaissent
Derrière le guide qui jamais ne s’enfuit,
Et c’est ainsi Monde que ta haine s’enfouit
Grâce au veilleur d’amour qui jamais ne délaisse.

Un fleuve lumineux s’est remis à couler,
Et sur ses rives d’or les hommes se relèvent,
Veilleurs, Veilleuses un grand vent vient et se lève
Il porte avec lui le parfum des révoltés.


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